Il m’arrive souvent de rencontrer dans mon entourage, composé parfois d’ex-militants de gauche, parfois d’humanistes et très souvent de personnes désabusées par la politique, des tenants d’un repli individualiste que le virage à droite des 25-30 dernières années aura complètement médusées. La « mort des idéologies », comme la mort dans l’âme, laisse l’individu seul avec sa propre conscience face à une humanité dont le poids et les contradictions illustrent bien notre petitesse et notre impuissance apparente malgré la « fin du bipolarisme » que d’aucuns pressentaient comme la promesse d’un avenir meilleur.
Mort des idéologies ? Il faut croire que non, car la religion a connu un nouvel essor depuis les années ’90, autant par la prolifération des sectes que par la mainmise de certaines religions sur l’État. En particulier là où ces religions constituaient le seul rempart pour contrer l’hégémonie des grandes puissances. À côté des sectes et des religions plus classiques, des théories nouvelles sur l’individu et la société ont fait leur apparition. Parmi ces théories dont plusieurs apparaissent nettement farfelues et complètement ésotériques, certaines se donnent quand même une image plus sérieuse, « scientifique » et nettement plus attrayante. C’est dans ce groupe que je serais porté à ranger la sociobiologie qui tente de donner une explication scientifique, basée sur l’origine génétique, des différents comportements humains.
Voici la définition de la sociobiologie, telle qu’on peut la lire sur le site www.sociobiologie.com :
La sociobiologie est l’étude systématique (souligné par moi. c.d.) des bases biologiques du comportement social. C’est une branche de l’éthologie, elle se rattache au courant défendu par Irenäus Eibl-Eibesfeldt fondateur du premier institut d’éthologie humaine en Allemagne. Le terme sociobiologie a été popularisé par l’entomologiste américain Edward O. Wilson dans son livre Sociobiology: The New Synthesis. La sociobiologie tente de comprendre et d’expliquer les comportements sociaux des animaux (et des hommes) à la lumière de la sélection naturelle et d’autres processus biologiques. Une de ses thèses centrales est que les gènes (et leur transmission) sont la motivation centrale du combat des animaux pour leur survie, et que les animaux vont avoir un comportement qui maximisera leurs chances de transmettre des copies de leurs gènes à la génération suivante, cette nouvelle théorie complète le néodarwinisme dans son explication de l’évolution de la vie sur terre. La sociobiologie a grandement contribué à la compréhension du comportement social des animaux. Elle explique le comportement apparemment altruiste de certaines espèces animales comme étant génétiquement égoïste. Cet aperçu nous aide à expliquer pourquoi les fourmis soldats se sacrifient pour défendre la colonie, ou pourquoi les abeilles ouvrières évitent la reproduction afin d’aider la reine reproductrice. La sociobiologie peut dans certains cas expliquer les différences comportementales entre mâles et femelles comme le résultat de la différence de stratégie que les 2 sexes doivent avoir afin de transmettre leurs gènes à leur postérité. La sociobiologie est plus controversée, lorsqu’elle essaye d’expliquer les différends comportements humains comme étant une adaptation des comportements reproductifs.
Essentiellement, les sociobiologues sont constamment à la recherche d’une explication génétique aux divers comportements humains, qu’ils soient de nature individuelle ou sociale.
De l’individu à l’individualisme
Le caractère déterminant du gène dans les comportements de l’individu n’est certes plus à démontrer. La génétique a fait ses preuves, il ne s’agit pas de le nier. Ce qui est plus contestable toutefois c’est l’application systématique aux rapports sociaux de la théorie des gènes, pour expliquer les comportements humains. Une approche qui refuse de considérer le caractère objectif de l’être social et la qualité spécifique du comportement humain qu’engendre la vie en société qui, elle-même, est grandement tributaire de son propre niveau de développement.
La sociobiologie nie en quelque sorte que les rapports sociaux, les rapports d’échanges, l’économie politique, les rapports de production, etc., dans la société, confrontés à des conditions objectives spécifiques, indépendantes du gène humain, puissent à leur tour, être autonomes, obéir à leur propre motivation objective et engendrer par le fait même des comportements humains spécifiques. Ce faisant, la sociobiologie se place au-dessus des sciences humaines (qu’elle prétend parfois remplacer, parfois devoir subordonner)
« La sociobiologie est attaquée par les mandarins des sciences humaines actuelles pour une raison assez simple : la peur, oui tout ces sociologues, psychologues, ethnologues et j’en passe croient que la sociobiologie a pour but ultime de les absorber et de les remplacer, disons-le franchement : ils ont entièrement raison ! La sociobiologie pratique un grand nettoyage, elle élimine impitoyablement toutes les autres instances socioculturelles qui prétendent tenir un discours sur l’homme et la société. Tout comme les représentants des sciences sociales classiques, les historiens et les philosophes de l’histoire sont rejetés sans appel dans les ténèbres extérieures. Ils ne comprennent rien à la nature humaine, faute de « base scientifique». » (idem)
Se défendant bien de préconiser une interprétation fataliste de l’évolution humaine, la sociobiologie soutient que c’est dans la morale, l’éthique et l’éducation, basées bien sûr sur une compréhension scientifique (lire génétique) des comportements, que résident la compréhension et l’amélioration de ceux-ci. En d’autres mots, la sociobiologie s’adresse à l’individu et non à la société. Son approche est strictement individualiste et non collective. Les mots société et collectivité devenant pratiquement pour les sociobiologues synonymes de modèles et d’idéologie.
La nouvelle droite
La faille principale de cette approche individualiste, c’est qu’elle tend à nier les lois propres à l’évolution de la société, mises en évidence par les sciences humaines et en particulier par les sciences sociales.
Instaurer des lois c’est une chose. Mais derrière la capacité d’instaurer des lois se cache souvent une lutte pour le pouvoir et la nécessité de renverser ce pouvoir. Que dit la sociobiologie à ce propos ? N’y a-t-il dans la lutte pour le pouvoir que l’expression réductrice du gène égoïste identifié par E. O. Wilson au milieu des années ’70 ? Au delà des ambitions personnelles des individus ayant dirigé des royaumes et des empires, l’histoire de l’humanité est aussi faite de révoltes et de mouvements des masses réclamant la justice et le bonheur pour tous et préconisant d’autres valeurs que l’ambition et le pouvoir en soi. Le bien-être au présent n’est pas nécessairement un acte de reproduction et les combats pour le réaliser ne sont pas toujours porteurs d’une volonté (même inconsciente) de préparer le terrain pour les générations futures.
Dire que tout découle de la génétique (sans parler même du caractère prépondérant du « gène égoïste » de l’être humain) est une manière de nier l’existence propre de la société et de réduire cette dernière à une expression particulière, voire passive, du comportement animal chez l’être humain. Cette expression particulière, les relations sociales, ne seraient toujours alors qu’un résultat de l’évolution animal (quoique son expression la plus évoluée) mais jamais une source de cette évolution, avec ses propres causes et ses propres lois. Si l’on pousse l’image à la limite, on arrive à la conclusion que la société elle-même ne serait alors qu’un miroir hégélien du gène animal et n’existerait pas en réalité. Un miroir dans lequel l’Idée (absolue) de Hegel est remplacée par les gènes. Par conséquent, l’acquis n’existerait pas non plus, seul l’inné caractériserait l’individu.
C’est à se demander si les tares de la société sont véritablement des tares ? Et si oui, s’il faut en conclure alors que la seule façon de les corriger soit de nature génétique ?
Pour l’heur, la sociobiologie ne répond pas clairement à cette question et à bien d’autres encore, d’ordre social et politique. Elle tend cependant à conforter l’apolitisme et l’attentisme. Son développement récent offre d’ailleurs un fondement théorique intéressant à la nouvelle droite qui défend à la fois l’athéisme et le néo-libéralisme.
Commentaires (anciens)
1. Le jeudi 10 août 2006 à 11:55, par Irène Durand
Je ne peux accepter la conclusion de cette réflexion. J’admets des critique de la socio-biologie mais il faut aussi reconnaître qu’elle apporte une fenêtre nouvelle pour observer le comportement humain. Jusqu’à maintenant la théologie et la philosophie ont dominé le regard posé sur la nature humaine. La connaissance des gènes est une découverte du XXe siècle et il m’apparaît normal que cette connaissance bouleverse nos mythologie sur la nature de l’être humain. La psychologie est reconnue comme une vraie science parce qu’elle s’appuie sur les connaissances biologiques. Il est possible que la sociologie connaîtra le même sort. Les débats ne font que commencer sur la question. Dans 20 ans, ils seront encore à la mode. Nous aurons donc l’occasion d’approfondir la question.
2. Le lundi 27 novembre 2006 à 15:39, par Michelh
Je suis fortement intéressé par tout le débat réactualisé sur la sociobiologie et sa tentative de réduction de l’être humain à sa structure biologique.Comme tenait à le souligner son fondateur Ed. WILSON nos gènes nous tiennent en laisse. Il est évident que de telles affirmations dans ce monde présent caractérisé par l’éloge de la capacité humaine à s’inventer et à tout inventer,un temps défini par la LIBERTE quasi absolue de l’homme, laissent perplexe et ne peuvent qu’entrainer critiques et contestations.Le probleme évident pour nous autres observateurs de ce débat interminable c’est qu’aucune partie n’offre des arguments soutenables à fond.La critique de la sociobiologie plus précisément n’offre que des pétitions de principe, des éléments fondés sur l’idéal de l’être humain et aussi sur l’idée de l’homme-dieu.Ma tentative de compréhension et d’élucidation du problème m’amène à l’étudier sous l’angle de l’homme politique. LA PROBLEMATIQUE EST LA SUIVANTE :Si l’on part du fait que l’homme est un être unique le constat racial(et non raciste)indique une diversité comportementale selon les régions sources et/ou d’habitation.Ce constat sera diversément interprété;selon les sociobiologistes c’est à cause des différences de gènes,et les contempteurs de cette thèse diront que cette différence est due à la différence de milieux socio-culturels.La question préoccupante revient à expliquer pourquoi malgré les différences de cultures les dictateurs et tous ceux qui croient au langage rigide des gènes sont de DROITE et ceux qui croient à l’influence extérieure sont de GAUCHE.Gauche droite républicain démocrate ne sont que le reflet de cette position sur les gènes que l’on soit en France, en Afrique, en Amérique du nord ou du sud.Comment l’expliquer tout en contextant le sociobiologisme.J’éssaye de mener une thèse sur le sujet et j’ai besoin de matière de réflexion
3. Le jeudi 19 avril 2007 à 23:45, par prudent yves
vous dites que la sociobiologie est l’étude systématique des bases biologiques du comportement social. elle bien bonne! j’ouvre les » L’héritage génétique paternel détermine l’attrait des femmes pour l’odeur des hommes ». (le monde 23 janvier 2002). Des femmes ont reniflés des t-shirt porté par des mâââles pour ensuite pouvoir les identifer. Autre stupidité: les femelles choisissent les mâââles en fonction des chances d’avoir une progéniture de qualité c-à-d. avec de bons gènes. Avec 40% d’avortements sur les naissances leurs choix n’a pas eu beaucoup de succès. Quant on sait qu’une simple politique gouvernementale peut agir sur la natalité, l’analyse sociologique « simple » serait pllus approprié. De plus la revue « La Recherche » numéro 348, demande à d’éminent scientifiques ( Axel Khan, Daniel Cohen…) « Quest-ce qu’un gène? » ils s’apercoivent qu’aucune défénition n’est universelles,ils sont d’accord pour dire que la défénition originale du gène comme caractère héréditaire a fait son temps. Malheureusement ce genre de stupidité est repris par médias qui veulent faire la nouvelle et que language courant prend la relève à tout vent. Noublions pas que la salamandre possède cinquante fois plus d’ADN que l’humain. Çà relativise un peu et çà nous calmes.
4. Le lundi 31 décembre 2007 à 22:03, par Claude Braun
Je suis d’accord avec tout… Sauf que je détecte une incompréhension de ce qu’est la détermination génétique. Les gènes représentent un moment dans tout comportement humain, mais les gènes ne sont pas des codes inertes. Ils réagisent en nanosecondes à tout intrant sensoriel et programment, toujours en nanosecondes, toute réaction. Ils intéragissent donc de facon très active avec l’environnement. Pour être plus précis, ils ne font RIEN, et ne peuvent rien faire, sans l’environnement. Ils sont assujettis à une DICTATURE de l’environnement. Ils sont programmés pour être lancés par des événements environnementaux. Bref, de dire que TOUT dépend des gènes est aussi vrai que de dire que TOUT dépend de l’environnement. Pas de panique ! Claude, trouve-moi le sociobiologiste qui prétende que sa science doive, ou même puisse, assimiler les autres sciences sociales, et je mangerai mon chapeau.
5. Le mardi 1 janvier 2008 à 12:59, par Claude Demers
C’est pourtant bien ce que je cite dans mon texte. Ce qui suit est un extrait du site : sociobiologie.com
« La sociobiologie est attaquée par les mandarins des sciences humaines actuelles pour une raison assez simple : la peur, oui tout ces sociologues, psychologues, ethnologues et j’en passe croient que la sociobiologie a pour but ultime de les absorber et de les remplacer, disons-le franchement : ils ont entièrement raison ! La sociobiologie pratique un grand nettoyage, elle élimine impitoyablement toutes les autres instances socioculturelles qui prétendent tenir un discours sur l’homme et la société. Tout comme les représentants des sciences sociales classiques, les historiens et les philosophes de l’histoire sont rejetés sans appel dans les ténèbres extérieures. Ils ne comprennent rien à la nature humaine, faute de « base scientifique». Tu trouveras cet énoncé péremptoire dans le point 6 des FAQ intitulé « Pourquoi la sociobiologie dérange ? »
6. Le mardi 11 mars 2008 à 23:56, par prudent yves
j’espère que le chapeau de claude braun est de qualité parce qu’il pourrait bien devoir le bouffer réellement. puisque le sociobiologiste qui prétend que « sa science assimile les autres sciences sociales » est nul autre que le fondateur de la sociobiologie et j’ai nommé edward o. wilson. le maître livre de la sociobiologie est: »sociobiology: the new synthesis ».
7. Le mardi 09 décembre 2008 à 12:31, par Cérambyx
Yves Prudent se soucie de la qualité du chapeau de Claude Braum. Il s’inquiète au cas où se dernier se rendrait à l’évidence concernant l’appétit assimilateur de la sociobiologie. Moi je constate que la « Socio-biologie » est un mot composé. Linguistiquement, c’est une contraction de « sociologie » et « biologie » et donc, épistémologiquement, celà devrait se traduire, non par une assimilation, ou une réduction, de l’une des deux composantes, mais par un rapprochement. Or, pour accomplir ce rapprochement, il fallait faire un premier pas, et là, il faut bien avouer que ce sont les biologistes qui l’ont fait, ce premier pas…
8. Le mardi 09 décembre 2008 à 16:34, par Cérambyx
Effectivement, ce ne sont pas les sociologues qui sont venus vers la biologie ! Mais vont-ils toujours pouvoir rester dans leur splendide isolément ? Je note qu’il n’en était pas ainsi lors des premières tentatives de la sociologie naissante (fin du XIX ème siècle–début du XX ème siècle). En ce temps là, les sociologues étaient plus ouverts. N’oublions pas que l’inventeur du mot « sociologie » était aussi l’inventeur du mot « altruisme » ; on sait que la maxime de cet inventeur était : « il faut vivre pour autrui ! » ; il s’appelait Auguste Comte. Ce qu’on sait moins, c’est qu’il admettait la présence de l’altruisme dans le règne animal. L’altruisme ! ce phénomène qui intrigue tant les sociobiologistes… cette qualité humaime qu’on aurait trop tendance, paraît-il, à plaquer sur nos « frères inférieurs », ce concept interdit de séjour en dehors de son « domaine de validité »… Eh bien, Auguste Comte ne le réservait pas qu’à l’Homme !
Voir aussi l’article suivant : Encore sur la sociobiologie