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Des mythes biens nourris Opinion Repères Scène internationale

Réflexions sur la démocratie cubaine

Démocratie et dictature

Dans nos sociétés occidentales, la démocratie est avant tout ce qu’on appelle  le « bipartisme ». Cette notion du « bipartisme » se résume essentiellement à l’idée d’un changement successif entre « Libéraux » (ou « Démocrates) et Conservateurs. Dans la réalité ces deux oppositions se confinent pour l’essentiel à deux formes différentes de pouvoir du grand capital. L’une plus fermée et moins encline à l’intervention de l’État, l’autre dite plus ouverte sur les mesures sociales (surtout sociétales) et considérée généralement comme « progressiste ». Formellement cette notion de démocratie se présente comme l’expression du « libre-choix » pour tous. D’autant plus qu’en autant que ce système ne se sente pas menacé dans ses fondements, il ne s’oppose pas à l’expression de différents courants tiers, voire originaux. Ex. la possibilité pour un parti communiste sans influence ou pour un parti du type « rhinocéros » avec des propositions excentriques, d’afficher ses candidatures sur une liste électorale. Cela au nom de ce qu’on appelle communément « la liberté individuelle ». C’est ce qui fait dire à l’opinion médiatique que ce système accepte l’opposition.

Avec la mort de Fidel Castro on a beaucoup parlé dans les médias, de la disparition d’un dictateur. Cuba est donc perçu comme une dictature du fait qu’un tel formalisme n’existe pas. Qu’on y tolère pas l’opposition.

La réalité c’est que la démocratie n’est pas qu’une question de forme. La démocratie c’est avant tout une question de pouvoir. Pouvoir du peuple versus pouvoir du capital. Bien que la forme de ce pouvoir soit importante c’est son contenu qui en fait avant tout une valeur réelle.

On fait bien peu de cas dans nos médias aujourd’hui, du fait que la révolution cubaine ait renversé une réelle dictature. Celle d’une homme, Fulgencio Baptista qui a éliminé en 7 ans plus de 20 000 personnes et fait disparaître toutes les libertés individuelles avec l’appui sans « réserve » du gouvernement américain.

J­e ne m’étendrai pas ici sur l’extension, au niveau de la politique internationale de cette notion de « démocratie » à l’occidentale. Que d’en faire mention nous amène tellement d’images, que ce soit de l’embargo économique contre Cuba jusqu’aux guerres impérialistes actuelles au Moyen-Orient, qu’on peut difficilement accepter l’idée que cette politique internationale soit l’expression de la politique intérieure du capitalisme et de sa « démocratie » à l’échelle internationale. Ce qui nous la rend moins tangible à l’intérieur de nos propres frontières. Et j’inclue dans le mot « frontières » les limites de notre capacité à comprendre ce lien réel.

La question

C’est en chœur que les médias nous rappellent sans cesse que le gouvernement cubain actuel est aussi « une dictature », qu’il n’y aurait pas de « libertés individuelles » ni « opposition démocratique » qu’il y a eu des exécutions et que les prisons sont « pleines » d’opposants au « régime ».

Mettons de côté les demi-vérités et prenons ces expressions une par une. D’abord définissons le mot « dictature ». « Une dictature est un régime politique dans lequel une personne ou un groupe de personnes exercent tous les pouvoirs de façon absolue, sans qu’aucune loi ou institution ne les limite. La dictature est donc synonyme de régime autoritaire. » Il n’est pas inutile de rappeler ici le contenu de  la Constitution de Cuba. L’article 1 dit : « Cuba est un Etat socialiste de travailleurs, indépendant et souverain, organisé avec tous et pour le bien de tous, en une république unitaire et démocratique, pour la jouissance de la liberté politique, de la justice sociale, du bien-être individuel et collectif et de la solidarité humaine. » Puis à l’article 3 on précise : « la souveraineté réside dans le peuple, duquel émane tout le pouvoir de l’Etat. ». On ne parle pas ici de la souveraineté de la « nation » un terme relativement vague qui inclue bien souvent la liberté des entreprises (pas la liberté d’entreprise). On parle de la souveraineté du peuple. De fait, le pouvoir du peuple et son organisation politique sont définis dans la Constitution, de même que son expression économique, le socialisme. Le non-retour au capitalisme et à toute forme d’exploitation de l’homme par l’homme sont présentés dans la Constitution cubaine comme étant irrévocables. On me rétorquera que dans nos constitutions on n’affirme pas que le capitalisme en est le fondement économique et que celui-ci est irrévocable. Et pour cause. C’est surtout qu’on ose pas en parler car cela serait tout dire.

Voilà ce qui fait dire à nos médias ainsi qu’à nos principales institutions politiques et idéologiques que Cuba est une dictature. La « dictature » du peuple, c’est ce qu’on veut cacher. On préfère personnaliser cette attribution. Ce qui en dilue l’essence profond et fait disparaître à nos yeux l’image de ce qui n’est pas représenté par le mot « peuple ».

À l’heure du « libre-échange » où les grandes entreprises ont le pouvoir de renverser les législations nationales, la question de la souveraineté du peuple pose la question fondamentale de la notion même de démocratie.

C’est de cette « démocratie » dont il est question lorsqu’on nous parle d’absence d’opposition à Cuba. Le gouvernement cubain ne s’oppose pas  aux libertés individuelles, ni à la propriété personnelle. Il s’oppose à ce qui fait obstacle à la souveraineté et au pouvoir du peuple. On reproche au gouvernement du peuple de ne pas permettre les actions et les exactions des opposants visant à provoquer un retour en arrière. Le gouvernement cubain s’oppose à la possibilité que le pouvoir du peuple soit à nouveau renversé par le pouvoir du capital. On lui reproche de ne pas permettre sous peine d’emprisonnement, à ses opposants, de constituer un noyau au service du renversement de l’État, comme cela fut tenté à la Baie des cochons et comme cela s’est produit au Chili qui lui, avait joué le jeu de la « démocratie » formelle à l’occidental sans se prémunir adéquatement contre les menaces visant la souveraineté du peuple.

À Cuba la démocratie n’est pas formelle. Elle n’est pas parfaite non plus mais elle est réelle. Elle s’exprime par les assemblées populaires, les syndicats, les mouvements sociaux, la possibilité de participer aux élections à tous les niveaux y compris sans être un membre du Parti. L’impossibilité pour les Cubains d’agir contre le pouvoir du peuple, cela fait aussi partie de la démocratie.

Opinion Scène québécoise

Derrière les conseils du journal La Presse au Parti québécois

Le journal La Presse, propriété de Power Corporation et de Paul Desmarais a toujours soutenu le Parti libéral du Québec. Les intérêts de la multinationale Power Corporation au Québec, au Canada et même en Europe, font de Paul Desmarais un chef de file de la grande bourgeoisie québécoise et un ami très proche des gouvernements du Québec et du Canada. Ce qui explique l’option fédéraliste avouée du journal La Presse. De la même manière d’ailleurs que son opposition farouche au Parti québécois et à toute velléité souverainiste du Québec.

Comment expliquer alors l’intérêt soudain du journal La Presse pour le PQ et les bons conseils qu’il promulgue à ce dernier face à la crise interne que le Parti québécois traverse présentement. Selon Alain Dubuc l’idée d’une alliance électorale avec Québec solidaire serait « suicidaire » pour le PQ tandis que selon Lysianne Gagnon ce serait du « masochisme électoral caractérisé ». Cherchez l’erreur!

Pour bien comprendre cet intérêt soudain du journal La Presse envers le parti de Pauline Marois, il vaut la peine de lire cet article paru dans Vigile le 18 octobre 2011. L’homme d’affaires Charles Sirois et Paul Desmarais sont les deux plus illustres représentants de l’establishment économique qui expriment ici la crise de confiance du grand patronat envers le PLQ et son soutien à la CAQ.

Or le plus récent sondage de Léger Marketing démontre que pour la première fois, la CAQ commence à baisser dans les intentions de vote des Québécois. On donne 33 % à la CAQ contre 27 % au Parti libéral et 25 % au Parti québécois tandis que Québec solidaire frôle les 10 %. Une coalition entre le Parti québécois et Québec solidaire serait susceptible d’accentuer cette dégringolade de la CAQ, dont les appuis sont jugés fragiles par Léger-Marketing. Une idée qui a de quoi faire frémir le grand capital. Non seulement ce faisant, le PQ devrait envisager des concessions à gauche sur son programme, mais de plus, le projet de créer une assemblée constituante visant à définir le type de souveraineté que le Québec désire, tel que le préconise Québec solidaire, pourrait offrir au Parti québécois une porte de sortie intéressante pour son projet de souveraineté qui stagne depuis des années.

Opinion Scène québécoise

La crise au PQ et les choix de Québec solidaire

Ces jours derniers, les médias y compris les médias sociaux n’en ont que pour la crise au Parti québécois et les tactiques électoralistes du PQ et de Québec solidaire.

Depuis le départ de François Rebello, qui a décidé de joindre les rangs de la CAQ (Coalition avenir Québec), on assiste du côté du Parti québécois à une véritable chute aux enfers. Cette crise est pire que celles qui secouent le parti depuis la présentation du projet de Loi 204 visant à sécuriser l’entente sur l’amphithéâtre de Québec entre le maire Labaume et Québécor. Malgré la concentration des analyses sur le sort de Pauline Marois et les magouilles de Gilles Duceppe, c’est avant tout le sort du Parti québécois lui-même qui est véritablement en cause ici. Ce qui fait dire aux éléments les plus juvéniles de Québec solidaire que ce dernier ne devrait faire aucune entente avec le PQ, tant ils sont convaincus que la disparition du Parti québécois profitera grandement à Québec solidaire.

Vrai et faux! La réalité est que la crise au PQ ne découle pas principalement de l’abandon de sa base populaire, mais de cette frange de la bourgeoisie nationale qui l’avait appuyée jusqu’à présent. Ces classes économiques se sont toujours opposées au contrôle exclusif des grandes puissances financières et industrielles personnalisées par le gouvernement du Parti libéral sur l’État québécois. On assiste présentement à un véritable jeu de sauvetage à la chaîne. La corruption et l’isolement du PLQ lui ayant soutiré sa confiance depuis la crise de l’industrie de la construction et du financement des partis politiques, l’establishment économique, Charles Sirois et Paul Desmarais en tête, se sont tournés vers la CAQ, une sorte de tête bicéphale, avec cette idée que François Legault irait chercher l’appui des classes moyennes (*) hésitantes, en particulier au sein des appuis traditionnels du Parti québécois. Tandis que le PQ qui a toujours véhiculé les intérêts de la petite et moyenne bourgeoisie du Québec avec un visage plus « social-démocrate » afin de maintenir l’appui de l’ensemble des travailleurs et de la population, se sent obligé d’aller plus loin encore vers sa gauche et jongle sérieusement avec l’idée d’une alliance électorale avec Québec solidaire. Ce qui est déjà une victoire en soi pour QS.

On est loin du débat sur la question nationale et la souveraineté. Ou, pour être plus précis, on commence à réaliser que le débat sur la souveraineté ne peut pas se situer au-dessus de tout contenu de classes. Pour qui la souveraineté? Quelle sorte de souveraineté?

Il sera intéressant de voir comment le mouvement syndical, la Fédération des travailleuses et travailleurs du Québec en particulier, se positionnera face à cette toute nouvelle conjoncture. On sait que le PQ et la FTQ, malgré toutes les dérives néolibérales et de droite des gouvernements péquistes successifs, avaient renforcé leur appui réciproque avec la création du Fonds de solidarité de la FTQ alors que Jacques Parizeau était ministre des Finances du Québec.

Les analyses les plus superficielles aujourd’hui, évaluent le bien-fondé d’une alliance tactique entre le Parti québécois et Québec solidaire en vue des prochaines élections, souvent en fonction du nombre de députés en plus ou en moins pour chacun des partis. Mais le véritable enjeu est bien supérieur, particulièrement pour Québec solidaire, le seul véritable parti de gauche au Québec. Hélas! sa principale faiblesse réside toujours dans une certaine coupure avec le mouvement syndical. D’un côté parce que plusieurs de ses membres, issus d’une frange antisyndicaliste du mouvement populaire refuse systématiquement un tel rapprochement. De l’autre côté parce que le mouvement syndical a donné depuis sa naissance, un appui quasi biologique au Parti québécois. Or le plus grand bienfait d’une entente électorale entre Québec solidaire et le Parti québécois serait précisément de forcer le mouvement syndical à élargir son appui aux candidatures de Québec solidaire.
Tous les partis aujourd’hui, à l’exception du PLQ font leur, le slogan de Jack Layton, qui appelle à faire de la politique autrement. Dans les circonstances actuelles, faire de la politique autrement signifie faire passer les intérêts de la population avant les intérêts étroits de chaque parti. En cela, l’ouverture de Pauline Marois en faveur d’une telle entente est significative et mérite une sérieuse considération de la part de QS. À défaut d’une telle entente, c’est une coalition de l’establishment économique avec la petite bourgeoisie nationale autour de la CAQ qui se réalisera. Avec le risque énorme de faire régresser le Québec de plusieurs années en arrière, comme on le voit à Ottawa présentement. Et cela, même avec quelques députés de Québec solidaire à l’Assemblée nationale.


* Par classes moyennes j’entends principalement les propriétaires de petites et moyennes entreprises et les plus hauts salariés du corps professionnel et de l’État.

Repères

La question nationale – Une vision démocratique

Le texte ci-dessous a servi de base à l’élaboration de l’analyse, plus concise et légèrement modifiée, que le cercle citoyen de Laval a soumis, dans le cadre de sa contribution à l’élaboration du programme de Québec solidaire sur la souveraineté. On retrouvera le texte final ici.


Participant depuis quelques semaines au débat de Québec solidaire (à Laval) sur le thème de la souveraineté, je suis toujours surpris de constater la gratuité de certaines affirmations sur un sujet aussi proche des Québécois, particulièrement depuis la Révolution tranquille. Le consensus le plus facile sur le sujet, est que la question nationale au Canada n’est toujours pas résolue, n’en déplaise d’ailleurs à un certain Stephen Harper qui croyait qu’en reconnaissant formellement le Québec en tant que nation, il faisait l’Histoire.

Aussi vieille que le capitalisme lui-même, la question nationale s’exprime de façons bien variées, autant que le sont les conditions économiques dans lesquelles elle évolue. Pour cette discussion, Québec solidaire nous propose certaines pistes de réflexion : Comment définit-on la nation québécoise? Nation civique? Nation ethnique? Nation politico-culturelle?

Voilà à mon sens, une approche un peu courte pour aborder une question aussi complexe. Disons-le franchement, il n’existe pas au départ une telle chose qu’une « nation civique ». Pas plus d’ailleurs qu’une « nation ethnique ». On peut toujours parler d’un État civique, quoique l’expression soit un peu redondante. Tout comme on peut faire référence à un groupe ethnique ou une nationalité dans le sens d’appartenance à une nation d’origine. Mais cela n’apporte rien au débat qui nous concerne. Une nation politico-culturelle ? Je ne comprends tout simplement pas le sens du mot « politico » ici.

Pour moi les bonnes questions sont : Qu’est-ce qu’une nation et quels sont ses droits fondamentaux ? Le peuple québécois est-il une nation ? Quelles sont les contraintes à l’émancipation nationale du Québec ? Les repères d’une solution démocratique de la question nationale au Québec.

Qu’est-ce qu’une nation et quelles sont ses droits fondamentaux ?

Si je dis qu’une nation est avant tout un peuple, ce n’est pas parce que je l’affirme qu’il en est ainsi. L’expression, même dans son sens étymologique exprime un attribut bien spécifique d’un peuple, ou comme le dit le wiktionnaire, d’une communauté humaine. Spécifique ? Mieux, une communauté humaine historiquement constituée. Cela renforce l’idée qu’on ne devient pas une nation par décret.

À ce propos, il est intéressant de prendre connaissance de l’article 1 du Chapitre 1 de la Charte des Nations Unies qui définit ainsi un des buts de l’Organisme :

« Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde »

On ne parle pas ici des États, mais bien des peuples et des nations. Pourquoi cette association entre les mots « peuples » et « nations » et pourquoi l’omission du mot « État ». Simplement parce que le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes est une expression qui érige au niveau d’un principe la notion de souveraineté. Un droit fondamental en démocratie. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes veut aussi dire le droit de choisir entre l’indépendance, l’autonomie ou toute autre forme possible d’association entre États. L’État et la nation ne sont donc pas des synonymes.

Le droit d’un peuple à disposer de lui-même n’est rien de moins que le droit à l’autodétermination nationale. Ce qui signifie : le droit pour un peuple de choisir lui-même la forme de relations qu’il veut établir avec les autres nations prenant en compte ce qu’il considère comme le plus avantageux pour son épanouissement économique, social et culturel, en d’autres mots, pour son émancipation nationale. La nuance entre les mots peuple et nation est faible. Mais elle existe quand même. Dans le contexte du mouvement de libération nationale du siècle dernier, le mot peuple désignait souvent les populations des pays colonisés qui aspiraient à leur indépendance et dont le développement national historique avait été momentanément interrompu par la colonisation. On parle ici de peuples soumis qui n’avaient pas le contrôle de leur économie et pour qui la langue nationale était reléguée au rang d’une langue seconde. Bien qu’avec des nuances importantes, on peut dire que les peuples autochtones au Canada entrent dans cette catégorie.

Or si le terme nation représente un attribut spécifique d’un peuple historiquement constitué, quelles en sont donc les autres caractéristiques ?

  • Une nation a un territoire commun. Certes on peut toujours appartenir à une nation et vivre sur un autre territoire. On parlera alors d’une personne ou d’un groupe de personnes de telle origine nationale ou appartenant à telle nationalité. On envisagera des droits spécifiques pour certaines communautés. Jamais ces droits ne correspondront au droit d’un peuple à disposer de lui-même. Ces droits seront d’une autre nature, propre à une politique de croissance, d’équité, de justice sociale et d’intégration démocratique.

  • Une nation aura une langue commune. On parlera aussi d’une culture et souvent même d’une psychologie commune, avec toutes les réserves qu’une telle affirmation peut contenir. C’est dans ce sens et dans ce sens uniquement qu’on peut faire référence aux valeurs québécoises. Ces valeurs ne sont pas tant l’expression d’une vision politique en particulier que des traditions culturelles distinctes et même, pourrait-on dire religieuses, d’un rapprochement plus prononcé avec l’Europe qu’avec les États-Unis, avec les pays latins, qu’avec les pays anglo-saxons.

  • Le Wiktionnaire parle enfin d’une communauté économique plus ou moins forte. Cette notion fait référence au lien étroit qui unit l’apparition du capitalisme à la naissance de la nation. Marx est celui qui a sans doute le mieux exprimé ce phénomène :

     » La bourgeoisie supprime de plus en plus l’éparpillement des moyens de production, de la propriété et de la population. Elle a aggloméré la population, centralisé les moyens de production et concentré la propriété dans un petit nombre de mains. La concentration politique en a été la conséquence fatale. Des provinces indépendantes ou à peine fédérées, ayant des intérêts, des lois, des gouvernements, des tarifs douaniers différents, ont été rassemblées, pêle-mêle, et fondues en une seule nation, avec un seul intérêt national de classe, derrière un seul cordon douanier. « 
     » Dans toutes les langues modernes complètement formées, plusieurs raisons ont fait perdre au langage son caractère naturel : (…) la fusion des dialectes au sein d’une nation aboutissant à une langue nationale, par suite de la concentration économique et politique.  »
     » Dans aucun pays le règne de la bourgeoisie n’est possible sans l’indépendance nationale. La révolution de 1848 devait donc entraîner l’unité et l’autonomie des nations, qui jusqu’alors en étaient privées : l’Italie, l’Allemagne, la Hongrie. La Pologne verra venir son tour. »

    (extraits tirés du Manifeste du Parti communiste et de travaux sur l’Idéologie allemande)

    Le mérite de Karl Marx est d’avoir illustré le processus historique du développement de la nation et la manière dont cette dernière s’est greffée au développement économique. Le caractère déterminant de l’économie dans l’apparition de la nation est tellement vrai qu’au moment où l’État national et ses frontières étroites finissent par étouffer son essor, l’économie de marché aura tôt fait d’imposer sa loi expansionniste. Se substituera alors à l’État national, l’État colonial. Un État qui refusera de reconnaître aux pays conquis les droits nationaux qu’il s’adjuge pour lui-même, comme étant naturels. Ainsi, le concept d’État érigé sur le fondement de la nation devient vite un concept à contresens, celui d’État-nation. Ce qui permettra un jour à Pierre Elliott Trudeau de dire que le Canada ne forme qu’une seule nation et à René Lévesque de réclamer l’indépendance pour le Québec, toujours en vertu du même principe de l’État-Nation. Un piège qu’ont su éviter les Nations Unies dans la rédaction de l’article 1, du chapitre 1 de la Charte de l’organisme.

Le peuple québécois forme-t-il une nation ?

La raison pour laquelle je ne pose pas la question « Le Québec est-il une nation ? » est justement pour éviter le carcan imposé par le concept ambigu d’État-nation. Paradoxalement, l’existence même d’une Assemblée nationale au Québec illustre davantage le fait que le peuple québécois constitue une nation qu’un État national. Une Assemblée concédée au peuple québécois (et surtout au clergé catholique) afin de mieux l’embrigader à l’intérieur de la nation canadienne (le mot nation ici se voulant, l’expression du concept d’État-nation). On pourrait donc dire que le Québec de ce point de vue n’est pas une nation puisque l’État lui-même ne dispose pas du droit à l’autodétermination nationale. Ce qui est une manière de dire que le peuple québécois ne contrôle pas, voire ne possède pas encore, son État national, qu’il n’est pas souverain dans la loi. La notion de souveraineté impliquant nécessairement le concept du droit à l’indépendance.

Par contre, le peuple québécois, même s’il ne possède pas vraiment son État national, épouse toutes les caractéristiques d’une nation telles qu’énumérées plus haut et comprises dans la Charte des Nations Unies. Ce qui signifie que le gouvernement canadien, s’il voulait recourir au droit international pour invoquer l’intégrité de son territoire et ainsi s’opposer à l’indépendance du Québec, ne pourrait pas par ailleurs, avoir recours à la Charte des Nations Unies pour empêcher les Québécois et Québécoises de prendre le contrôle de leur État et de proclamer son indépendance.

Puisque nous sommes dans les paradoxes, on ne peut passer sous silence les particularités du Québec eu égard au processus historique classique de l’apparition de la nation. Car si une distinction majeure s’illustre, c’est bien la formation au Québec, d’une petite et même d’une grande bourgeoisie nationale, capable de rivaliser avec n’importe quel État capitaliste moderne. Ce fait à lui seul fait pâlir toute comparaison politique avec le mouvement de libération nationale dont l’indépendance était la seule voie possible d’émancipation et de contrôle de son marché et son économie nationale.

Le Québec n’est pas une colonie à proprement parler. Il n’en demeure pas moins que les Québécois et Québécoises forment un peuple discriminé, amputé du contrôle authentique de son État national et dont le développement économique est soumis à des décisions qui se prennent souvent à l’extérieur de son territoire. Ce qui se traduit par un niveau de vie et par des revenus inférieurs à la moyenne canadienne; une équité salariale avec le Canada anglais qui est toujours à reconquérir ; des politiques économiques dans le domaine de la culture soumises à la vision, pour ne pas dire aux préjugés, de ministres coupé-e-s du Québec ; un double système de fiscalité, etc.

La lutte pour l’émancipation nationale du Québec par conséquent, est une lutte tout à fait légitime. Il n’est pas moins vrai cependant que la forme particulière de cette lutte et les solutions mises de l’avant ne suivront pas le modèle classique de la lutte nationale tel qu’on l’a connu dans les pays colonisés et le mouvement de libération nationale à travers le monde.

Quelles sont les contraintes à l’émancipation nationale du Québec ?

La reconnaissance du Québec en tant que nation, sans la reconnaissance de son droit à l’autodétermination nationale, n’est pas une véritable reconnaissance de la nation. La première contrainte à l’émancipation nationale du Québec est donc de nature politique. Le Québec n’est pas souverain devant la loi et par conséquent n’a pas le loisir de choisir lui-même ses grandes orientations économiques, politiques et sociales. De ce point de vue il est tout à fait raisonnable d’affirmer que la constitution canadienne (avec ou sans l’adhésion du Québec), dans les termes actuels et à l’intérieur de laquelle le Québec n’est qu’une province comme les autres, démontre bien que la question nationale au Canada et au Québec n’est toujours pas résolue.

À ce facteur politique cependant s’en ajoutent bien d’autres, dont notamment le rôle, suivit de la trahison, du Parti québécois, envers la population et les travailleurs et travailleuses en particulier. Attention, je ne parle pas ici de l’incapacité du gouvernement péquiste à faire l’indépendance, après un long règne à l’Assemblée nationale. La trahison du Parti québécois vient de son changement de cap après s’être fait élire une première fois avec un soi-disant préjugé favorable envers les travailleurs et travailleuses. Ce préjugé, René Lévesque le savait nécessaire pour gagner l’appui d’une majorité de la population à cette idée que le Parti québécois pouvait être le fer de lance des intérêts nationaux du Québec.

Après quelques mesures encourageantes une fois au pouvoir, dont la Loi anti briseurs de grève, le gouvernement du Parti québécois a tôt fait de s’aliéner une partie importante de la population en s’attaquant de front au mouvement ouvrier et en adoptant des lois antisyndicales dans la Fonction publique. Des lois que la Cour suprême du Canada a dû invalider, les jugeant anticonstitutionnelles. Voudrions-nous d’un Québec indépendant qui serait moins démocratique que le Canada voisin qu’il aurait quitté ? Si la question fait rire, les travailleurs et travailleuses qui ont voté pour le Parti québécois et qui ont dû recourir à la Cour suprême du Canada pour défendre leurs droits fondamentaux n’avaient pas tort de se sentir trahis par le gouvernement du Parti québécois.

La lutte politique que se livrent le Parti libéral et le Parti québécois se résume en fait à une confrontation entre factions de la bourgeoisie qui prétendent mieux représenter l’une que l’autre, les intérêts des grandes entreprises. Des intérêts qu’ils érigent tous les deux au rang des intérêts nationaux du Québec.

Il ne suffit donc pas d’admettre l’existence d’un lien entre développement économique et mouvement national. Encore faudra-t-il se poser la question : quel développement économique ? Pour qui ?

Mondialisation et le néolibéralisme

Dans nos discussions, j’entends souvent dire que le phénomène de la mondialisation est un phénomène inévitable. C’est dire à quel point l’idéologie néolibérale est présente, dans les esprits. Soyons clairs, il existe un processus d’internationalisation et d’interdépendance entre les peuples. Ce phénomène est rattaché à l’essor démographique autant qu’au besoin grandissant de nouveaux marchés pour la survie et le développement des entreprises. On pourrait aussi parler de l’internationalisation des rapports de production. Ce qu’on entend par mondialisation, une expression mieux dite en anglais sous le vocable « globalisation », c’est avant tout la domination complète du monde par quelques très grandes puissances industrielles et financières.

Alors que le capitalisme naissant devait sa survie et son essor au resserrement des frontières et à un système douanier protectionniste (c’était la belle époque de l’État-Nation), le marché aujourd’hui n’a plus de frontières. Bien au contraire, l’abolition des frontières, le libre-échange et toutes les mesures servant la domination du marché mondial se rangent au service d’un phénomène qui ne peut se réaliser qu’en écrasant les pouvoirs locaux et en soumettant les marchés et les États nationaux à la loi du profit maximum.

Le processus de mondialisation n’est pas un phénomène inévitable. C’ est le résultat de la manipulation des marchés avec le soutien des grandes institutions mondiales telles que l’OMC (l’Organisation mondiale du commerce), le FMI (Fonds monétaire international), les banques de développement, etc. qui imposent leurs conditions aux pays qu’ils convoitent, substituant au colonialisme traditionnel un néo-colonialisme moderne, plus subtil, mais tout aussi, sinon plus dévastateur.

Au-delà de tout scrupule et de toute morale, le phénomène de mondialisation s’accompagne d’une réelle substitution des tribunaux commerciaux aux tribunaux législatifs. Faut-il rappeler qu’il s’agit ici de tribunaux législatifs d’États indépendants ? Et qu’advient-il aux pays qui refusent de se soumettre à ces nouvelles lois du marché international ? Est-ce un simple fait du hasard qu’en période de crise mondiale l’industrie militaire se porte mieux que jamais ? Poser la question c’est un peu y répondre. Jules Dufour, Président de l’Association canadienne pour les Nations Unis (ACNU) / Section Saguenay-Lac-Saint-Jean et Professeur émérite à l’Université du Québec à Chicoutimi, parle ouvertement du Grand réarmement planétaire.

On est loin de l’article 1 de la Charte des Nations Unies qui plaide en faveur du droit des peuples à l’égalité et pour la paix dans le monde.

Les repères d’une solution démocratique de la question nationale au Québec

Trois questions me viennent à l’esprit en abordant ce thème.

  • L’émancipation nationale passe par le contrôle de l’économie.

Si le lien étroit entre la question nationale et la question économique semble assez évident, ce qui l’est moins, ce sont les intérêts économiques propres d’une nation. Pour nos gouvernements, ce qui est bon pour les entreprises est bon pour la nation. Cela devrait sans doute être le cas. Mais dans un système où les intérêts des entreprises sont strictement limités au profit maximum et où n’existe aucun mode de redistribution équitable de la richesse, on peut en douter. La crise financière et économique actuelle devrait nous faire réfléchir. Nous avons donné des milliards et des milliards de dollars aux banques. Et ces dernières, qu’ont-elles fait en retour pour favoriser le soulagement de la crise et le bien-être. Elles ont pris cet argent pour acquérir les institutions les plus faibles et développer encore davantage la concentration du capital. Rien pour les travailleurs et travailleuses, les premières victimes de la crise. Rien pour les plus démuni-e-s qui vivent dans des conditions de crise permanente. Même chose pour les grandes industries. En échange de milliards qu’elles ont reçus des gouvernements, elles exigent de nouvelles concessions des travailleurs et travailleuses et menacent même leurs régimes de retraite.

Comment peut-on encore dire que ce qui est bon pour les entreprises est bon pour la nation ? Parce qu’elles créent la richesse ? C’est une illusion. Ce sont les travailleurs et travailleuses qui créent les richesses des entreprises. Et les gouvernements en rajoutent en détournant une grande partie des revenus produits par les travailleurs et travailleuses vers ces entreprises. Cette question hélas! mérite une réflexion spécifique, un autre débat. Mais déjà on peut mettre un sérieux bémol à l’expression si chère aux politiciens lorsqu’ils parlent de « nos entreprises ».

La réalité c’est que les intérêts économiques de la nation et les intérêts du capitalisme sont totalement divergents. Les intérêts de la nation sont liés à son développement économique, culturel et social. On parle ici de la sécurité d’emploi, d’un système de santé public gratuit et fiable, d’un système d’éducation ouvert et non pas retreint aux besoins exclusifs des grandes entreprises. On parle de l’élimination de la pauvreté et d’un développement qui prend en compte les intérêts des générations futures, la survie de la planète.

L’économie au service de la nation, c’est aussi une économie qui respecte l’égalité entre les peuples et pour qui le processus d’internationalisation des rapports de production se traduit par l’entraide et la solidarité et n’est pas synonyme de domination d’une nation par une autre. C’est une économie de paix qui prône la conversion de l’industrie militaire en industrie civile.

Tandis que pour les gouvernements des 30 dernières années, tant à Québec qu’ à Ottawa, la sacro-sainte politique de privatisation et les coupures salariales ont été les principaux guides de leur action politique. Lorsqu’il fallait éliminer la pauvreté et hausser le salaire minimum pour atteindre un niveau de vie décent, ces gouvernements se sont tous réfugiés derrière l’obsession du déficit zéro. Une obsession qui disparaîtra le jour où ce seront les grandes banques et les grandes entreprises qui viendront quémander l’argent de l’État.

Ainsi, affirmer qu’il faille d’abord réaliser l’indépendance, plaçant cet objectif au niveau d’un principe, pour pouvoir contrôler ensuite son économie, est une grossière illusion. C’est une façon de séparer la question nationale de la question économique. C’est une manière de dire que les grandes entreprises qui appuient le projet indépendantiste sont de dignes représentants du peuple. Une illusion qui a conduit au cul-de-sac dans lequel le gouvernement péquiste a amené le Québec pendant son long règne au pouvoir.

  • Celles et ceux qui sont les mieux placé-es pour défendre les intérêts nationaux du Québec.

En se rangeant derrière les grandes entreprises et corporations, voyant dans le libre-échange une porte ouverte pour accentuer le phénomène de la mondialisation et du néolibéralisme au Québec, les dirigeants du Parti québécois qui ont substitué le concept de lucidité à celui de la solidarité du peuple ont littéralement discrédité leur parti en tant que fer de lance des intérêts nationaux du Québec.

Lorsque Jacques Parizeau à la tête du gouvernement et du Parti québécois s’en est pris au vote ethnique pour dénoncer l’échec référendaire de 1995, il illustrait à quel point le nationalisme étroit peut devenir un facteur de division. En établissant les intérêts nationaux à partir de considérations strictement ethniques et culturelles, on demande ni plus ni moins aux travailleurs et travailleuses et à la population d’une langue et d’une culture donnée de se ranger derrière les intérêts du capital national.

Ayant compris que l’essor du capitalisme et celui de la nation sont devenus aujourd’hui, deux phénomènes contradictoires et que le capital national est une expression aussi révolue que le mot race peut l’être, c’est en regardant du côté de ceux et celles qui ont le plus intérêt à se défaire du capitalisme qu’on trouvera les défenseur-e-s les plus conséquents des intérêts nationaux du Québec. Pour cela il faudra ouvrir la porte à la participation du plus grand nombre dans l’élaboration d’une solution à la question nationale. Le mouvement syndicale et les diverses organisations démocratiques de la population devront aussi y trouver leur place.

  • La solution à la question nationale doit être unificatrice et démocratique

Le lien entre l’économie et le national ne veut pas dire cependant similitude. Il ne peut être utilisé non plus pour noyer la question nationale dans une solution économique. La question nationale est une question d’ordre politique spécifique, nécessitant une ou des solutions politiques qui lui est propre. C’est dans le choix des solutions et dans la manière de les appliquer que les intérêts économiques de la nation se révéleront.

De ce point de vue, la solution à la question nationale doit passer par un processus démocratique beaucoup plus élaboré et participatif qu’un processus strictement référendaire. Non seulement la population devra-t-elle participer à la décision quant à la ou aux solutions proposées, mais encore devra-t-elle aussi participer à l’élaboration de cette ou de ces questions. Il ne suffit pas de dire, comme aime à le répéter souvent Mme Marois que son projet national est inclusif. Le mot inclusif a un double sens. Il peut tout aussi bien signifier la participation des différentes minorités que leur assimilation pure et simple. C’est un mot qui peut aussi bien sortir de la bouche de Mme Marois que de tous les Jacques Parizeau.

La seule façon de mettre de l’avant une solution politique viable et solidement appuyée par la majorité de la population passe par la formation d’une assemblée constituante élue. Une assemblée conçue de manière à assurer une place importante aux peuples autochtones ainsi qu’une représentation adéquate des différentes communautés et minorités du Québec, y compris la minorité anglophone.

Nous devons distinguer entre le principe du droit à l’autodétermination nationale ( principe de la souveraineté) et la façon dont le peuple voudra que ce principe soit appliqué. Qu’il s’agisse de l’indépendance nationale ou du partage de certains pouvoirs sous forme d’une quelconque association avec le Canada ou tout autre État, ces choix doivent être l’expression d’une volonté librement exprimée par la nation québécoise. Il va sans dire que le principe de la souveraineté comprise comme le droit du Québec à l’autodétermination doit être au coeur du programme de Québec solidaire, tout comme sa volonté de mettre en place une Assemblée constituante représentative, élue.

Mais c’est l’Assemblée constituante qui aura pour mandat d’élaborer et de soumettre aux Québécois et Québécoises une constitution illustrant les grandes orientations économiques et politiques ainsi que le statut national du Québec et son rapport avec les autres États. Une constitution dont l’adoption par voie référendaire par la suite ne posera certainement pas problème. Cela dit, l’Assemblée constituante pourrait devenir une assemblée permanente, toutes les lois devant être adoptées tant par l’Assemblée parlementaire que par l’Assemblée constituante. Ce qui garantirait un développement économique et politique qui réponde aux aspirations du peuple québécois, incluant les différentes minorités et les peuples autochtones du Québec.

Opinion Scène québécoise

La raison pour ne pas célébrer la Bataille des Plaines

Certes il y a plusieurs raisons pour ne pas célébrer. Certains vous diront qu’on ne célèbre pas une défaite. Et c’est vrai. D’autres diront que le Fédéral n’a pratiquement rien fait pour le 400e de Champlain. Et c’est vrai aussi. Pour la CCBN (Commission des champs de bataille nationaux) et son président André Juneau, la décision de ne pas reconstituer la Bataille des Plaines d’Abraham, relève avant tout d’une question de sécurité. Au Canada anglais on est en furie contre le Québec et son refus de collaborer tandis que pour les Québécois, tout cela est du Québec bashing à nouveau.

Peut-on déjà tirer une conclusion de tout ce brouhaha ? Oui, une conclusion incontestable et qui suffit à elle seule comme raison de ne pas célébrer le 250e anniversaire de la Bataille des plaines d’Abraham, ni d’un côté, ni de l’autre : la question nationale n’est toujours pas réglée au Canada. Elle ne le sera pas tant que le Québec ne se verra pas accordé ou tant qu’il ne s’emparera pas lui-même, de son droit à l’autodétermination nationale, à la souveraineté.

Un devoir de mémoire

C’est un fait que l’événement ne doit pas passer inaperçu. L’anniversaire de la Bataille des Plaines est une bonne occasion de réfléchir au sens à donner à l’évolution de l’histoire depuis 250 ans. Ne l’oublions pas, la victoire des Plaines, c’était en réalité la Conquête. Mais cette victoire n’était pas que militaire et elle n’aurait pu se réaliser en fait, à travers les ans, sans la participation d’une fraction importante de dirigeants francophones du Québec, notamment le clergé, qui acceptèrent de jouer les collaborateurs avec le conquérant en lui garantissant la paix sociale et la soumission de tout un peuple. En échange de quoi ? Une assemblée nationale (lire provinciale) avec certains pouvoirs législatifs et économiques ainsi qu’un contrôle sur certains domaines d’ordre politique, dont l’éducation.

Le prix à payer allait être lourd. Dans la vision des provincialistes et des fédéralistes du Canada anglais, la conquête devait non seulement mettre un terme au rêve de construire un Canada (français) caressé par les premiers colons d’origine française, mais devait aussi faire disparaître toute velléité de construire une nation francophone au Canada.

Dans un tel contexte, autant la célébration de la Bataille des plaines d’Abraham ne peut exprimer qu’une forme d’aliénation chez les Québécois, autant elle ne peut exprimer qu’une forme de chauvinisme, voire de néo-colonialisme chez les Canadiens anglais. Quand Jean Charest dénonce les dérapages qu’il attribue aux menaces de violence contre toute éventuelle célébration de la Bataille des Plaines, il manque une belle occasion d’identifier le véritable dérapage de la CCBN qui voulait profiter de l’événement pour sceller dans l’imaginaire des Canadiens et des Québécois, l’issue d’une bataille qui, en réalité n’est toujours pas terminée : la lutte nationale des Québécois.

Une cause toujours bien vivante

À partir de quand peut-on décréter qu’une cause est terminée ? Il y en a pour dire que la cause palestinienne est perdue. Que les réalités au Moyen-Orient ne sont plus ce qu’elles étaient avant la Seconde Guerre mondiale. Il y en a pour dire que les peuples autochtones en Amérique mènent aussi des batailles perdues d’avance. Qu’il est temps de reconnaître que nous ne vivons plus à l’ère des coureurs des bois. Combien de temps durera le désir des Serbes de reconquérir le Kosovo dont ils ont été chassés par l’intervention militaire de l’OTAN ?

Combien de causes pourrait-on identifier ainsi à travers le monde, qui entretiennent toujours le germe de la résistance et d’un potentiel de rébellion ? La réponse à la question de savoir si l’on peut décréter qu’une cause est terminée sera toujours biaisée selon qu’on est dans le camp des vainqueurs ou dans celui des vaincus. Et encore une fois, pourrons-nous dire que l’ Histoire sera toujours celle des vainqueurs.

Ainsi présentée toutefois, aucune grande cause à travers le monde ne trouvera un jour de solution. L’angle strictement historique et national ne peut que raviver les sentiments nationaux d’un côté et chauvins de l’autre. L’Histoire n’est pas un échange bipartite perpétuel du pouvoir entre vaincues et vainqueurs. C’est pourquoi l’amertume de la défaite et les cicatrices de l’histoire ne se referment jamais pour les vaincus.

La question nationale ne peut se résorber que de deux façons, soit  : l’assimilation totale, ce qu’on peut aussi appeler un génocide culturel, soit : la reconnaissance et la satisfaction des droits nationaux. Tant que la nation existe, tant qu’elle se bat pour ses droits, la cause en sera justifiée. Autant celle des Palestiniens, que celle des peuples autochtones, que celle des Québécois. Même si dans leurs expressions, biens souvent, ces luttes n’ont rien de comparable.

Quels intérêts nationaux

La question nationale ne s’exprime pas toujours de manière aussi tragique qu’en Palestine, ni de manière aussi directe que dans le rapport entre une métropole et une colonie. Par contre, tous les mouvements nationaux qui sont allés jusqu’au bout de leurs revendications ont mené soit à l’autonomie nationale, soit à l’indépendance nationale et à la création d’États sur le principe de : une Nation, un État. Un processus historique qui accompagnait dans tous les cas, le désir de la bourgeoisie naissante de prendre le pouvoir et le contrôle sur son marché national.

Ce qui est paradoxal ici, c’est qu’à l’heure de la mondialisation et du néolibéralisme, même les bourgeoisies nationales s’entendent pour favoriser les ententes de libres-échanges, jusqu’à appuyer la suprématie des tribunaux commerciaux et des grandes corporations industrielles, économiques et financières sur les pouvoirs législatifs nationaux. Jacques Parizeau et Bernard Landry furent tous les deux de fervents défenseurs de l’Accord de libre-échange négocié par le gouvernement conservateur de Brian Mullroney, avec les États-Unis.

Cela révèle qu’on ne peut pas dissocier la question nationale des questions économiques et sociales, plus précisément des intérêts des classes sociales pour qui l’on veut la souveraineté. Si on peut dire que la question nationale au Canada existera tant que le Québec sera amputé de l’exercice de son droit à l’autodétermination, il est faux d’affirmer par ailleurs que l’indépendance en soi, règlera la question nationale pour les Québécois. Surtout si cette indépendance est mise au service du néocolonialisme moderne par le biais de la mondialisation.

Si devoir de mémoire il y a, il faudra alors se rappeler que la nation n’est ni homogène, ni abstraite. À l’heure où une crise financière et économique d’une envergure sans précédent affecte la plupart des grandes puissances économiques, les forces démocratiques ne doivent pas se laisser duper par les prétendus défenseurs de la nation qui associent les intérêts des grandes entreprises et des sociétés financières aux intérêts de la nation. Une politique de sortie de crise pour qu’elle soit véritablement dans les intérêts de la nation, doit avant tout être conçue dans les intérêts des travailleurs et de la population en général. Ce qui impliquera nécessairement la solidarité entre les victimes de ces mêmes puissances financières et économiques, indépendamment des frontières nationales.