Louise Arbour, haute-commissaire des Nations-unies aux droits de l’homme et ex-Procureur en chef du Tribunal Pénal International (TPI) sur la Yougoslavie prétend que les dirigeants israéliens aux postes de commandement des actions militaires contre le Liban pourraient éventuellement être poursuivis par le TPI s’ils ne respectent pas le droit international. Mais cela n’arrivera JAMAIS.
Mme Arbour a déjà construit sa campagne anti-yougoslave sur le mensonge . Aujourd’hui, ses propos qui donnent au TPI une image d’impartialité et de droit ne font que camoufler la partialité du TPI (au service de l’OTAN) et du « droit international » au service de la « mondialisation ». Les dirigeants israéliens ne seront pas poursuivis et nous pourrons en conclure que leurs actions militaires étaient mesurées et respectueuses de la Convention de Genève. Du blabla à endormir les bonnes consciences du « politically correct » et tous ceux qui se sentent obligés à chaque nouvelle offensive « antiterroriste » de se mettre au diapason des actions militaires qu’elles soient d’Israël au Moyen-Orient ou des États-Unis en Afghanistan et en Irak.Or la violation du droit international et de la Convention de Genève concernant l’utilisation des bombes à fragmentation et les attaques délibérées contre les populations civiles et les forces de paix de l’ONU sont déjà des réalités. Les bombardements d’Israël contre les infrastructures du Liban menacent même l’écosystème et les pays voisins du Liban. Maintenant que Louise Arbour a fait sa déclaration tonitruante, il faut s’attendre à ce qu’elle devienne de plus en plus silencieuse et ses propos en conformité avec les directives des véritables patrons du TPIY. Rappelons à ce sujet ce que disait le congressiste US Lester Munson : «Vous ne verrez jamais des pilotes de l’OTAN devant un tribunal de l’ONU. L’OTAN est l’accusateur, le procureur, le juge, le jury et l’exécuteur, car c’est l’OTAN qui paie les factures du TPIY. L’OTAN ne se soumet pas au droit international. Il est le droit international. », propos rapportés sur le site de Michel Collon concernant le rôle de l’OTAN en Yougoslavie.
Tant qu’Israël sera le fer de lance de la stratégie des États-Unis au Moyen-Orient, aucune chance n’existe que les dirigeants israëliens soient poursuivis par quelque tribunal international que ce soit où les États-Unis détiendront un rôle prépondérant.
L’escalade du conflit au Moyen-Orient a pris une ampleur nouvelle depuis que le Hamas s’est fait élire en janvier 2006. Pour l’Union européenne, la Norvège et le Canada qui ont mis fin à leurs paiements aux Autorités Palestiniennes, le fait que le Hamas se soit fait élire démocratiquement n’est pas une considération ici. Reprochant au Hamas de ne pas reconnaître Israël, ils ont décidé de suivre ce dernier en coupant les vivres aux Autorités palestiniennes.
Virginia Tilley, professeure associée en Sciences Politiques et Relations Internationales soulève le voile sur la signification de cette notion du « droit d’Israël à exister »
Publié le 15 mai 2006 (en anglais) par Virginia Tilley
Traduction libre de M. Duclos pour C. Demers
Révision : Danielle Soulières
À la grande consternation de la plupart des pays du monde, la Communauté Européenne, suivie par la Norvège et le Canada, ont cessé les paiements au gouvernement des « Autorités Palestiniennes » ( Palestinians Autorities ou le gouvernement des palestiniens auxquels nous nous référons en utilisant l’abréviation AP dans ce texte) dirigées par le Hamas. La raison officielle de cette décision est que le Hamas ne reconnaît pas à Israël le « droit à exister » et ne « renonce » pas à la violence. Une décision néanmoins qui n’a pas de sens commun et qui ne résiste pas à une analyse plus approfondie de la question.
D’abord soyons clairs : couper les subsides aux AP ne peut avoir aucun effet bénéfique. Que gagne-t-on en leur enlevant les moyens financiers de gouverner une population abattue et désespérée? De plus, cette décision élimine la possibilité pour le Hamas d’agir en tant que médiateur et de contenir certaines factions dissidentes. Cette politique peut non seulement démoraliser, mais détruire l’engagement palestinien sur la voie de la démocratie, ruinant la stabilité politique et de ce fait anéantissant toute perspective de négociation pour la paix. Alors, pourquoi imposer des sanctions qui peuvent seulement conduire à une dangereuse désintégration de la situation politique actuelle ?
La dichotomie diplomatique pour appuyer cette raison officielle semble être la suivante. Les « Autorités Palestiniennes » AP, forment une institution créée en 1995 pour réaliser la décision implicite des Accords d’Oslo : soit, « Deux États » recevants de l’argent pour travailler à la réalisation des étapes requises (les Américains l’appellent la Feuille de route (Road Map) pour la création définitive de ces deux États. Or le Hamas ne reconnaît pas à Israël le « droit à exister » et n’a pas renoncé à la violence tout en ayant été élu démocratiquement par le peuple palestinien.
Jusqu’à ce que le Hamas accepte ces termes, qui est le mandat des AP, la communauté internationale peut prétendre que le Hamas fait perdre toute légitimité aux Autorités Palestinennes.
Malheureusement pour les partisans de cette rationalisation, cette explication s’est magistralement cassé les reins, car le premier ministre d’Israël lui-même doit accepter les termes des accords d’Oslo. Or, M. Olmert a déclaré lui-même la Feuille de route, lettre morte !
Sa politique de facto qui consiste à continuer de peupler la grande majorité du territoire de l’Ouest « West Bank » avec des colons juifs, est acceptée par tous les intervenants occidentaux bien qu’elle démontre la décision d’Israël d’annexer de grandes portions de ce territoire. La construction du mur qui se poursuit et les pénétrations de colons en territoire palestinien sont suffisantes pour démontrer que le plan réel d’Israël est déjà à moitié réalisé. Personne ne nie que ces développements signifient un démembrement définitif du territoire du présumé futur État Palestinien. Personne ne nie que les termes de l’Accord d’Oslo se sont en fait évanouis dans la brume du matin.
Il est donc évident pour celui qui regarde la situation, qu’il soit de la Communauté européenne, de la Norvège ou du Canada, qu’Israël a renoncé aux accords d’Oslo. Alors, pourquoi prétendre qu’Israël n’a pas nié ouvertement ces accords diplomatiques qui établissaient les termes de la reconnaissance du peuple palestinien et pourquoi faire porter au seul Hamas la faute de cette situation.
La première réponse est évidente: il s’agit d’une capitulation devant la pression des USA. La communauté internationale tout entière a été cajolée ou menacée afin d’adhérer, du moins en parole, aux accords d’Oslo, et est restée passive pendant qu’Israël et les USA rendaient impossible la réalisation de ces accords. Le non-sens diplomatique exige toujours certains palliatifs politiques et moraux. La version officielle est la suivante:
Si le Hamas reconnaissait à Israël le « droit à exister » et abandonnait le combat armé, alors existeraient à nouveau les conditions qui permettraient la poursuite des accords d’Oslo et susciteraient la volonté d’Israël de se retirer des territoires de l’Ouest en permettant enfin que la paix soit établie. Voyons de plus près cet argument.
Premièrement, c’est tout simplement incroyable ! Tous conviennent que le retrait des grandes colonies juives installées sur le territoire palestinien de l’Ouest, spécialement celles proches des principales villes comme Ma’ale Adumin, Ariel et Gush Exion n’est pas dans la mire d’Israël. Le gouvernement d’Israël lui-même a déclaré ces colonies permanentes. Aucun intervenant international ni aucune composition d’intervenants multiples n’a le pouvoir ou la volonté politique d’obliger Israël à changer sa politique. Israël ne retirera pas ses colons des territoires palestiniens sauf en cas d’urgence nationale. Le Hamas devenu soudainement gentil ne constituera pas une telle urgence.
Deuxièmement, l’argument adopte des réclamations israéliennes spécieuses au sujet de la logique arabe (théorie que seuls les vieux partisans d’Israël croient encore). La propagande israélienne soutient que la « haine » arabe pour Israël est irrationnelle, qu’elle provient seulement de la judéo-phobie, d’un fanatisme religieux et d’un retard culturel et qu’en conséquence seuls des moyens durs peuvent forcer les Arabes à capituler et à admettre la réalité d’Israël, alors même que la colonisation des territoires palestiniens de l’Ouest se poursuit. De ce point de vue, la main mise d’Israël sur les territoires de l’Ouest n’est pas une « Occupation » qui vise à l’annexion de ce territoire, mais seulement une bénigne administration qu’Israël est forcé de faire à cause du refus des Arabes et des Palestiniens de reconnaître à Israël le « droit à l’existence ».
Couper les vivres aux Autorités Palestiniennes érige cette fantaisie en absolue vérité en soutenant que le Hamas a rejeté les authentiques « promesses de paix » israéliennes à cause de son dogme islamique et non parce que le Hamas a des preuves évidentes et constantes qu’Israël n’a aucunement l’intention de laisser aux palestiniens un état viable. Cette opinion tordue, à l’origine de la décision de couper les fonds nécessaires à l’existence des AP, a pour objectif de faire en sorte que le Hamas reconsidère cette « irrationalité », abandonne ses positions « extrémistes », reconnaisse le « droit à exister » d’Israël et mette fin à toutes les actions hostiles contre eux. Le Hamas et les AP seront alors récompensés par un retour vers la Feuille de route née des accords d’Oslo.
Hormis son non-sens apparent (consciemment, les USA et Israël cherchent à éliminer les possibilités de réalisation de la Feuille de route le plus rapidement possible), des problèmes bien plus graves et plus profonds affectent le processus de paix. Quand on regarde avec attention ce qui est exigé du Hamas, on voit bien qu’elles n’ont aucun sens non plus.
En effet, qu’est-ce que le « droit à exister » veut dire exactement? Aucune loi internationale qui s’applique aux états qui s’y soumettent ne parle de « droit à exister ». Ce concept est né en diplomatie internationale pour les besoins exclusifs d’Israël. Il ne s’agit pas ici d’une simple reconnaissance du point de vue diplomatique, qui en fait est une reconnaissance de son existence. Ça ne veut pas dire non plus qu’on reconnaît à Israël le « droit à l’autodétermination », sinon on aurait utilisé ce terme n’est-ce pas ?
Disons pour les besoins de la démonstration qu’on demande au Hamas de reconnaître Israël par les voies diplomatiques habituelles. Dans ce cas, la position de la Communauté européenne serait intenable, car la reconnaissance diplomatique d’un État suppose un minimum d’information sur l’État qu’on veut reconnaître : le « droit à exister » où ? Les frontières d’Israël ne sont pas établies. Même les plans pour la détermination des frontières ne sont pas connus : avec une impressionnante effronterie, M. Olmert a annoncé que nous ne le saurons pas avant 2010 !
Il est tout à fait légitime pour le Hamas de demander qu’Israël confirme ses frontières avant que le Hamas le reconnaisse. La communauté internationale devrait également connaître ces frontières avant d’insister pour que le Hamas reconnaisse le « droit » d’Israël. Autrement, reconnaître à Israël le « droit à exister » sans connaître ses frontières serait reconnaître implicitement qu’Israël a le « droit à exister » dans les frontières qu’il se choisira dans les prochaines années.
Comme les Palestiniens ont plus à perdre de ce qui reste de leur territoire national avec ces arguments étourdissants, le Hamas refuse de l’approuver. Est-ce là une position islamique intransigeante justifiant qu’on leur coupe les vivres? À titre d’expérience de la pensée critique, il serait intéressant que les Canadiens, ou les Norvégiens, ou les Anglais, ou les gouvernements français se demandent ce qu’ils feraient si on leur demandait de reconnaître le « droit à exister » à un état voisin qui dispose d’une force militaire importante et colonise selon ses propres définitions ethniques selon la teneur de sa population, qui installe un mur pour définir qui est dedans et qui est dehors et tout cela sur le territoire national canadien, norvégien, anglais ou français, tout en promettant de donner aux habitants lésés leurs propres « cantons »?
En l’absence de frontières bien définies, reconnaître le « droit à exister » d’Israël doit bien vouloir dire autre chose. Et bien sûr, il y a autre chose. Il est clair que dans les mots le « droit à exister d’Israël » c’est le droit à exister comme état juif. En d’autres termes, le « droit » qu’on exige que le Hamas reconnaisse, c’est le droit d’Israël de mettre en place en toute légitimité sur le territoire palestinien, une population juive dirigée premièrement par des Juifs pour des Juifs. Dans un tel État, le Hamas serait ensuite appelé à soutenir toutes les lois et les politiques garantissant à la population juive la majorité sur le territoire, rejetant même le retour des réfugiés palestiniens exigé par le droit international. Or, bâtir un mur en territoire palestinien consiste essentiellement à protéger l’État juif des menaces démographiques de la masse des citoyens non-juifs c’est-à-dire les palestiniens. L’expulsion des palestiniens de leurs maisons et de leurs terres en 1948 se trouverait légitimée ainsi que les plans d’avenir d’Israël qui veut confiner le peuple palestinien dans des cantons.
Les leaders d’Israël ont déclaré ces mesures nécessaires pour préserver Israël comme État juif et démocratique tel qu’on peut le lire dans les termes de sa constitution (ces termes ont été repris et confirmés tant par MM. Sharon et Olmert et par presque tous les partis politiques que compte ce pays). Et pourtant ce n’est pas tant ce fait, reconnu et absolument évident de nettoyage ethnique, mais le droit d’Israël de poursuivre cette politique qu’on demande au Hamas de reconnaître?
Si on admet ces faits, on comprend plus facilement pourquoi depuis plusieurs décennies, tant le PLO que les états arabes et une importante partie de tous les musulmans du monde sont si réticents à reconnaître à Israël ce fameux droit à exister. Dans un geste pragmatique, les Palestiniens ont abandonné leur position traditionnelle en 1989-90, acceptant la solution des deux États. L’Union Européenne ne peut-elle pas alors insister pour que le Hamas reconnaisse à Israël le droit à exister puisque le PLO, les AP et tous les autres gouvernements du monde l’ont reconnu?
Le problème c’est que le quiproquo qui est à l’origine de cette reconnaissance, formalisée dans le processus des accords d’Oslo, est maintenant clairement détruit par la décision unilatérale d’Israël de se tailler une place et d’annexer des territoires palestiniens de l’Ouest (territoire qui devait être le nouvel État palestinien) et de placer les habitants palestiniens de ces territoires dans des cantons. Dans ces conditions, croyez-vous que le Hamas devrait reconnaître à Israël le « droit à exister » si cela doit éliminer toute souveraineté palestinienne?
Mais le problème le plus embarrassant toutefois c’est que les États de la communauté européenne n’ont pas eux-mêmes explicitement reconnu à Israël le « droit à exister ». Ni le Canada, ni la Norvège, pas plus que les Nations Unies. Ils ne l’ont pas fait parce qu’ils ne le peuvent pas !
Cela surprendra peut-être certaines personnes, mais les Nations Unies n’ont pas utilisé le terme « État Juif » depuis 1947. La résolution 181 parle d’État Juif et d’État Arabe avec des frontières manipulées de telle sorte qu’il y ait des majorités juives et arabes selon les besoins. Mais cette tentative a vite été rendue désuète quand les forces sionistes ont établi Israël dans une bien plus grande portion de territoire qui comptait une majorité substantielle de résidents arabes qui furent expulsés manu militari. Selon la Convention de Genève, ces réfugiés ont le droit de retourner dans leurs maisons, leurs villages et leurs villes. Mais ce retour éliminerait la majorité juive de ce qui est devenu Israël et Israël s’y oppose.
C’est pourquoi les Nations Unies ne peuvent pas reconnaître Israël comme État juif (car cet État ne peut légitimement soutenir posséder une majorité juive) sans contredire les droits des réfugiés palestiniens, droits reconnus par le droit international. Quand les Nations Unies font référence à Israël aujourd’hui, ils ne parlent pas d’Israël comme d’un État Juif, dans les vieux termes que la majorité ethnique de 1947 l’entendait, parce qu’Israël ne peut pas obtenir de « droit » à une démographie ethnique qui empêcherait le retour des réfugiés palestiniens.
De plus, les temps ont tout simplement changé. En 1947, le nationalisme ethnique semblait toujours avoir un certain sens, bien qu’il était déjà critiqué à cause des abus redoutables commis par l’Allemagne et le Japon. Aujourd’hui, reconnaître le droit de n’importe quel État de se composer légalement sur la base d’une majorité ethnique serait contraire aux conventions des Nations Unies et ne tiendrait pas compte des chartes des Droits humains et de non-discrimination. En conséquence, les Nations Unies et les États européens ne pourraient pas reconnaître à Israël le droit de se composer sur une ethnie ou une religion. Quelle politique pourrait-on soutenir alors au Rwanda, au Soudan au Cachemire en Afghanistan au Kosovo, et bien d’autres endroits sur la terre.
Alors, les États-Unis ont coincé le Canada et la Norvège dans une trappe diplomatique en leur faisant prendre une position intenable. Si ces pays veulent absolument que le Hamas reconnaisse Israël comme un État juif (avec le droit de protéger la majorité juive) alors, ils devront également admettre clairement qu’ils endossent en fait l’idée qu’il y ait des gouvernements basés sur une majorité ethnique. Si ces États ne peuvent pas eux même reconnaître à Israël ce droit à l’ethnocratie parce que cela contredirait la loi internationale aussi bien que leur propre diplomatie dans bien d’autres parties du monde, leur propre charte des droits de la personne y compris, alors sur quoi se basent-ils pour demander au Hamas de reconnaître ce droit qu’ils ne reconnaissent et ne peuvent pas reconnaître eux même.
Pire encore pour eux, ils adhèrent aux normes internationales en insistant pour que l’État de Palestine adopte une démocratie stable qui fixe l’égalité des droits pour tous ses citoyens sans égard à la religion ou à la race. Mais s’ils obligent les Palestiniens à ces normes pourquoi alors n’en demandent-ils pas autant à Israël?
C’est que s’ils demandaient cela d’Israël alors tout l’argumentaire à la base de la théorie des deux États s’évanouirait. La Feuille de route est basée sur cette prémisse qui suppose que la seule solution pacifique est la création d’un État pour les Juifs et d’un État pour tous les autres habitants de cette région. Si le « droit à exister » d’Israël ne veut pas dire le droit de soutenir une majorité juive (avec toutes les lois et protection ethniques, l’annexion de territoire et le pouvoir social) alors la logique ethnique qui veut deux États disparaît. Pourquoi créer deux États séculiers démocratiques, l’un à coté de l’autre, sur une si petite terre? Personne ne peut articuler une réponse, car la démocratie ethnique est leur seul raisonnement.
Alors, que demandent réellement au Hamas les États européens, le Canada et la Norvège ? Ils veulent que le Hamas reconnaisse l’État d’Israël dans sa spécificité ethnique, avec le « droit à exister » où il le voudra, de définir ses frontières quand et comment bon il lui semblera. Ce qui voudrait dire non seulement le suicide du peuple palestinien, mais la violation de tous les principes de leurs propres valeurs et lois internes de non-discrimination. Quoi, on voudrait que le Hamas ignore cet aspect du problème et reconnaisse Israël comme un État normal ? Même si normal voulait dire ici non ethnique, ce qui obligerait Israël de permettre le retour des réfugiés palestiniens, cela impliquerait alors que les États Européens, le Canada et la Norvège refusent de soutenir la position israélienne d’une vaste majorité juive?
Cette histoire invraisemblable devrait tenir les parlementaires, les diplomates, tous les ministres des Affaires étrangères de tous les pays du monde sur les dents pour essayer de comprendre leur propre position plutôt que de couper les vivres aux Autorités Palestiniennes et de faire capituler le Hamas. Car ce n’est pas seulement le gel des fonds qui rend cette Feuille de route impossible, c’est la logique -même de la Feuille de route sur le principe de « deux États » qui n’a plus aucun sens.
Que les auteurs qui ont proposé cette solution restent éveillés toutes les nuits et contemplent leur propre confusion et les sanglantes conséquences qui immanquablement en découleront.
Viginia Tilley est professeure associée en Sciences Politiques et Relations Internationales, des Collèges Universitaires de Hobart et William Smith Elle et l’auteure de « One-State Solution »….La solution UN ÉTAT ….un passage vers la paix dans le problème Israélo-Palestinien… Elle est présentement au Centre des Études Poliques de Johannesburg en Afrique du Sud et on peut la rejoindre (autant que possible lui écrire en anglais) à tilley@hws.edu
Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage disait ton père. Tu te rappelles ? Comme tu me le soulignes dans ta dernière lettre, elle ne provient pas de l’Odyssée d’Homère, mais du premier vers du sonnet XXX1 des Regrets du poète du Bellay, peignant ainsi la nostalgie du pays natal. Le voyage atteint sa beauté quand on a la chance de retourner au pays de ses origines pour y mourir en paix entouré de ceux qu’on aime.
C’est en retournant enseigner aux enfants des enfants du camp Ste-Rose que j’atteignis enfin la sérénité du pays natal, pour y mourir en paix entouré de ceux que j’aime, les magnifiques de ce monde qu’ils soient philosophes ou poètes.
Alors que la plupart des professeurs de philosophie prennent leur retraire à cinquante-cinq ans, je commence la mienne. Ma barbe est grise, mes cheveux longs et encore nombreux parsemés de blond et de blanc. Mes paroles rares, mes oreilles grandes ouvertes et mes yeux émerveillés.
Je suis rendu à l’âge où aucune vérité n’est sûre. D’où est-ce que je viens ?, qui suis-je ?, où vais-je ? je me baigne dans la jouvence de mes adolescents et adolescentes pour mieux me ressourcer. Quand « ils » ou « elles » sont autour de moi dans la classe, à refaire le monde, je vois en eux des bateaux de nouveaux Ulysse en train de se construire au quai même de leur existence. Discrètement, je donne à manger aux oiseaux en les regardant œuvrer à donner un sens à leur vie. Et quand ils ou elles s’en retournent chez eux ou chez elles, je raconte à ma lune combien mes futurs marins me bouleversent à la veille de partir, à leur tour, à l’aventure de leurs rêves.
Je t’aime Marie
J’irai te voir aux Marquises
Durant les vacances d’été
Un des fils d’Ulysse
FIN
Quand nous vîmes Clermont an arrivant aux barrières de l’aéroport de Dorval, les filles et moi disparûmes dans ses bras. Nous pleurions les quatre sans honte. Mélange du bonheur de se revoir et d’un passé commun dont nous ne possédions chacun et chacune qu’une mince partie. Après avoir déposé nos bagages dans un hôtel du centre-ville de Montréal, Clermont et moi repartîmes, laissant les filles vivre la merveilleuse folie des spectacles gratuits en plein air, tout autour de la Place des Arts.
Comme l’enterrement est demain matin, dit Clermont,
J’imagine que t’aimerais en profiter pour visiter.
C’est loin Ste-Agathe ?
Une heure d’ici.
Si mon père était avec nous
Il dirait :
Monsieur Clermont
Auriez-vous la bonté
De nous amener souper
Au Patriote
Pour entendre chanter
L’écho du chanteur fantôme ?
Clermont se souvenait très bien de mon père. De ses longues marches avec Renaud dans le Vieux Montréal, comme il avait aussi assisté discrètement à celles du poète Paul Gouin. Comment avait-il pu prendre une si grande importance dans nos vies ? Mélange de bonté, d’humilité et d’intelligence.
J’ai eu la chance
De connaître intimement trois poètes dans ma vie
Ce qui fait que même en voyage à travers le monde
Perdu dans la monotonie d’un bateau de croisière
A faire la cuisine pour les privilégiés de la société,
Je me sens un homme riche intérieurement.
Je n’ai jamais oublié que
Les poètes nous apprennent l’essentiel.
C’est quoi l’essentiel Clermont ?
La lune, Marie, la lune.
Que je sois n’importe où sur les mers du monde
Je regarde la lune
Parfois avec les yeux de Monsieur Gouin
Parfois avec ceux de ton père, Monsieur Rodolphe
Parfois avec ceux de Renaud
Et jamais avec les tiens ?
Mmm
Bonne question…
Les poètes dansent quand ils regardent la lune
Nous on essaie
On y arrive parfois.
Un homme qui s’était suicidé en se jetant
En bas du pont Jacques Cartier
Avait, avant de mourir,
Écrit à la craie une phrase extraordinaire :
Quand le sage pointe la lune
L’imbécile regarde le doigt.
Nous arrivâmes au Patriote. Clermont me présenta un jeune couple, Pierre et son épouse Lucie, lui concierge et responsable du bar et, elle, à la billetterie autant qu’au service aux tables, dont il disait devant eux d’ailleurs qu’ils étaient des artistes dans la manière d’élever leurs enfants. L’humoriste Yvon Deschamps donnait son spectacle vers vingt heures. On pouvait donc se restaurer dans le théâtre même.
Le chanteur a été remplacé par une cassette cette année
Question de budget.
Je peux monter dans la boîte où Renaud chantait ?
Bien sûr.
L’escalier ressemblait à ce qu’on devait retrouver sur les bateaux. En colimaçon serré, simples barres de métal. L’endroit n’avait pas été nettoyé. Il y avait encore des bouteilles d’eau vide, Un restant de barre tendre. Effectivement, la vue sur la salle était magnifique, une vraie peinture de Toulouse-Lautrec, avec des rouges traversés de jaunes venus de la lumière directe du plafond à te couper le souffle. La cassette jouait les chansons des chansonniers des boîtes à chansons et des boîtes d’animation des années soixante et soixante-dix. Le passé s’éloignait à la vitesse des paquebots quand ils sont portés par le vent. Lucie nous dit entre deux versements de pichets d’eau :
Renaud nous a quitté trois jours
Avant la fin de l’été.
On ne l’a jamais revu.
Il avait été tellement heureux
De chanter ici
Qu’il ne pouvait supporter
Que cela ait une fin
Et l’idée de participer
A une fête des employés
Lui était insupportable.
Clermont me raconta, qu’il l’avait d’abord accueilli lors de son rapatriement du Kosovo par l’Ambassade du Canada. Et que Renaud n’avait cessé de le remercier pour son empathie face à un homme qui n’aurait été plus rien pour personne, n’eut été de son passeport.
Il avait vécu
Les attaques amoureuses de l’instant présent
Même dans les pires moments.
Et jamais il ne s’était senti abandonné
Ne fusse une seconde.
Il m’a raconté, qu’entre la vie et la mort,
Il avait été prêt à mourir
Devant tant de beauté et de béatitude
Mais que l’instant présent
l’avait repoussé en cette vie
Parce que l’heure n’était pas encore venue
Les mots des poètes lui demandant de témoigner pour eux.
En dansant encore la vie
Puisqu’il ne savait que faire ça, danser la vie.
Le repas fut magique. Le pain était fait maison. Le couple qui se tenait debout devant le buffet à trois volets témoignant avec leur enfant entre eux et le ventre rond de la mère , de la droiture de leur engagement, pour le meilleur et pour le pire.On s’était arrangé pour que la voix vienne du plafond comme si le chanteur-fantôme était encore là.
Au retour, nous arrêtâmes à Val-David. Renaud y avait habité tout l’été, comme bien des étés par le passé. Nous refîmes sa promenade. La rivière du parc des amoureux, la balançoire de la sapinière, le sentier du Mont Condor et le café chez Steeve. Quand nous croisâmes la femme pauvre vendant des œufs, cela m’émut profondément. Ainsi donc, tout ce que rapportait son journal était strictement vrai. Nous osâmes cogner à la porte des deux artistes qui avaient failli déménager. Et ils se rappelaient de cet étrange Monsieur qui les avait suppliés de ne pas partir pour ne pas briser la poésie de sa promenade.
La Butte à Mathieu était toujours là, à quelques pas de la maison, le chemin de pierre, le trou sous la scène pour déposer les cendres. Clermont avait la clé. Nous entrâmes dans le carré où avait vécu Renaud. Comme dans ses écrits. Plein d’objets douteux au passé embrouillé.
Tu vois Marie,
Le passé n’a de valeur
Que lorsqu’il a été vécu
Avec la poésie de l’instant présent
Le père Gouin, ton père et Renaud
Comme tous les poètes
Ont toujours dit la même chose
Dans des mots différents
Le même message que les philosophes
Les sculpteurs, les peintres.
Comme le grand peintre canadien, Ozéas Leduc
Dont Renaud répétait sans cesse la phrase-clé
Avant de reprendre la route juste pour danser la vie
Avec les poètes universels.
« La vie est mon unique aventure »
Nous remontâmes à Montréal. Clermont m’offrit d’aller chercher les filles pour faire un tour dans le Vieux Montréal. Comment cet homme pouvait-il, non seulement lire dans les pensées, mais permettre au meilleur de soi-même d’y écrire les mots les plus tendres. Curieusement, nous stationnâmes devant le conservatoire de musique sur la rue Notre-Dame à quelques minutes de marche de la Place Jacques Cartier.
Tu savais que Renaud y a déjà enseigné la philosophie ?
Il devait avoir trente-deux ans, à l’époque..
Il se considérait comme un prof de première ligne
Dont la vocation consiste à
Enlever toute croyance du cerveau de l’élève
Pour faire surgir le bonheur,
l’étonnement de l’homme qui ouvre les yeux
Sur le monde comme si c’était la première fois.
Il faisait dormir les élèves par terre
Parce que vaut mieux dormir que de veiller en somnambule.
Il ne corrigeait jamais les travaux des élèves
Il les pesait.
Les élèves jouaient aux échecs
Pour apprendre le bonheur de perdre.
Il leur faisait lire des bandes dessinées
Pour ne jamais oublier que toute réponse savante
Est une illusion de la vanité de l’ego
Comme toute opinion qui tente de vaincre l’autre d’ailleurs
Et qu’il ne suffit surtout pas d’être prof de philo
Pour être philosophe.
Il opposait à la maïeutique de Socrate
Comme à la caverne de Platon
L’innocence de l’enfant qui gambade dans les champs
Qu’importe le soleil de la vérité
En autant qu’il réchauffe le cœur.
Quand nous descendîmes la Place Jacques Cartier, c’est tout mon passé qui remonta les pierres usées mal cimentées les unes aux les autres, pour m’accueillir, simplement m’accueillir. Nous passâmes par la ruelle des peintres. Le décor était le même , mais tous les personnages avaient été remplacés par des acteurs de service. On avait ouvert des cours intérieures pour endiguer le flot intense de touristes de tout genre.
Le St-Vincent avait été racheté par Robert Ruel, le propriétaire du Pierrot, deux Pierrots, boîtes d’animation qui tenaient encore le coup après trente ans d’existence alors que toutes les boîtes du genre avaient disparues à travers le Québec. Et pour éviter de se faire concurrence à lui-même, il avait revendu l’édifice du St-Vincent à condition expresse que cela ne redevienne jamais une boîte à chansons.
Nous redescendîmes la rue St-Paul. Le restaurant du Père Leduc ayant disparu avec lui, nous continuâmes jusqu’au pont des malheurs. Et je récitai aux filles le poème de Renaud dont je n’avais jamais oublié les paroles, un poème étant comme une chanson, pouvant être chanté grâce à la musique des mots, jusqu’à ce que l’éternité se meure de bonheur de s’éterniser devant deux amoureux heureux.
SOUS LE PONT DES MALHEURS
Et si ton corps était un beau ruisseau
Il coulerait lentement le long de la rue Berri
Se faufilant pour s’arrêter soudain, transi comme un voleur
Là ou gît la rue Notre Dame qui ne laisse passer
Que les poètes et les femmes
Passe, Passe, fillette te dirait-elle,
Les créateurs ont faim
Ils t’attendent.
Donne-leur ton eau, de l’autre côté dans un tout petit café
Mystérieux, peu connu et c’est tant mieux
Pour les folies des amoureux
Petit ruisseau
Quand mes amis auront bien bu
Ils te jetteront ensuite dans le fleuve, heureuse,
Comme une vierge assouvie gémissant dans l’éternité
L’étrange décor du café du port.
La boîte à chansons de Jean Marcoux avait été démolie pour faire place à un édifice à logements. Lorsque je voulus montrer ma chambre du Vieux Montréal sur la rue St-Paul, je me buttai à un magnifique condo.
Je me rendis compte, comme Clermont l’avait dit, que cette partie de mon passé me rendait encore heureuse, presque trente ans plus tard, parce qu’il avait été vécu avec poésie. Vint se greffer l’image de ma mère, m’ayant accompagnée dans le Vieux Montréal et s’apprêtant à monter dans ma chambre où Renaud avait écrit une note sur ma porte qui disait quelque chose comme :
« J’ai loué la chambre en face de la tienne, j’arrive lundi »
Que la mémoire joue à la fois des tours sur des détails anodins et peut,en même temps, immortaliser dans la cire du bonheur un poème et le lieu où il fut récité.
Maman, dit Frannie
Que ce fut joli ton passé
Dommage qu’il soit trop tard
Pour visiter le camp Ste-Rose.
Pourquoi pas fit Clermont ?
La poésie c’est oser
Signer sa vie
À chaque seconde.
Il était une heure du matin quand nous arrivâmes devant une chaîne marquée : Défense d’entrer, propriété privée. Tout semblait inhabité. Les filles restèrent dans l’automobile pendant que nous passâmes sous la chaîne, juste pour voir.
On s’croirait à l’été 1973 Clermont.
Tu te rappelles de Jean-François Brisson ?
Il est devenu médecin spécialiste
Des chirurgies cardiaques.
Il a acheté le domaine des religieuses
Il y a dix-huit ans
Il a remis les lieux exactement dans l’état
Où ils étaient lors de la dernière soirée
Du chevalier de la rose d’or.
Il a créé une fondation des anciens de Ste-Rose
Et tout est resté tel quel
En vue du rendez-vous de 2001
On va probablement tous se rassembler ici
Demain après l’enterrement.
Pourquoi on ne m’a jamais parlé de la fondation ?
Demandai-je étonnée.
Parce qu’elle était réservée uniquement aux enfants
Au cas où ils auraient de la difficulté à grandir
En cours de route.
Jean-François et Natacha exigeant
Que leurs actions restent du domaine
De leur vie personnelle jusqu’en 2001
Alors j’ai respecté leur vœu.
Cette confidence m’ébranla profondément. La fondation des clients du St-Vincent avait donc tenu bon. Jean-François avait pu étudier et réussir dans la vie. Depuis ce temps, il s’inquiétait des autres, les soixante et onze de l’été de la chasse au trésor, dont il ne pouvait accepter qu’ils se noient dans le marasme consécutif aux épreuves dont ils n’avaient pas demandé les morsures lors de leur petite enfance. Il avait soutenu un des deux jumeaux dans l’enfer de son alcoolisme et avait hébergé l’autre le temps qu’il sorte des affres de son divorce. Même Chantal la plus que grassette avait réussi à fuir le monde de la prostitution parce qu’il lui avait payé son loyer durant un an en autant qu’elle change de ville et qu’elle se reprenne en main. Il s’était marié avec Natacha Brown, avait pu retrouver sa mère avant qu’elle meure et faire en sorte que son père puisse lui demander pardon pour les années d’horreur qu’il lui avait fait subir du temps qu’il était pris dans l’engrenage de la pègre.
En fait, Jean-François s’était fixé un objectif. Que tous ceux et celles de l’été 73 arrivent à l’an 2001 avec la fierté de s’en être sortis, à l’encontre de toutes les statistiques officielles, et cela dans la dignité et dans l’honneur. Pour lui, mourir en paix signifiait n’avoir jamais manqué à la solidarité des humbles, celle pour qui un seul geste représente le sens de toute une vie. On est rien sans partage. Et on connaît le bonheur du plein dans le rien après avoir partagé.
Et la fondation des clients du St-Vincent ?
Elle a payé les études de plusieurs
Quand je suis parti travailler sur les bateaux
J’ai continué à envoyer mes cotisations
On est une trentaine éparpillés
A travers le monde
Elle porte le nom de
Chant-o-thon 73
En souvenir de l’époque.
Nous nous dirigeâmes à tâtons. L’édifice de l’administration étant barré à clé, nous trouvâmes finalement un fanal devant le caveau à patates. Nous l’allumâmes et nous dirigeâmes vers la forêt . Tout autour de la maison en décomposition, les râteaux et les pelles de cet été-là avaient été attachés deux par deux à des arbres. Même le trou où avait été découvert le coffre n’avait pas été rempli.
En remontant vers la salle communautaire, nous vîmes le bivouac sur la plage, avec à l’horizon, en plein milieu du lac, donnant face à la lune, la roche sacrée. Nous eûmes beau essayer de pénétrer par infraction, fenêtres et portes étaient solidement verrouillées elles aussi. Pendant que Clermont faisait le tour du bâtiment, je montai l’escalier extérieur. Rendu en haut. Je figeai de joie que cela fut possible.
Rien n’avait bougé depuis 28 ans. Tous les bâtiments étaient là, inhabités dans la noirceur diamantée de millions d’étoiles. Le temps n’aime pas qu’on lui échappe par des états paradoxaux. J’avais en même temps 21 ans et 49 ans. Etait-ce la surprise du paradoxe ? Vivre la même chose à deux époques différentes ? Je me sentis instantanément propulser dans un étonnant délice d’éternité qu’encore aujourd’hui j’aurais de la difficulté à nommer.
Pas de peine, pas de souffrance, pas de deuil, pas de mal, par de surdose d ‘adrénaline, pas de plongeon dépressif… C’était comme si j’étais tout et que tout était moi, le tout respectant le fait que mon moi fut différent du tout, tout en m’y imergeant…. Oh God…. C’était donc ça l’éternité de l’instant présent de mon père et la fissure du temps de Renaud, le coup de sabot sur la tête de Rousseau.
J’y étais enfin. Mon père m’avait déjà dit que cela surprendrait comme un voleur. Et pour le poète Paul Gouin, quand il levait les deux doigts en V comme Churchill pendant que Renaud chantait, cela signifiait qu’il avait réussi à accoster dans l’île.
Les arbres dansaient de joie autour de moi, même le vent avec cette fraîcheur dont parlait mon père dans son journal. Et ce torrent d’éternité auréolant le ciel et ce bonheur succédant au bonheur de Gauguin….
Mais c’est le ÇAJE de mon père, me dis-je
Et je fus émerveillée que cela me fut arrivé
Au moins une fois dans ma vie.
Je venais à mon tour de passer
par la fissure du temps
et, comme Rousseau, jamais je ne pourrais oublier
cet océan d’éternité,
présent même dans la rivière du passeur de Sidharta.
Je compris pourquoi mon père n’arriva jamais à me faire vivre ces états de béatitude. Ce n’est pas une religion qu’on enseigne. C’est une naissance intime et personnelle de l’univers en soi, comme une goutte d’eau infinie qui se dépose sur les pétales de ses sens sans autre but que de laisser l’infinité de sa fragilité chanter en soi.
Le temps,
Quand t’es dans l’être
C’est une succession
De magnifiques instants présents.
Et je me sentis exactement comme le ier paragraphe du journal de Renaud :
Il s’abreuvait depuis toujours aux frissons de l’éternité. Cela lui semblait si naturel qu’il n’avait jamais pu comprendre comment il se faisait que l’on puisse souffrir. Son corps de 51 ans lui avait toujours paru en état de jeunesse. La pureté de l’âme, la sensation continuelle de flotter deux pieds au-dessus du sol, le rythme lent, amoureux, étonné, charmé. La sensation de ne rien peser, de se fondre dans le tout avec ravissement, de saisir dans ses mains l’air comme des milliers de pépites d’or. Etait-il artiste, poète de la vie, amant de l’être ou son enfant naissant encore aux langes ?
Les filles vinrent finalement nous rejoindre au moment où Clermont réussit à ouvrir la porte du dortoir. Nous montâmes comme des enfants qui la nuit décident de conquérir leur liberté pendant que les parents dorment encore. J’ouvris la lumière.
Chaque lit était occupé par quelqu’un en pyjama avec un panache d’indien sur la tête.
Zum galli galli galli zum
Galli galli zum
Le feu de l’amour brûle la nuit
Je veux te l’offrir pour la vie.
Jean-Francois ! ! ! ! !
criai-je autant de peur que d’excitation.
Et tous les lits de se vider avec du monde se précipitant sur moi. Ça s’embrassait, ça pleurnichait, chacun jouant avec moi à la devinette. Qui suis-je ? Mais je n’arrivais pas à reconnaître personne. Tiens deux personnes qui se ressemblent comme des jumeaux, ça doit être eux autres… un plus que grassette, une moins que rectiligne….mes ex-enfants.
Un discours… un discours… un discours….
On m’avait préparé une scène et un micro. La fondation des enfants de Ste-Rose avait donc fait un spécial juste pour moi, en dépit des circonstances tragiques. La mâchoire tremblotante et mes mains, chaque fois qu’elles tenaient de dessiner mes émotions dans l’espace, retombaient hagardes pendant que ma tête tournait de gauche à droite incapable de croire que cela puisse m’être destiné, comme pour me consoler de la perte d’un rêve d’amour. Je vis par le sourire de mes filles comme celui de Clermont qu’elles étaient au courant depuis quelque temps déjà.
C’est à ce moment-là que les patibulaires entrèrent, avec leurs vieux costumes quelques uns plus chauves que chevelus avec à leur tête Jos Leroux.
Il y a 28 ans
Nous fûmes les seuls à ne pas avoir de smarties
Cette année, on veut être les premiers
A piger dans le coffre.
Et les huit policiers à cheveux maintenant plus gris que colorés entrèrent, suivis des parents du St-Vincent devenus grands-parents, suivis des parents des enfants du camp Ste-Rose devenus adultes. Le coffre arriva en même temps que les deux avocats, le juge Boilard étant mort depuis belle lurette. On le déposa à mes pieds.
Un discours… un discours.. un discours… Jos s’approcha du micro.
Barnak, que c’est bien organisé
Quelle belle manière de vivre
L’enterrement de Renaud
Avec poésie
Comme il l’aurait souhaité.
Et ce fut le silence, étonnant silence.
Tu veux dire quelques mots Marie
Avant qu’on pige dans le coffre
Comme y a 28 ans ?
Mes très chers amis
Ben làlàlà
Ben làlàlà
J’avais déjà raconté cette histoire à Madame Martin
Le matin de la mort de Monsieur Gouin
Vous vous souvenez les gars
Quand vous vous ventiez de vos conquêtes amoureuses
Et Jos de sa pompe à gaz ?
Ben làlàlà
Ben làlàlà
Ben une fois partie
J’avais dit à Jeanne
Que quand j’étais petite
Je demandais à mon père ;
Papa, est-ce que moi aussi un jour, je connaitrai le grand amour ?
Mon père prenait une pause, fermait les yeux,
Levait le bras droit bien haut comme s’il s’adressait à la terre entière
Et déclamait :
Si chaque nuit tu en fais la demande à la vie,
Elle te rendra plus fougueuse que Scarlett Ohara
D’autant en emporte le vent,
Plus gémissante qu’Héloïse pour Abélard
Dans la nuit des temps,
Plus pure que Juliette dans les bras de Roméo
L’embrassant
De telle sorte qu’un soir, un mystérieux soir
Un beau prince, ombrageux et charmant
Posant genou aux pieds de tes royaux atours
T’offrira et son cœur et son or
Et la terre entière chantera
En cet instant présent
Ils vécurent heureux
Et eurent beaucoup d’enfants
Au paradis…Millénaire
De la poésie des bien-aimés
De l’île de l’éternité
Ce soir,
Comme il y a 28 ans
Si Anikouni se présentait devant moi
Et me disait
Devant les enfants du camp Ste-Rose :
Princesse Miel
Voulez-vous m’épouser ?
Je lui répondrais
Aimez-moi tout simplement
Mon père m’a de toute façon
Mariée à votre poésie depuis ma naissance.
Deux larmes coulèrent le long de mon visage. Jos me prit dans ses bras devant tout le monde. Puis, d’un ton grave, il dit au micro :
Tout le monde debout s’il vous plait
Je demanderais une minute de silence
Non pas en mémoire de Renaud
Mais de tous les poètes
Dont il fut une mémoire vivante.
J’ai souvent entendu dire que lorsque l’on meurt, on revoit notre vie entière à la vitesse de l’éclair. Ce fut le cas pour moi durant cette minute-là.
CAIA…. Fit Jos
BOUM répondit l’assistance avec un rire un peu triste.
Renaud n’aurait pas voulu d’un enterrement triste
Alors en tant que chef des patibulaires
Qu’on ouvre le coffre
Pour que comme il y a 28 ans
Les enfants du camp Ste-Rose
Se jettent dans les smarties
Mais après mes frères patibulaires
Ben lalalala
Ben lalala
Je ris de bon cœur moi aussi. Le souvenir du procès conduisant à la surprise des smarties dans le coffre restait un moment si magique pour chacun de nous. Jos fit sauter le cadenas du coffre comme mon père jadis, d’un coup de hache. Jos leva le couvercle.
Je vis soudain dans le coffre, surgir au beau milieu des smarties une tête d’homme à barbe blanche Je reculai en criant d’horreur pendant que tout le monde se roulait de rire. Et le fou dans le coffre qui n’arrêtait pas de crier
VIVE LA POÉSIE VIVE LA POÉSIE
J’approche… je regarde….non Ah ben Barnak hurlai-je Renaud
Je m’approchai du coffre, l’embrassant comme une folle pendant que Jos m’accusait de sabotage ayant peur que je lui vole les premiers smarties. Quand je vis Clermont et les filles se tordre de rire elles aussi, je réalisai à quel point on s’était payé ma tête. Et je me mis à faire le tour de la salle, sautant d’un lit à l’autre, criant comme une folle.
Ça se peut pas
Ça se peut pas
Vous êtes une gagne de…
J’ai payé $20,000 pour qu’on se paye ma tête
Vous êtes une gagne de….
Ben lalala
Ben lalala
Je donnais une gifle à un, mordais l’autre, sautais dans les bras du troisième, une vraie folle, incontrôlable. Et je finis par me rouler de rire et de pleurs en embrassant Renaud, puis en embrassant le coffre, puis le micro, puis les smarties un par un.
Et Jos de crier
Vive la poésie
Hip hip hip……Hey Hip hip hip……Hey
Tout le monde se mit à lancer des smarties, puis les plumes de taies d’oreillers surgirent de partout. Et c’est dans cette tourmente que je ne cessai d’embrasser Renaud incapable de quitter sa bouche, ses lèvres, tâtant son corps de partout n’arrivant pas à croire qu’il vive si poétiquement en ces lieux et en moi.
CAIA….cria Jos
BOUM…répondit la salle
Prenez une torche à la sortie et tout le monde à la plage.
Tout le personnel du camp de l’époque nous attendait devant le bivouac allumé, Robert, l’ex-directeur du camp en tête. Renaud mit un genou par terre.
Princesse Miel
Acceptez-vous de m’épouser ?
Aimez moi tout simplement
Mon père m’a de toute façon
Mariée à votre poésie depuis ma naissance.
Il m’entraîna par la main. Nous nageâmes jusqu’à la roche sacrée pendant que les chansonniers sortirent leur guitare. Autour du feu.
Et Renaud qui n’eut cesse de crier sa joie à la lune, les deux mains en porte-voix :
Vive la poésie
On a réussi
On a réussi
Et pendant que, couché sur le dos, il dégustait ce moment de beauté volé à la réalité, je lui fis sauvagement l’amour pour m’engorger de lui. Puis, avant qu’il ne dise mot, je sautai à l’eau et nageai sans regarder en arrière. Rendue sur la plage, on se pressa de couvrir ma nudité d’une couverture, étant trop heureuse pour ressentir quelque besoin que ce soit de pudeur indue. Et je me mis à crier à répétition.
Renaud
Je ne pars pas pour Vancouver.
Il sauta à l’eau et vint me rejoindre à la nage, sans vêtements lui non plus. Nous fêtâmes toute la nuit dans la douceur des chansons du St-Vincent de l’époque, le simple émerveillement d’être encore vivants, amoureux , aussi nus qu’Adam et Eve sur l’île de l’éternité de l’instant présent avant qu’un pommier n’y soit installé… simple erreur d’un paysagiste nommé Dieu.