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À voir, à lire, à écouter, à faire... Scène internationale

Le Marx de Henri-Pena Ruiz

Source :
Claude demers pour Québec humaniste

Compte-rendu du livre « Marx quand même » de Henri-Pena Ruiz


La pensée de Marx et l’idéologie

« Il ne faut pas regretter d’avoir rêvé d’un autre monde. Ni d’avoir consacré tout ou partie de sa vie à tenter de le faire advenir ». C’est avec ces mots, qu’on dirait à l’intention des nostalgiques, qu’Henri-Pena Ruiz débute son plus récent ouvrage « Marx quand même ». Une invitation à relire Karl Marx et à mieux comprendre sa pensée, libérée de sa caricature stalinienne et du capitalisme d’État soviétique qui en revendiquait la filiation.

Loin de la nostalgie, l’auteur invite toutefois à une réflexion critique quant au démembrement de l’Union soviétique et des pays socialistes et sur les raisons d’un tel échec. Il dément la formule de Francis Fukuyama, selon laquelle nous assistons depuis la fin du 20e siècle à la fin de l’histoire, caractérisée par la disparition des idéologies. En critiquant le philosophe américain, Pena-Ruiz démontre avec éloquence qu’émancipation sociale et rêve d’un monde meilleur ne furent jamais pour Karl Marx, l’expression d’une idéologie.

Certes, l’idée d’une alternative sociale et économique relève au départ d’un rêve. Mais ce rêve se forme à l’intérieur d’un « processus d’émancipation » et non à partir d’une  » recette toute faite « . Il émerge d’une réalité sociale fondée sur l’exploitation, l’injustice et l’oppression.

Marx avait bien décrit la nature et les rouages du système capitaliste et de l’idéologie libérale qui le soutenait. Un système qui enrichit une minorité dans la mesure où la grande majorité est exclue de cette même richesse. Il avait démontré comment la démocratie formelle relevait essentiellement de la rhétorique, même s’il voyait dans les gains du mouvement ouvrier de réels acquis, tant au niveau matériel que de la prise de conscience, du fait notamment que cette démocratie exprime avant tout un rapport de force entre les classes. Né à travers un processus de consolidation nationale, le capital selon Marx n’allait pas s’embarrasser des États nationaux. Il anticipait déjà le phénomène de la mondialisation propre à notre époque. Un phénomène qui n’a rien à voir avec le processus naturel de l’internationalisation du travail.

Deux-cents ans de capitalisme n’ont guère changé la donne. Richesse et opulence côtoient toujours misère et pauvreté. Les crises économiques se succèdent, les guerres se multiplient. Inégalité, oppression et drames sociaux caractérisent le capitalisme et le néolibéralisme tout comme cela était à l’époque de la Commune de Paris et de la fin du 19e. Passé les trente glorieuses (1945 – 1975 ) où les gains des travailleurs à travers le monde ont contribué à rétablir, pour un temps, un certain équilibre, le capitalisme s’est employé à gruger ces gains et à externaliser les coûts de production, particulièrement par le biais des atteintes à la nature et à l’écosystème. Les progrès de la technologie et de la science, l’augmentation de la productivité, sont mis à profit non pour améliorer le sort de l’humanité, mais pour réduire le coût de la force de travail. Ce qui élargit l’écart entre les revenus des capitalistes et ceux des travailleurs. En même temps, les dommages souvent irréversibles qui fragilisent et menacent la nature ne sont pas comptabilisés dans les coûts de production. Ils seront à la charge des travailleurs et de toute la population.

Se référant à la métaphore de Karl Marx dans sa critique de la philosophie du droit de Hegel, Henri-Pena Ruiz écrit: « D’un côté la terre des rapports sociaux qui tissent la société civile, lieu des activités productrices… De l’autre, le ciel des grands principes évoqués, sphère du débat public et des discours politiques empreints de rhétorique et d’incantation… ». Marx dénonçait l’idéologie qui dans son essence idéalisait des principes et des valeurs qui ne passaient pas l’épreuve de la réalité sociale. D’où ses critiques virulentes à l’égard de la démocratie formelle ou encore de la fameuse « main invisible » qui, selon Adam Smith, devait réguler l’équilibre du marché. Fondements de l’idéologie néo-libérale, cette démocratie et ce concept trompeur de l’autorégulation du marché conduisent directement au rejet de toutes les mesures de réglementation, voire à la disparition de l’État dans ses fonctions sociales et de modération pour contrer les abus extrêmes du capitalisme, mais à son renforcement quant à ses fonctions répressives.

Le parti-pris de Karl Marx en faveur des travailleurs et des forces d’émancipation sociale ne relève pas d’une idéologie, mais d’une opposition à l’idéologie libérale. « Lorsque la hiérarchie exprime la domination d’un groupe sur un autre, écrit Pena Ruiz, le propre du principe d’unification est de présenter cette hiérarchie comme naturelle et nécessaire, et de développer ainsi une idéologie d’assujettissement ». L’auteur souligne que pour Marx l’alternative, plutôt que de se fonder sur un modèle, partait de ce qu’il était possible d’accomplir.

Le rapport de l’homme à la nature: Marx était un «écologiste» et un naturaliste

Les conditions ont changé. D’aucuns se réfèrent à ces changements pour invalider l’analyse et la critique du capitalisme faites par Karl Marx et son ami Friedrich Engels. La classe ouvrière s’est transformée, le capital industriel a cédé le pas au capital financier, les entreprises sont devenues transnationales et surtout, la science contemporaine a révélé un phénomène qu’elle ignorait totalement à l’époque de Karl Marx, soit les menaces directes à l’écosystème.

En réalité, ces transformations plutôt que d’invalider la pensée de Marx la rendent plus actuelle. Ce qu’on appelle aujourd’hui la classe moyenne n’est rien d’autre, en fait, que la grande majorité des travailleurs. Elle représente en proportion une part considérablement plus grande de la force productive que la classe ouvrière à proprement parler. Ses écarts de revenus à l’égard de ceux du grand patronat grandissent de façon exponentielle. La domination du capital financier par ailleurs, illustre l’exacerbation du fétichisme cultivé par le capitalisme envers la monnaie et les produits de consommation. Ce qui faisait dire à Marx que le capitalisme créait non seulement les produits, mais aussi les consommateurs. Donnant ainsi, tant à la monnaie qu’aux produits de consommation, une valeur de nature idéologique sans aucun rapport avec les besoins réels de la société.

Quant à la domination des transnationales qui accompagne le phénomène de la mondialisation, elle assujettit encore davantage l’État, rendant complètement obsolète toute notion de souveraineté nationale et populaire sous le capitalisme à l’ère de l’ultralibéralisme. Henri Pena-Ruiz nous rappelle encore que Marx n’était pas un productiviste. Il ne voyait pas dans la production une finalité en soi. Il cite cette phrase éclairante du philosophe selon qui « le capitalisme épuise l’homme et la terre ». Selon Marx, l’homme est une partie inhérente de la nature qui en constitue le corps non organique. Critiquant les formes de développement industriel de l’agriculture, Marx écrivait dans Le Capital « …tout progrès de l’agriculture capitaliste n’est pas seulement un progrès dans l’art de spolier le travail, mais dans l’art de spolier le sol, tout progrès dans l’élévation de sa fertilité pour un temps donné est un progrès dans la ruine des deux sources à long terme de cette fertilité […] la production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès social qu’en minant en même temps les sources qui font jaillir toute richesse ». Dans « Dialectique de la nature » Engels précisera: «Nous ne devons pas nous vanter trop de nos victoires humaines sur la nature. Pour chacune de ces victoires, la nature se venge sur nous. Il est vrai que chaque victoire nous donne, en première instance, les résultats attendus, mais en deuxième et troisième instance elle a des effets différents, inattendus, qui trop souvent annulent le premier… Les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger […] mais que nous lui appartenons avec notre chair […] toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et à pouvoir nous en servir judicieusement».

Selon Pena-Ruiz, Marx aurait dénoncé le productivisme stalinien et le capitalisme d’État soviétique où le contrôle du Parti s’est littéralement substitué à une véritable souveraineté populaire, ce qui a conduit notamment à des aberrations telles que l’assèchement de la mer d’Aral et la catastrophe de Tchernobyl. Et, pourrions-nous ajouter, sur un plan plus politique, le vol des entreprises d’État par les oligarques russes.

Du projet révolutionnaire

L’espace réservé pour ce compte-rendu ne permet pas de rendre justice à l’étude d’Henri-Pena Ruiz qui aborde dans «Marx quand même» nombre d’autres sujets, dont la question de la laïcité, la question nationale, le communautarisme, le socialisme, la liberté individuelle… et surtout le caractère révolutionnaire de la pensée de Marx, son analyse du rôle de
l’État.

Tout en dénonçant la caricature faite par le stalinisme de la pensée de Marx, Pena-Ruiz (qui ne rejette pas entièrement les acquis de l’Union soviétique) rejette cependant les amalgames trop faciles qui associent l’échec de l’Union soviétique avec la pensée de Marx, tout comme il rejette aussi l’amalgame du « totalitarisme », un concept « fourre-tout », qui met sur un pied d’égalité fascisme et communisme. « C’est que, de Marx au goulag stalinien, il y a la contradiction qui existe entre la promotion de l’émancipation et celle de l’oppression, alors que, des théories nazies au génocide juif, il y a mise en œuvre conséquente et cohérente d’une conception oppressive assumée avec le soutien du grand capital ».

« Ni volontarisme abusif, ni fatalisme propre à déresponsabiliser » dira encore Henri Pena-Ruiz faisant référence au projet révolutionnaire. « Ainsi, transformer le monde ce n’est pas forcer le réel à se plier au tableau d’une société idéale préconçue, mais faire en sorte que les conditions du libre accomplissement des hommes soient réunies ». Marx le philosophe voyait dans la classe ouvrière une classe universelle en ce sens qu’elle est la seule classe sociale dont les aspirations sont strictement liées à la disparition des antagonismes de classes. Un constat qui, pourrait-on dire, s’étend aujourd’hui à l’ensemble des travailleurs. Pour lui, le «libre accomplissement des hommes » exprime l’idée même d’une réconciliation de l’homme avec lui-même et avec la nature et de ce fait, d’une réconciliation de la nature avec elle-même.

Dans les médias

La guerre financière globale, l’escalade dans le golfe Persique et les menaces vitales contre le système des pétrodollars

Standards & Poor’s – certainement visée par l’ancien Président français Valery Giscard d’Estaing lorsqu’il parlait d’« officines» déstabilisant l’économie européenne – perpétue une stratégie de diversion en dégradant la note de neuf pays de l’Euroland, parmi lesquels la France, l’Italie, le Portugal, l’Autriche et l’Espagne. L’entreprise financière Standards & Poor’s, critiquée depuis une décennie pour son incapacité à prédire l’effondrement d’Enron, de Lehman Brothers et plus récemment de MF Global, provoque donc un choc psychologique en France à 100 jours de l’élection présidentielle, les effets de cette « dégradation » étant sur-amplifiés par une certaine dramatisation médiatique.
Si l’on adhère à la lecture des événements que partagent Valery Giscard d’Estaing, le chercheur Emmanuel Todd ou la présidente du MEDEF Laurence Parisot, la guerre psychologique menée contre l’Europe par les « officines » anglo-saxonnes et leurs relais médiatiques et spéculatifs monte en intensité, l’Euroland étant ciblé dans son ensemble. Pourtant, de l’autre côté de l’océan Atlantique, les États-Unis – qui malgré leurs difficultés structurelles restent la première puissance mondiale sur le plan financier, militaire, culturel et économique – affichent un endettement national de plus de 15 000 000 000 000 de dollars US, pour une dette totale avoisinant les 56 000 000 000 000 de dollars US, selon les chiffres officiels de l’horloge nationale de l’endettement des États-Unis.
Au vu de cette dette gargantuesque, nous pouvons affirmer avec confiance que, dans l’hypothèse où le système des pétrodollars s’effondre du fait de la diversification monétaire dans les échanges commerciaux et pétroliers internationaux, les États-Unis en tant qu’État fédéral font faillite et se retrouvent de facto en catégorie D (« En défaut »), quelle que soit la position des agences de notation. Dans ce contexte, les généraux du Pentagone, qui représentent l’omnipuissant complexe militaro-financier-énergétique des États-Unis, ne peuvent accepter la politique d’abandon du dollar comme monnaie d’échanges pétroliers qui est menée par l’Iran, en ce qu’elle constitue par essence une menace vitale contre le système des pétrodollars. Par conséquent, tout porte à croire que les généraux du Comité des chefs d’État-major interarmées du Pentagone (JCS) planifient un conflit armé contre l’Iran, comme l’indiquent les dernières déclarations du général Dempsey – qui dirige le JCS – et de Leon Panetta, le secrétaire à la Défense à l’origine du récent durcissement rhétorique visant l’Iran (avant l’offensive économique, psychologique et stratégique actuelle).
Aujourd’hui, les États-Unis mènent à l’égard de l’Iran une guerre économique totale, accompagnée de mouvements militaires à grande échelle. Ce déploiement stratégique est axé sur le positionnement prochain d’au moins deux porte-avions US dans le golfe Persique (l’USS Carl Vinson étant censé relever l’USS John Stennis, avant d’être rejoint par l’USS Abraham Lincoln). Cette importante planification écourte les nuits du commandant en chef de l’US Navy, l’amiral Jonathan Greenert, selon ses propres déclarations publiques.
Depuis le naufrage de l’USS Maine dans le port de Cuba en 1898, dont l’exploitation médiatique provoqua la guerre hispano-américaine, en passant par les mystérieux incidents du golfe du Tonkin du 4 août 1964 qui précipitèrent les États-Unis dans la guerre contre le Nord-Vietnam, l’Histoire militaire des États-Unis reste entachée de zones d’ombres lorsqu’il est question des incidents navals comme casus belli, et plus généralement des justifications précipitant les forces armées US dans leurs récentes guerres. Sachant que Dick Cheney avait songé, selon Seymour Hersh, à organiser une attaque sous faux pavillon contre des navires de la 5ème flotte des États-Unis – envisageant une opération contre la flotte US par des Navy Seals grimés en Gardes révolutionnaire iraniens à proximité du détroit d’Ormuz – une provocation navale immédiatement attribuée à l’Iran semblerait suffire au déchainement de la puissance militaire des États-Unis contre un Iran déterminé à résister. Il semblerait que de telles provocations soient en cours au moment où ces lignes sont écrites. Quoi qu’il en soit, l’on pourrait penser qu’en ne réagissant pas militairement à la politique étrangère de l’Iran, les hauts responsables US auraient beaucoup plus à craindre de l’effondrement du système des pétrodollars que d’une guerre contre l’Iran, aux conséquences pourtant incalculables au vu du contexte économique et financier particulièrement volatile (quoique propice aux augmentations constantes du prix des hydrocarbures). Sans surprise, les pétromonarchies du Golfe et Israël soutiennent ouvertement cette guerre.

 

Quoi qu’il en soit, à travers la politique étrangère iranienne, le statu quo des pétrodollars semble sérieusement menacé. Aujourd’hui, la Chine achète le pétrole iranien en euros, et les États-Unis ne semblent pas en mesure d’influer sur la politique chinoise vis-à-vis de l’Iran, les relations sino-iraniennes datant de la période préislamique, au 1er siècle avant Jésus Christ. L’Inde est en train de mettre en place un système d’achat de l’or noir perse en roupies. Enfin, la Russie s’apprête à mettre en œuvre avec l’Iran un accord d’échanges pétroliers et commerciaux en rial et en roubles. Comme elle l’a fait il y a quelques mois avec la Russie, le Chine a également adopté avec le Japon un système d’échanges énergétiques et commerciaux centré sur leurs monnaies respectives. La suprématie du dollar comme monnaie de réserve internationale est donc indiscutablement mis à mal. Toutefois, le système des pétrodollars qui l’impose depuis des décennies est encore plus dangereusement remis en cause par une politique d’affirmation de puissance invariablement menée par l’Iran.

Comme l’a écrit avec justesse Peter Dale Scott à l’aube du conflit ayant déstructuré la Libye, « La question du pétrole est étroitement liée à celle du dollar, car le statut du dollar comme monnaie de réserve mondiale dépend largement de la décision de l’OPEP de libeller les achats du pétrole de l’OPEP en dollars. L’économie actuelle des pétrodollars se fonde sur deux accords secrets passés durant les années 1970 avec les Saoudiens pour recycler les pétrodollars dans l’économie des États-Unis. Le premier de ces accords assurait une participation spéciale et durable de l’Arabie saoudite dans la santé du dollar US ; le second sécurisait un soutien saoudien continuel pour la tarification de l’intégralité du pétrole de l’OPEP en dollars. Ces deux accords garantissaient que l’économie des États-Unis ne serait pas affaiblie par les hausses de prix du pétrole de l’OPEP. Depuis lors, le plus lourd fardeau a en fait été porté par les économies des pays les moins développés, qui doivent acheter des dollars pour leurs fournitures en pétrole. Comme Ellen Brown l’a relevé, d’abord l’Irak et ensuite la Libye ont décidé de défier le système des pétrodollars et de stopper leurs ventes de pétrole en dollars, peu avant que ces deux pays ne soient attaqués ». Aujourd’hui, l’Iran semble être dans cette position de « cible » chez les planificateurs militaires du Pentagone. Toutefois, ce pays vient de démontrer qu’il est opérationnellement capable de boucher l’aorte d’une économie mondiale fragilisée et instable : le détroit d’Ormuz.


Maxime Chaix, traducteur et analyste politique indépendant.

Articles de Maxime Chaix publiés par Mondialisation.ca
Opinion Scène canadienne

L’ACIMMO entre en vigueur

Hélas, l’entrée en vigueur de l’ACIMMO le premier avril 2009 n’était pas un poisson d’avril. L’ACIMMO (Accord sur le commerce intérieur et la mobilité de la main d’oeuvre – TILMA en anglais, pour Trade Investment and Mobility Agreement) contient les plus récentes modifications à l’ACI (l’Accord sur le commerce intérieur) adopté initialement en 1995, dans le but d’adapter les politiques d’échanges inter-provinciales au Canada, à l’Accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Adapter au niveau des principes s’entend, car rien dans l’ALÉNA (Accord de libre-échange nord-américain) n’oblige les provinces canadiennes à modifier leurs relations commerciales entre elles.

Il s’agit en effet d’un accord qui vient appuyer le principe de la suprématie du commerce et du «libre-marché» sur les législations en vigueur dans les provinces canadiennes, une suprématie qui est loin d’être purement théorique puisqu’en cas de litige ce sont les tribunaux commerciaux qui seront appelés à trancher. À l’image du Chapitre 11 de l’ALÉNA que le Canada prétendait vouloir réviser, cela signifie que les différentes législations pourraient être appelées à modifier leurs lois et règlements en conséquence ou se préparer à payer de lourds dédommagements, pouvant atteindre, pour le moment, jusqu’à 5 millions de dollars.

Est-il nécessaire de rappeler qu’en vertu du Chapitre 11 de l’ALÉNA, à deux reprises le gouvernement canadien a dû modifier ses législations, sans parler des dédommagements financiers aux entreprises.

« En 1996, le gouvernement du Canada approuve une loi abolissant l’utilisation du MMT, un additif ajouté à l’essence qui pourrait contenir une neurotoxine causant des dommages au cerveau. L’Ethyl Corporation, distributeur américain de l’additif, réplique en utilisant la réglementation de l’ALÉNA et poursuit le Gouvernement pour 347 millions $, affirmant subir une expropriation et une perte de profits. Le procès se termina en 1998 lorsque le Gouvernement fit un jugement hors cour, donnant 20 millions $ à Ethyl Corporation, lui soumettant des excuses par le biais d’une lettre » (Sources : Eric Squire)

Le 20 octobre 2002, le Panel d’arbitres formé pour régler les litiges commerciaux dans le cadre de l’Accord sur le libre-échange avec les États-Unis rendait une autre décision défavorable au Canada. Celui-ci dut verser une somme de 6,05 millions de dollars à la Compagnie S.D. Myers qui contestait la loi de 1995 interdisant l’exportation canadienne de BPC aux États-Unis. Dans sa défense le gouvernement canadien disait vouloir se conformer à la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux, dont il était signataire.

Dans les deux cas précités, le gouvernement canadien dut par la suite modifier sa législation pour satisfaire les exigences des compagnies à l’origine des poursuites.

Une autre poursuite contre le gouvernement de Colombie-Britannique. Sun Belt Inc., une entreprise californienne réclamait 468 millions $ US parce que la Colombie-Britannique lui a retiré son permis d’exportation d’eau. La plainte fut retirée lorsque la compagnie fut incapable de fournir les garanties financières exigées pour la poursuite de la cause.

À l’instar du Chapitre 11 de l’ALÉNA, l’ACIMMO a déjà commencé ses ravages. Ratifiés depuis 2006, les accords sur le commerce intérieur entre la Colombie-Britannique et l’Alberta ont déjà eu leur impact sur les normes du travail. : « En décembre 2007, le gouvernement de la C.-B. et l’ordre provincial des enseignants ont du signer un accord de mobilité des enseignants dans le cadre de l’ACIMMO. L’entente « harmonise » les normes relatives aux enseignants de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, en faveur des exigences de l’Alberta. Le programme de la Colombie-Britannique est passé de quatre à trois ans et impose désormais moins de cours pour l’obtention de la certification d’enseignant », un nivellement par le bas.

Selon Steven Shrybman, un avocat spécialisé en droit commercial, un projet contre la malbouffe dans les écoles de Colombie-Britannique pourrait être contesté en vertu de l’ACIMMO du fait qu’il restreint l’investissement.

Selon une analyse du SCFP (Syndicat canadien de la fonction publique) « Un conseiller municipal de Turner Valley, en Alberta, a proposé l’interdiction du polystyrène à base de pétrole et non recyclable utilisé dans des produits comme les tasses jetables, les contenants de nourriture et le matériel d’expédition. Cette mesure de protection de l’environnement pourrait être jugée illégale en vertu de l’article 9 (4a) de l’ACIMMO, qui stipule que pendant la transition vers l’application complète de l’ACIMMO aux municipalités en avril 2009, aucun règlement ne peut être modifié de façon à le rendre plus contraignant pour l’investissement ».

Hier, le 2 avril, le Collège des médecins du Québec et le Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario, selon newswire.ca, « ont signé un accord historique qui favorise la mobilité de la main-d’oeuvre médicale entre les deux provinces. Cette entente donne la possibilité à un médecin titulaire au Québec d’un permis sans limitation et sans restriction d’obtenir automatiquement un permis d’exercice pour pratiquer la médecine en Ontario et à un médecin titulaire d’un permis sans limitation et sans restriction en Ontario d’avoir un permis d’exercice pour venir travailler en sol québécois. Les deux ordres professionnels sont parvenus rapidement à cet accord sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles des médecins afin de répondre à une commande en ce sens provenant des deux gouvernements provinciaux et à l’esprit des modifications du chapitre VII de l’Accord sur le commerce intérieur (ACI), en vigueur depuis hier, le 1er avril 2009 ». Cela fait craindre pour la FMSQ (Fédération des médecins spécialistes du Québec) un exode massif des médecins spécialisés (et formés à grands frais par le Québec) vers l’Ontario où les salaires sont plus élevés.

Dans la foulée des politiques de mondialisation et de dérèglementation à outrance, les gouvernements Harper et Charest qui soutiennent à fond de train l’ACIMMO et l’économie dit de «libre-marché» démontrent une fois de plus qu’ils ne retiennent aucune leçon de la crise financière et économique actuelle. Mieux, ils démontrent que leurs gouvernements ont toujours à coeur de faire passer les intérêts des grandes entreprises avant ceux des populations qui les ont élues.

À lire sur le sujet :
Sur TILMA
Sur la mobilité de la main d’oeuvre
Portrait de la situation

À voir, à lire, à écouter, à faire...

L’encerclement

Louangé par la critique internationale, (Le Monde, Le Courrier de Genève, Le New York Times, le International Herald Tribune, l’Unita et plusieurs autres) lors de sa récente présentation au Festival international du film de Berlin (Berlinale), le documentaire de Richard Brouillette, d’une durée de 2h40 L’ENCERCLEMENT – la démocratie dans les rets du néolibéralisme sera bientôt disponible en DVD.

Ce documentaire réalisé avec la participation d’intellectuels de renom dont Noam Chomsky, Ignacio Ramonet, Normand Baillargeon et Michel Chossudovsky se veut une réflexion sur la manipulation des forces du marché par le néolibéralisme et l’encerclement de plus en plus étouffant, du phénomène de la mondialisation.

Présentement au Cinéma parallèle, l’ENCERCLEMENT sera sur les écrans du cinéma l’ONF du 1er au 5 avril prochain.

Site officiel

Ajout en date du 10 avril 2009 :

Le film sortira bientôt en DVD.
Lire aussi l’article publié dans la section Repères

Dans les médias

Où sont les créanciers ?

Paradoxalement, le jour même ou Obama est investi des pouvoirs à la Présidence des États-Unis, les marchés financiers qui auraient normalement dû être rassurés, se sont effondrés. Michel Chossudovsky, auteur de « Mondialisation de la pauvreté », directeur du Centre de recherche sur la mondialisation et professeur d’économie à l’Université d’Ottawa se demande qui sont les créanciers ?

Paru dans : mondialisation.ca


Sous-titre «Quand donc saurons-nous ?» :  «When Will We Ever Learn?» : phrase tirée d’une chanson «Where Have all the Flowers Gone» composée par Pete Seeger

Bourse baisse

Une atmosphère d’espoir et d’optimisme prévaut dans tout le pays. Le régime Bush est parti. Un nouveau Président est à la Maison Blanche.

Pendant que les États-Unis ont les yeux rivés sur la télévision diffusant en direct l’investiture présidentielle de Barack Obama, les marchés financiers dérapent.

Une grande « correction du marché » s’est produite. À l’abri des yeux du public, pratiquement inaperçue, s’est déroulée une nouvelle étape de la crise financière.

Immédiatement après l’investiture, le Dow Jones a plongé, affectant largement le cours des actions des plus grandes institutions financières.

La valeur de la cote boursière des grandes banques de Wall Street a fortement baissé. Royal Bank of Scotland a chuté de 69 pour cent dans les échanges à New York.

Cotes apparentés

Symbole

Cours

Change

Bank of America Corp

5,10

-2,08

Bank of NY Mellon CP

19,00

-3,96

Citigroup Inc

2,80

-0,70

Fifth Third Bancorp

4,22

-1,21

JP Morgan Chase & Co

18,09

-4,73

Source : Yahoo

Les déboires et la valeur comptable des pertes des grandes banques étaient connus bien avant la cérémonie d’investiture du Président Obama.

Alors, pourquoi maintenant ?

L’investiture du président Obama devrait donner confiance aux marchés financiers. Il s’est produit exactement le contraire.

Il n’y avait rien de spontané ni d’accidentel dans l’effondrement des valeurs boursières des banques.

Le discours du président Obama à l’extérieur du Capitole avait été rédigé à l’avance. Son contenu était soigneusement préparé.

Le président Obama a fait une référence explicite aux malheurs de l’économie mondiale, tout en soulignant que : « sans un œil vigilant, le marché peut échapper à tout contrôle. »

M. Obama a prévenu du fait que la reprise économique pourrait être difficile et que la nation doit choisir « l’espoir à la peur, l’union pour l’objectif au conflit et à la discorde » afin de surmonter la pire crise économique depuis la Grande Dépression. (Associated Press, 20 janvier 2009)

Il y avait de grandes attentes à Wall Street. De nombreux courtiers de Wall Street, qui n’avaient pas connaissance du contenu du discours d’Obama, avaient « parié » que les déclarations du président Obama contribueraient à stabiliser les marchés financiers.

Ceux qui ont rédigé le discours d’Obama étaient pleinement conscients de ses éventuelles répercussions financières.

Les grands espoirs sur le détail de la manière dont la nouvelle administration abordera la montée de la crise bancaire et l’économie défaillante ont été refroidis après le discours d’investiture. (Reuters, 20 janvier 2009)

Ce n’est pas un hasard si le président de la Securities and Exchange Commission, Christopher Cox, nommé par Bush en 2005, a démissionné le jour même de l’investiture présidentielle, entraînant un grand vide pour l’adoption des décisions cruciales de la réglementation financière. Son successeur, Mary Shapiro, ne prendra ses fonctions qu’au terme des longues auditions d’approbation au sénat.

Ceux qui avaient une connaissance préalable, et/ou avaient obtenu des informations, du texte du discours d’Obama, et qui avaient la possibilité de « mettre le marché en mouvement » au bon moment et au bon endroit, avaient tout à gagner dans la conduite de grandes opérations spéculatives sur les marchés boursiers et des échanges de monnaie.

Des opérations spéculatives de ce genre étaient-elles planifiées à l’avance pour le 20 janvier ? (Voir la vidéo)

Y a-t-il eu un effort concerté et délibéré pour « court-circuiter le marché » le jour même de l’investiture présidentielle ?

Sur les marchés des changes, le mouvement a été inversé, le dollar US était en hausse, l’euro, la livre sterling et le dollar canadien en chute libre. Le gouverneur de la Banque centrale du Canada a choisi la date de l’investiture présidentielle pour annoncer la réduction du taux directeur, apparemment dans une « enchère pour stimuler l’économie et relancer le prêt au consommateur et aux entreprises. » Impact : la valeur du dollar canadien a diminué de façon spectaculaire par rapport au billet vert.

Où sont allés tous les créanciers ?

Les plus grandes institutions financières seraient en eaux troubles et endettées envers des créanciers anonymes. Depuis le déferlement de la crise financière, l’identité des créanciers reste un mystère.

Au fil des ans, l’establishment financier privé a instauré des hedge funds (fonds de placement, littéralement fonds de couverture et/ou spéculatifs) toujours enregistrés au nom de particuliers fortunés. De grandes richesses ont été transférées des grandes institutions financières vers ces hedge funds appartenant au privé, qui échappent largement à la réglementation gouvernementale.

Pourquoi les banques sont-elles endettées ? Envers qui ? Sont-elles les victimes ou les bénéficiaires ? Sont-elles les débiteurs ou les créanciers ?

Au fil des ans les plus grandes banques des États-Unis se sont séparées d’une partie de leurs bénéfices excédentaires en faveur de divers groupes de mandataires financiers : hedge funds, comptes dans les paradis fiscaux sous les tropiques, etc.

Bien que ces transferts de milliards de dollars soient transférées par voie électronique d’une entité financière à une autre, l’identité des créanciers n’est jamais mentionnée. Qui ramasse ces dettes de plusieurs milliards, qui sont les principaux responsables de la manipulation financière ?

Selon toute probabilité, l’effondrement de la valeur boursière des actions bancaires était connu d’avance. Les banques avaient déjà transféré en toute sécurité leur butin dans un paradis fiscal.

Les banques sont en grande difficulté après avoir reçu les centaines de milliards de dollars de l’argent des opérations de sauvetage.

Où est passé l’argent des opérations de sauvetage ? Qui encaisse les multi-milliards de dollars de l’argent des opérations de sauvetage du gouvernement ? Ce processus contribue à une concentration sans précédent de la fortune privée.

La presse reconnaît l’existence des milliards de dollars de la « dette interbancaire. » Mais pas un mot n’est dit sur les créanciers.

Il y a un créancier pour chaque débiteur.

Est-ce de l’argent que les élites se doivent à elles-mêmes ?

En fin de compte, ceux qui détiennent ces billions vont, à leur façon, «recoller les morceaux». Leur énorme fortune monétaire sera convertie en actifs par des acquisitions d’entreprises en faillite.


Le réveil au lendemain de l’investiture présidentielle

Et, au lendemain des espoirs et des promesses de l’investiture présidentielle, la classe moyenne étasunienne qui avaient investi dans des actions bancaires « sûres » en viendra à réaliser une fois de plus qu’une partie de ses économies de toute une vie ont été confisquées.


Texte original en anglais : Obama Inauguration: Slide on Wall Street. Where have all the Creditors Gone?…, publié le 20 janvier 2009.

Traduction: Pétrus Lombard. Révisée par Mondialisation.ca.