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Opinion Scène québécoise

La raison pour ne pas célébrer la Bataille des Plaines

Certes il y a plusieurs raisons pour ne pas célébrer. Certains vous diront qu’on ne célèbre pas une défaite. Et c’est vrai. D’autres diront que le Fédéral n’a pratiquement rien fait pour le 400e de Champlain. Et c’est vrai aussi. Pour la CCBN (Commission des champs de bataille nationaux) et son président André Juneau, la décision de ne pas reconstituer la Bataille des Plaines d’Abraham, relève avant tout d’une question de sécurité. Au Canada anglais on est en furie contre le Québec et son refus de collaborer tandis que pour les Québécois, tout cela est du Québec bashing à nouveau.

Peut-on déjà tirer une conclusion de tout ce brouhaha ? Oui, une conclusion incontestable et qui suffit à elle seule comme raison de ne pas célébrer le 250e anniversaire de la Bataille des plaines d’Abraham, ni d’un côté, ni de l’autre : la question nationale n’est toujours pas réglée au Canada. Elle ne le sera pas tant que le Québec ne se verra pas accordé ou tant qu’il ne s’emparera pas lui-même, de son droit à l’autodétermination nationale, à la souveraineté.

Un devoir de mémoire

C’est un fait que l’événement ne doit pas passer inaperçu. L’anniversaire de la Bataille des Plaines est une bonne occasion de réfléchir au sens à donner à l’évolution de l’histoire depuis 250 ans. Ne l’oublions pas, la victoire des Plaines, c’était en réalité la Conquête. Mais cette victoire n’était pas que militaire et elle n’aurait pu se réaliser en fait, à travers les ans, sans la participation d’une fraction importante de dirigeants francophones du Québec, notamment le clergé, qui acceptèrent de jouer les collaborateurs avec le conquérant en lui garantissant la paix sociale et la soumission de tout un peuple. En échange de quoi ? Une assemblée nationale (lire provinciale) avec certains pouvoirs législatifs et économiques ainsi qu’un contrôle sur certains domaines d’ordre politique, dont l’éducation.

Le prix à payer allait être lourd. Dans la vision des provincialistes et des fédéralistes du Canada anglais, la conquête devait non seulement mettre un terme au rêve de construire un Canada (français) caressé par les premiers colons d’origine française, mais devait aussi faire disparaître toute velléité de construire une nation francophone au Canada.

Dans un tel contexte, autant la célébration de la Bataille des plaines d’Abraham ne peut exprimer qu’une forme d’aliénation chez les Québécois, autant elle ne peut exprimer qu’une forme de chauvinisme, voire de néo-colonialisme chez les Canadiens anglais. Quand Jean Charest dénonce les dérapages qu’il attribue aux menaces de violence contre toute éventuelle célébration de la Bataille des Plaines, il manque une belle occasion d’identifier le véritable dérapage de la CCBN qui voulait profiter de l’événement pour sceller dans l’imaginaire des Canadiens et des Québécois, l’issue d’une bataille qui, en réalité n’est toujours pas terminée : la lutte nationale des Québécois.

Une cause toujours bien vivante

À partir de quand peut-on décréter qu’une cause est terminée ? Il y en a pour dire que la cause palestinienne est perdue. Que les réalités au Moyen-Orient ne sont plus ce qu’elles étaient avant la Seconde Guerre mondiale. Il y en a pour dire que les peuples autochtones en Amérique mènent aussi des batailles perdues d’avance. Qu’il est temps de reconnaître que nous ne vivons plus à l’ère des coureurs des bois. Combien de temps durera le désir des Serbes de reconquérir le Kosovo dont ils ont été chassés par l’intervention militaire de l’OTAN ?

Combien de causes pourrait-on identifier ainsi à travers le monde, qui entretiennent toujours le germe de la résistance et d’un potentiel de rébellion ? La réponse à la question de savoir si l’on peut décréter qu’une cause est terminée sera toujours biaisée selon qu’on est dans le camp des vainqueurs ou dans celui des vaincus. Et encore une fois, pourrons-nous dire que l’ Histoire sera toujours celle des vainqueurs.

Ainsi présentée toutefois, aucune grande cause à travers le monde ne trouvera un jour de solution. L’angle strictement historique et national ne peut que raviver les sentiments nationaux d’un côté et chauvins de l’autre. L’Histoire n’est pas un échange bipartite perpétuel du pouvoir entre vaincues et vainqueurs. C’est pourquoi l’amertume de la défaite et les cicatrices de l’histoire ne se referment jamais pour les vaincus.

La question nationale ne peut se résorber que de deux façons, soit  : l’assimilation totale, ce qu’on peut aussi appeler un génocide culturel, soit : la reconnaissance et la satisfaction des droits nationaux. Tant que la nation existe, tant qu’elle se bat pour ses droits, la cause en sera justifiée. Autant celle des Palestiniens, que celle des peuples autochtones, que celle des Québécois. Même si dans leurs expressions, biens souvent, ces luttes n’ont rien de comparable.

Quels intérêts nationaux

La question nationale ne s’exprime pas toujours de manière aussi tragique qu’en Palestine, ni de manière aussi directe que dans le rapport entre une métropole et une colonie. Par contre, tous les mouvements nationaux qui sont allés jusqu’au bout de leurs revendications ont mené soit à l’autonomie nationale, soit à l’indépendance nationale et à la création d’États sur le principe de : une Nation, un État. Un processus historique qui accompagnait dans tous les cas, le désir de la bourgeoisie naissante de prendre le pouvoir et le contrôle sur son marché national.

Ce qui est paradoxal ici, c’est qu’à l’heure de la mondialisation et du néolibéralisme, même les bourgeoisies nationales s’entendent pour favoriser les ententes de libres-échanges, jusqu’à appuyer la suprématie des tribunaux commerciaux et des grandes corporations industrielles, économiques et financières sur les pouvoirs législatifs nationaux. Jacques Parizeau et Bernard Landry furent tous les deux de fervents défenseurs de l’Accord de libre-échange négocié par le gouvernement conservateur de Brian Mullroney, avec les États-Unis.

Cela révèle qu’on ne peut pas dissocier la question nationale des questions économiques et sociales, plus précisément des intérêts des classes sociales pour qui l’on veut la souveraineté. Si on peut dire que la question nationale au Canada existera tant que le Québec sera amputé de l’exercice de son droit à l’autodétermination, il est faux d’affirmer par ailleurs que l’indépendance en soi, règlera la question nationale pour les Québécois. Surtout si cette indépendance est mise au service du néocolonialisme moderne par le biais de la mondialisation.

Si devoir de mémoire il y a, il faudra alors se rappeler que la nation n’est ni homogène, ni abstraite. À l’heure où une crise financière et économique d’une envergure sans précédent affecte la plupart des grandes puissances économiques, les forces démocratiques ne doivent pas se laisser duper par les prétendus défenseurs de la nation qui associent les intérêts des grandes entreprises et des sociétés financières aux intérêts de la nation. Une politique de sortie de crise pour qu’elle soit véritablement dans les intérêts de la nation, doit avant tout être conçue dans les intérêts des travailleurs et de la population en général. Ce qui impliquera nécessairement la solidarité entre les victimes de ces mêmes puissances financières et économiques, indépendamment des frontières nationales.