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Quelle hypocrisie

Quelle hypocrisie !
 
Trudeau se dit très déçu de la décision de General Motors de fermer son usine d’Oshawa en décembre 2019. Son gouvernement et celui de Ford en Ontario vont « faire » tout ce qu’ils peuvent pour venir en aide aux travailleurs affectés par cette décision. Quelle compassion de la part de fervents partisans du Libre-échange, Trudeau en particulier, qui vient de faire des pieds et des mains pour renouveler cet accord avec les États-Unis et le Mexique en sacrifiant encore un peu plus les intérêts nationaux du pays.
 
Le problème avec le libre-échange, ce n’est pas qu’il favorise tel ou tel pays par rapport à un autre. C’est qu’il favorise les grandes multinationales par rapport à quelque pays que ce soit. Qu’il s’agisse de la concentration de la production ou au contraire de la délocalisation vers des pays qui produisent à rabais, dans tous les cas les décisions seront prises en fonction des meilleurs intérêts de ces grandes entreprises sans égard à l’impact sur les travailleurs. Le seul lien avec les pays et leur gouvernement n’existe que lorsque vient le temps de donner des subventions ou d’accorder des prêts de plusieurs milliards de dollars qui risquent de n’être jamais remboursés, comme ce fut le cas pour soi-disant sortir de la crise financières de 2008-2010. Ce lien prend la forme d’une autorité supra-nationale, non élue et dont les discussions se font à huis-clos mais qui dicte sa vision aux gouvernements élus dont on siphonne à tous les jours un peu plus, les pouvoirs réels.
 
La première victime du libre-échange au Canada, à l’époque même initiale de l’Alena, ce fut le Pacte de l’automobile qui garantissait en échange à leur accès au marché canadien que les grandes compagnies de l’automobile effectuent leur production au Canada. Selon Wikipedia le Pacte de l’auto a fait passé le pourcentage de voitures fabriquées au Canada et vendues aux États-Unis de 7 à 60% entre 1964 et 1968 seulement. L’OMC a dénoncé le pacte de l’auto jugé incompatible avec les nouvelles règles naissantes du commerce.
Plus récemment, Trump exigeait que la question de la production automobile soit au coeur de la nouvelle entente sur le libre-échange négociée il y a à peine quelques mois. À ce propos, Radio-Canada rapportait, le 30 septembre dernier, que « Du côté de l’industrie automobile, où plane aussi la menace de l’article 232, des plafonds seraient imposés (dans le nouvel Accord) sur les exportations de voitures et de composantes en provenance du Canada ».
 
Qu’on nous rabâche aujourd’hui que la décision de GM ait été motivée par une quelconque réorientation vers la production de véhicules électriques n’a rien à voir ici. Véhicules électriques ou pas, avec le Pacte de l’automobile une telle réorientation se serait aussi effectuée dans le cadre d’une production canadienne.
 
 
 
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Valérie Plante – L’élection qui perd tout le monde en conjonctures

Le monde n’est plus le même et on aura beau s’évertuer à vouloir comprendre les changements qui s’y produisent pour expliquer ce revirement politique on ne trouvera pas de réponses satisfaisantes si on ne s’arrête pas aux facteurs économiques profonds qui bouleversent les mentalités.

La personnalité de Valérie Plante, l’arrogance et la suffisance de Denis Coderre sont pour plusieurs les causes principales du résultat des élections municipales de ce 5 novembre 2017 à Montréal. Vrai. Mais en partie seulement. Car cela ne suffit pas à provoquer un tel revirement de situation politique qui en d’autres temps n’aurait pas fait la différence. Et ce n’est pas un an de campagne électorale active qui aura rendu possible ce qui ne s’est jamais vu dans l’histoire de Montréal.

Ici il ne s’agit pas du simple fait que Valérie Plante soit une femme. Il s’agit du fait que les personnes âgées qui normalement auraient plutôt voté conservateur, cette fois ont opté pour le renouveau. Il s’agit du fait que ceux qui font partie de ce que l’on appelle la classe moyenne ont rejeté en bloc un jugement traditionnel en faveur d’une personnalité rassurante que l’on disait imbattable et que le journal La Presse et Le Devoir ont soutenu pour qu’il se maintienne au pouvoir. Il s’agit du fait que la jeune génération a rejeté sans appel la manière traditionnelle de faire de la politique.

C’est d’un nouveau paradigme dont il est question. Un bouleversement qui s’inscrit dans la ligne des résultats inattendus du Brexit en Europe, de la monté de ce que d’aucuns appellent démagogiquement le nouveau « populisme » à travers le monde. Un choix qui rappelle la montée fulgurante de Bernie Sanders aux États-Unis, voire le rejet de l’Establishment qui a sacrifié Hillary Clinton au profit d’un Trump pas plus rassurant mais qui a fait dire aux électeurs « qu’est-ce qu’on a à perdre après tout ».

Non. Je ne fais pas d’amalgames ici. Trump et le populisme de droite n’ont rien à voir avec une politicienne démocrate comme Valérie Plante, issue du communautaire et fortement impliquée socialement. La question ici n’est pas le désir du changement pour le changement. Car de tout temps, la droite et le capital ont toujours su s’accommoder du changement. L’extrême-droite est dans leur carnet en réserve. Le racisme aux États-Unis, le fascisme en Europe, l’islamisme radicale, voir le terrorisme, toutes ces tendances que plusieurs croyaient révolues mais qui ont refait surface après le démembrement des pays socialistes d’Europe de l’Est illustrent le fait que le capitalisme a des ressources et des réserves profondes dont les nationalismes identaires qui en sont aujourd’hui une marque de commerce et qui n’échappent pas non plus au Québec. D’ailleurs, jusqu’à un certain point, Denis Coderre devait représenter ce changement. L’efficacité, le code Coderre, le numérique… tout ce qui l’a amené au pouvoir après un gouvernement municipal corrompu était déjà une façon pour la droite de se coller au pouvoir avec un air de changement.

Ce qui est nouveau cette fois, c’est que la population n’a pas été dupe une deuxième fois. C’est que les populations à travers le monde sont de moins en moins dupes justement. Et ici  la vraie question à se poser est de savoir précisément pourquoi les populations sont-elles de moins en moins dupes ?

L’écœurement général, le ras-le-bol certes. Mais encore faut-il se poser la question : pourquoi un tel écœurement et un tel ras-le-bol ? Dès lors qu’on se pose la question la réponse fait surface. Depuis la crise économique de 2008-2010 plus rien n’est pareil. La « globalisation », le néolibéralisme ont atteint avec cette crise une autre crise, politique celle-là, toute aussi sinon plus profonde. Les attaques contre ce qu’on appelait et qu’on appelle encore parfois démagogiquement l’ « État providence » se sont retournées contre leurs protagonistes et les peuples ont réalisé que si l’État avait quelque chose de providentielle c’était précisément envers le grand business, la haute finance, les puissances militaires. Les anciennes vérités s’en sont trouvées ébranlées. Tout a été déballé. La corruption, les magouilles de toutes sortes, les paradis fiscaux… au point où les politiciens doivent désormais faire pattes blanches. Une profonde prise de conscience s’est emparée de populations entières et l’immense collusion entre pouvoir politique, médias et « Establishment » fut mis au jour.

Cette prise de conscience ne suit pas la même courbe d’une région à l’autre. Elle ne repose pas non plus sur les mêmes traditions. Les peuples sont souvent enclins à donner une dernière chance à la stabilité politique. Couillard et Trudeau sont aussi sur le respirateur artificiel comme ce fut le cas pour Denis Coderre à Montréal. Mais ce respirateur a ses limites, comme on vient de la voir avec l’élection de Valérie Plante.

Ce qui est nouveau ici, c’est le fait que Valérie Plante est issue du mouvement social et communautaire. Un peu comme Québec solidaire au niveau provincial. Les acteurs sociaux ont l’avantage par rapport aux politiciens traditionnels d’entraîner (et d’être soulevés par) les masses et le mouvement populaire. C’est la force du nombre contre le vent de ceux qui ne s’en tiennent qu’aux superstructures. À ceux qu’on qualifie parfois de décideurs. Le nombre est du côté des victimes d’un système trompeur. La pensée unique ne passe plus comme La Presse et Le Devoir ont pu s’en rendre compte à Montréal.

Ce courant va-t-il durer ? Rien n’est moins sûr. Mais cela n’est pas impossible. D’autres acteurs doivent s’y joindre. Le mouvement ouvrier et syndical en particulier. Jusqu’à présent on a réussi à les museler en les faisant participer aux miettes de l’abondance par le biais de systèmes financiers comme le Fonds de solidarité de la FTQ ou le Fondaction de la CSN. Mais ne nous y trompons pas. Cette mal nommée « classe moyenne » qui n’existe pas réellement en tant que telle représente en réalité la grande masse des travailleurs. Elle aussi prend de plus en plus confiance dans ses capacités d’intervenir et de changer les choses. Après tout Valérie Plante n’est-elle pas elle-même propriétaire d’un quintuplexe ? Ce qui ne l’a pas empêché de rester profondément attachée à ses valeurs démocratiques et sociales.

C’est en cela que réside le plus grand succès de Valérie Plante et de Projet Montréal. La naissance de l’Espoir d’un véritable changement.

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La grande illusion – Réflexion sur la social-démocratie

À sa naissance, la social-démocratie représentait un courant de pensée révolutionnaire. Née du mouvement politique que les crises économiques du système capitaliste naissant provoquèrent, le mouvement socialiste rassemblait une forte opposition à des conditions de travail inhumaines. Elle avait plusieurs représentants ouvriers au parlement. Treize à quatorze heures de dur labeur par jour, six jours par semaine, les travailleurs ne disposaient généralement que d’une maigre journée de repos pour se refaire un peu d’énergie afin d’affronter une autre semaine de travail.

Le capitalisme venait de substituer au servage féodal l’appropriation de la force de travail des ouvriers par les propriétaires d’entreprises. Les salaires avaient deux objectifs : – assurer la régénérescence de cette force de travail – permettre l’écoulement de la marchandise pour faire rouler l’économie.

Deux facteurs de crise apparurent très tôt à la naissance du capitalisme.

  1. La soif du profit maximum entraîna des conditions de travail de plus en plus inhumaines. La hausse de la productivité ne pouvait se réaliser que sur le dos du travailleur et l’accroissement du chômage. Celui-ci à son tour exercera une pression à la baisse sur les salaires et deviendra même un critère vital pour la survie du capitalisme. Sur le plan politique, cette situation entraîna la radicalisation du mouvement ouvrier.
  2. La demande se situant toujours en dessous de l’offre, le marché deviendra trop exigu. On assistera à des crises de surproduction parallèlement à l’aggravation des conditions de vie des travailleurs. Les frontières établies après la révolution bourgeoise ne suffiront plus à contenir l’expansion du capital et de son pouvoir politique. L’intervention de l’État pour protéger le marché local ne pourra stopper l’élan des grandes puissances économiques pour conquérir les marchés extra-territoriaux. Le germe de la guerre fait son apparition. Sur le plan politique, la bourgeoisie répondra à ce nouveau besoin d’expansion par un cri de ralliement national.

À la fin du 19e siècle, le mouvement ouvrier est à la croisée des chemins. Alors que plusieurs de ses représentants étaient élus au Parlement ou à l’Assemblée nationale (ce fut le cas en Angleterre, en France et en Allemagne) il fut confronté aux choix que lui proposaient d’un côté la grande bourgeoisie nationale et de l’autre, celui des dirigeants ouvriers plus radicaux.

En politique, aucun modèle alternatif n’avait encore existé. Les menaces de chaos répandues par les dirigeants politiques, l’incertitude économique, mais aussi la corruption naissante dans le mouvement ouvrier et la collusion entre plusieurs de ses dirigeants avec les représentants du pouvoir, allaient provoquer une profonde division au sein du mouvement.

Sur les deux questions fondamentales auxquelles elle était confrontée, une fraction importante des députés et des représentants sociaux-démocrates optèrent pour les choix de l’État bourgeois. Face aux conditions inhumaines de travail ils optèrent pour des reformes temporaires et de surface refusant de voir dans la nature du capitalisme la cause principale de la détorioration des conditions de vie des travailleurs. Face à la crise des marchés, ils votèrent donc avec la bourgeoisie pour les budgets de guerre et le rassemblement du peuple sous le drapeau national. L’industrie militaire devenant elle-même un facteur d’emploi et de sortie de crise. Tandis que de l’autre côté, la tendance plus radicale du mouvement ouvrier fit appel au rassemblement des travailleurs sous un seul drapeau, indépendamment de leur nationalité, celui de la classe ouvrière. Leur slogan était : Non à la guerre ; transformons la guerre capitaliste en guerre révolutionnaire pour renverser les gouvernements bourgeois et mettre sur pied un gouvernement des travailleurs.

Cette première grande division du mouvement ouvrier en courants réformiste et révolutionnaire se manifesta concrètement entre ceux de la social-démocratie qui appuyèrent la Première Guerre mondiale et ceux qui donnèrent leur appui à la Révolution d’Octobre.

Le même scénario se poursuivit entre la Première et la Seconde Guerre mondiale. Les appels pour la réunification du mouvement ouvrier contre la montée du fascisme n’eurent que très peu d’écho, les réformistes refusant généralement toute alliance avec les communistes. Plusieurs endossant même l’idée caressée par une frange de la grande bourgeoisie qui espérait que fascistes et communistes s’autodétruisent l’un et l’autre.

Deux cas relativement récents et partiellement réussis du front uni des travailleurs, réunissant courant réformiste et révolutionnaire, se soldèrent par des échecs fracassants. Celui de l’Unité populaire du Chili dans lequel le Parti communiste du Chili et le Parti socialiste chilien réussir à regrouper autour d’eux un vaste front national qui allait porter au pouvoir le gouvernement Allende en 1970. Et celui de la coalition du Parti socialiste et du Parti communiste français, qui allait élire dans la même période, le gouvernement de François Mitterrand.

Dans le cas du Chili, ce furent en grande partie les illusions envers l’acceptation par la bourgeoisie des changements engrangés par le nouveau gouvernement qui furent en cause. Des illusions qui se sont principalement manifestées en négligeant de réformer les structures de l’armée et de remplacer les dirigeants mis en place par l’ancien régime. Dans le cas de la France, ce furent illusion par dessus illusion. Les socialistes trahirent leurs engagements sociaux et les communistes se reposèrent sur leurs acquis traditionnels prenant leur distance du mouvement progressiste mondial. Au point que le PCF se distingue à peine aujourd’hui, sur les grands enjeux mondiaux, de la social-démocratie au point d’éroder sérieusement leurs appuis traditionnels

L’échec du réformisme n’est donc pas un cas isolé. Et pour cause, car en aucun cas, les sociaux-démocrates n’ont réformé quoi que ce soit. Tout au plus, ont-ils cherché à aménager le capitalisme pour le rendre plus acceptable par la population. Dans la plupart des pays, même en Suède où elle domina la scène politique durant plus de 70 ans, la social-démocratie est devenue un véritable cheval de Troie qui finit par soumettre l’État aux desiderata de l’Establishment économique. Sur les deux grands enjeux auxquels les forces démocratiques furent de tout temps confrontées : la guerre et le capitalisme, les partis sociaux-démocrates se sont rangés du côté de la guerre et en faveur du capitalisme. En Angleterre le Labor Party fut le principal allié des États-Unis dans la guerre en Irak et dans le virage néolibéral. En Grèce, pays qui a le plus haut budget militaire de toute l’Europe en rapport avec son produit intérieur brut (PIB), le Parti socialiste (PASOK) fut le principal instigateur de la dégradation du niveau de vie au profit des banques. Aujourd’hui allié des conservateurs et de l’extrême droite, le PASOK abandonne complètement le sort de la démocratie au diktat des grandes institutions financières européennes.

Lorsque la fraction révolutionnaire du mouvement ouvrier et démocratique ne réussit pas à rassembler un large appui politique, les populations ont généralement tendance à opter pour la droite comme alternative aux échecs réformistes, qui passent alors pour des échecs du socialisme. Le Canada n’échappe pas à ce phénomène. Les plus grands succès du Nouveau parti démocratique du Canada furent provinciaux: il prit le pouvoir en Saskatchewan, au Manitoba, en Colombie-Britannique et en Ontario, ainsi que dans le territoire du Yukon. Le cas le plus frappant fut certainement celui de l’Ontario, où le chef du gouvernement du NPD, Bob Rae a entraîné la province dans des politiques d’austérité qui ont provoqué la prise du pouvoir par les Conservateurs. Bob Rae est devenu depuis une des personnalités en vue pour la course à la chefferie du Parti libéral du Canada, dont il est présentement le chef par intérim.

Aux élections générales du 2 mai 2011, le Nouveau parti démocratique du Canada réalisa sa plus grande percée de l’histoire en devenant pour la première fois l’opposition officielle à Ottawa. Le NPD obtint 30 % des voix et fit élire 103 députés. Cette percée fut possible grâce, en grande partie, à la débandade du Bloc québécois qui n’a jamais pu se positionner comme une alternative crédible à Ottawa. n’ayant de représentation politique qu’au Québec. Mais il ne fallut pas longtemps après cette percée pour que le visage néo-capitaliste du NPD resurgisse. Peu après son élection, le député NPD de Rosemont-la-Petite-Patrie, Alexandre Boulerice, qui avait donné son appui à la campagne « Un bateau pour Gaza », fut obligé de se rétracter devant les pressions d’Israël et de la direction de son parti. Le NPD évite le plus possible de se prononcer sur les grands enjeux internationaux. Mais lorsqu’il le fait, c’est pour se ranger du côté des puissances interventionnistes, fidèle à la tradition réformiste de cette frange de la social-démocratie qui provoqua la division du mouvement ouvrier à la fin du 19e siècle.

Or, est-il nécessaire de rappeler que la politique des socio-démocrates vis-à-vis la guerre n’est qu’un des deux volets de la politique du sauvetage du capitalisme mondial ? Lorsque menacé de survie sous le poids de ses contradictions le capitalisme n’hésite pas à puiser dans ses réserves. Lorsqu’il est à cours d’alternative, il fera appel à l’extrême-droite fascisante tel que nous l’enseigne le cas de l’Allemagne nazie et plus récemment, celui de Pinochet au Chili. Sinon la social-démocratie lui permettra de nourrir longtemps l’illusion que la libre entreprise et l’économie de marché sont les plus grandes vertus de notre époque. Avec le phénomène du libre-échange et celui de la mondialisation où la fusion du grand capital atteint des sommets, les différences traditionnelles entre Conservateurs et Libéraux, Républicains et Démocrates s’estompent de plus en plus. Au Canada, comme en Europe, la social-démocratie ne fera qu’entretenir l’illusion de la démocratie à travers le jeu de l’alternance politique.

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Les hypocrites

La confusion des genres

Derrière l’exercice de la « démocratie » que je me vois presque en tout temps obligé de mettre entre guillemets, il y a des hommes et des femmes. Ceux et celles qui à différents niveaux des institutions publiques prennent des décisions. Or les pièges ou les biais de la démocratie ne sont pas nécessairement, comme on nous le laisse trop facilement entendre, l’envers inévitable de la médaille. Lorsque les décisions vont à l’encontre des principes de la démocratie, celles et ceux qui prennent ces décisions, forts de leur mandat de représentation, sont bien souvent des hypocrites.

Or les hypocrites jouent continuellement dans la confusion des genres. Et s’il est un domaine où ils excellent particulièrement, c’est bien au niveau de la loi électorale. L’enveloppe politique de l’exercice du droit démocratique.

Au Québec, bien des progrès ont été réalisés depuis la Révolution tranquille. Une des réformes majeures dont peu de personnes contestent le bienfait concerne le financement des partis politiques. Pendant longtemps, le financement des partis politiques, hormis le paiement d’une carte de membre, avait un caractère profondément antidémocratique, car il pouvait provenir d’entreprises et de très grandes entreprises privées cherchant à substituer aux citoyens, leurs intérêts privés. Une manière d’ériger en citoyen l’entreprise privée. Lorsque la réforme de la loi électorale limita le droit de faire des dons à la caisse électorale des partis politiques aux particuliers, on imposa une limite à ces dons pour éviter qu’on puisse contourner le principe selon lequel l’État est le représentant des citoyens et non des entreprises.

Pourquoi les entreprises ne peuvent-elles pas financer les partis politiques. On dit souvent qu’une corporation est une entité morale au sens de la loi. En réalité cela veut dire simplement qu’une entreprise ne peut se situer au-delà de la loi ou encore qu’un individu (ou un groupe d’individus) ne peut utiliser son entreprise pour contourner la loi. Mais cela n’accorde aucun droit de vote, ni de représentation politique aux entreprises. Ce principe est-il respecté dans la réalité? Cela est une toute autre question. Il suffit de penser à l’organisation officielle du lobbyisme et à la manière dont les pétrolières ont acquis des droits sur les terres publiques. Si les éléments les plus démocratiques de la loi sont le fruit de l’évolution politique et sociale, ils sont avant tout le fruit des luttes menées par les organismes les plus représentatifs du mouvement ouvrier et populaire. Des luttes grandement inspirées au début du siècle dernier par des pays ayant réalisé des politiques sociales avancées, notamment dans les systèmes d’éducation et de la santé. Ces luttes avaient pour but notamment de créer un rapport de force en faveur de la démocratie. Par le fait même les acquis auxquels ce rapport de force conduit seront aussi instables que le rapport de force lui-même. On a pour preuve les reculs dans lesquels le gouvernement Harper est en train de mener le Canada sur les armes à feu, Kyoto, le mariage gai, etc.

« Démocratie » et Démocratie

Essentiellement, le système capitaliste a une double dénomination. 1- Le mot « capitalisme » ou son adjectif signifie que l’organisation de base de la société est fondée sur le capital et ses intérêts. 2- Le mot « système » signifie qu’il s’agit d’une organisation structurelle (on pourrait dire globale). Ce système a un caractère politique, social et culturel autant qu’économique. Dans tous les cas, le caractère « démocratique » des décisions politiques n’aura pour finalité que la réalisation de ces deux objectifs, soit la réalisation du système capitaliste. Et malgré toutes les prétentions des idéologues qui en font la défense, l’inverse n’est pas vrai. En d’autres mots, dans un système capitaliste la « démocratie » a pour fonction de représenter le capitalisme mais le capitalisme ne représente pas la démocratie (sans guillemets). Voilà pourquoi nous sommes confrontés à la nécessité de distinguer entre démocratie formelle et démocratie réelle. Une distinction qui nous ramène toujours à la question de savoir quels intérêts sont défendus par la démocratie. Ceux des citoyens ou ceux des grandes entreprises et du capital. Dès lors nous devons comprendre que la notion de démocratie ne saurait être évaluée que de manière concrète et non pas abstraite.

La Loi sur le financement des partis politiques est-elle vraiment un grand pas en avant? Après la noirceur duplessiste et les collusions éhontées entre le privé et le gouvernement on ne saurait le contester. Mais à l’époque, dans un souci d’apparence équitable visant à ne faire aucune exception, on avait trouvé le moyen de mettre sur un pied d’égalité l’organisation syndicale des travailleurs et l’entreprise privée. Ainsi une organisation de travailleurs qui voudrait former un parti politique des travailleurs et soutenir financièrement celui-ci par une organisation syndicale qu’il a mise sur pied pour défendre ses droits, ne peut pas le faire puisqu’un patron ne peut pas financer un parti politique à partir de son entreprise. Une manière de mettre sur un pied d’égalité une organisation démocratique et une entreprise qui n’a absolument rien de démocratique.

La grande illusion

Il faut dire ici que le mouvement syndical ne s’est pas toujours aidé. Lorsque sous la direction de Louis Laberge, la FTQ (Fédération des travailleurs du Québec) a décidé d’abandonner la lutte des classes pour combattre non pas contre, mais dans le système capitaliste, elle décidait de se comporter non plus comme représentant d’un mouvement démocratique, mais comme une entreprise à l’intérieur du système capitaliste. Une occasion que n’allait pas rater Jacques Parizeau, alors ministre des Finances, en appuyant la création du Fonds de solidarité de la FTQ dont le but était essentiellement de prendre l’argent des travailleurs pour l’investir directement dans les petites et moyennes entreprises. Un modèle qu’allait suivre la CSN (Confédération des syndicats nationaux) en mettant sur pied le Fondaction en 1995. Si l’on compare l’évolution générale de la condition des travailleurs dans la période 1960-1980 caractérisée par le Front commun des travailleurs, l’emprisonnement des chefs syndicaux, la grève générale et les gains réels du mouvement ouvrier à celle de 1980-2011 dominée par l’esprit  d’entrepreneuriat, la division syndicale, la collusion avec les entreprises et les reculs sur les acquis passés, on pourrait appeler cette dernière période de « grande illusion ».

Jusqu’où ira l’hypocrisie?

Il faut dire que les reculs ne sont pas qu’économiques et sociaux. Ils sont beaucoup « idéologiques », politiques et culturels. La coupure avec les luttes du mouvement ouvrier n’est pas le propre de la  génération Y  . La gauche traditionnelle y est pour beaucoup. Oubliant que les principaux acquis des années ’60-’70 étaient le fruit de luttes souvent épiques, plusieurs ont eu tendance à les attribuer à des valeurs propres au système capitaliste. Se confortant dans l’anticommunisme sommaire et valorisant l’individualisme à succès, la gauche des années ’80 à aujourd’hui s’est cantonnée dans un rôle de faire-valoir du capitalisme. Ce qui a donné lieu à la trahison de presque tous les gouvernements sociodémocrates qui furent parmi les grands promoteurs du néo-libéralisme alors qu’ils avaient été portés au pouvoir dans le but de matérialiser sur le plan politique les acquis populaires. Ce fut le cas dans toutes les provinces canadiennes ou le NPD (Nouveau Parti Démocratique) fut élu, de la même manière que dans des pays comme l’Angleterre et la France.

Au point que les travailleurs n’ont plus d’éléments de référence. Même chez Québec solidaire on trouve un fort courant antisyndical, comme on en trouvait dans le mouvement « Occupons-Montréal ».
Faut-il se surprendre dès lors que la loi électorale en soit rendue jusqu’à interdire aux travailleurs de s’exprimer pendant une campagne électorale? Le 15 avril 2009, le DGEQ (Directeur général des élections du Québec) prononçait 10 verdicts de culpabilité contre la FTQ parce que cette dernière s’était prononcée publiquement dans certaines circonscriptions électorales en faveur d’un vote éclairé lors des élections générales du 14 avril 2003 et mettait les travailleurs en garde contre un vote adéquiste. Aujourd’hui la Cour suprême vient d’annoncer qu’elle refusait d’entendre l’appel de la FTQ en vertu de la libre expression en période électorale. Le mouvement ouvrier ne peut donc pas exprimer l’intérêt de ses membres en période électorale! Encore pourrait-il former un parti politique des travailleurs mais il ne pourrait pas le financer.

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Du sable dans l’engrenage

Déjà au 19e siècle, analysant les rouages du système capitaliste, Marx et Engels écrivaient dans le Manifeste du Parti communiste : « Le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière« . Moins directs aujourd’hui et profondément transformés par les acquis démocratiques émanant des luttes populaires, soumis à l’évolution de la presse écrite et parlée et encore davantage à l’ère des nouvelles technologies, par les médias sociaux, les gouvernements modernes ont pris l’habitude de se protéger sous de larges couvertures. Le code législatif rend de plus en plus difficiles les décisions politiques ouvertement hostiles au mouvement populaire. Les pressions pour faire accepter la logique de la course au profit maximum et ses conséquences sur les niveaux de vie des populations passe désormais par des ramifications médiatiques et idéologiques complexes dont la récente lettre de démission de Kai Nagata de son poste de directeur du bureau de Québec de « CTV » donne une bonne image de ces pratiques au Canada.

Ces techniques de vente n’en fonctionnent pas moins pour autant. Au point que des notions comme le « libre marché », la « démocratie » (lire la démocratie occidentale), la « liberté » (lire la liberté d’entreprise) sont considérées par nos vaillants idéologues de l’Establishment comme des valeurs « fondamentales » de référence à toute action dite humanitaire. Cela va des rapports sociaux au sein de nos régimes étatiques jusqu’aux guerres de « libération » comme la guerre en Libye. Au nom de la liberté, on donne son aval à l’ingérence dans les affaires des autres. Et pour conforter la population dont on a besoin de l’appui politique et morale, on crée alors un nouveau « droit » politique qui s’appellera le « droit d’ingérence ». La population allemande qui soutenait les guerres expansionnistes d’Hitler n’avait pas besoin de tant de fanfaronnades. Mais à cause de la Seconde Guerre mondiale justement, aujourd’hui il faut mettre des gants blancs.

Malgré tout, l’expansionnisme est l’expansionnisme. La guerre est la guerre. La souffrance et la mort seront toujours la souffrance et la mort.

Les résultats sont les mêmes et pour les décrire les mots ne changent pas. Seuls changent les mots pour y faire face. À socialisme on choisira « socialisme démocratique ». À laïcité on opposera « laïcité ouverte ». Même des termes comme bourgeoisie et luttes de classes sont à proscrire. En fait les classes ça « n’existe plus ». On en aura que pour la « classe moyenne ». Mais tiens donc. C’est une classe ça, la classe moyenne. Et si quand même les classes n’existaient plus, cela veut-il dire que la petite bourgeoisie et la grande bourgeoisie sont des illusions de l’esprit ?

C’est bien ce que la rectitude politique voudrait nous faire croire.

La roue tourne, mais…

Et la roue tourne. La seule grande valeur incontestable, le profit. Lui il ne cesse de croitre. Lorsque des embûches lui causent de tout petits problèmes, l’État « providence », celui-là même qui fut créé pour maintenir la survie de populations entière et leur assurer un pouvoir d’achat minimum, celui tant condamné pour les tenants du néolibéralisme et du capitalisme sauvage tout azimut, n’hésitera pas à leur venir en aide. Pas à coup de quelques dollars par mois pour les aider à boucler leur maigre « budget », mais à coup de centaines de milliards de dollars. Des centaines de milliards de dollars qui seront bien partagés entre ces mégas puissances et l’industrie militaire dont les capitaux, de toute façon, sont aujourd’hui complètement imbriqués.

La roue tourne tellement bien qu’on va enfin pouvoir lâcher du leste. On n’ira pas jusqu’à permettre aux entreprises locales trop de brutalité envers la force de travail. Mais libre-échange oblige, lorsqu’il s’agira de compagnies étrangères, rien dans la Loi ne les empêchera de se comporter comme au 19e siècle. Ainsi IQT pourra congédier sans avertissement ses 1200 employés et pour ajouter l’insulte à l’injure on demandera à ces employés de considérer leurs deux dernières semaines de travail comme du « bénévolat ». Cela au moment même où la Cie envisageait d’ouvrir un nouveau centre d’appels à Nashville aux É.-U..

Au nom de la sacro-sainte « liberté », la démonisation de tout ce qui comporte l’expression « sociale » va bon train et tout ce qui comprend le mot « privé » est porté aux nues, confondant intentionnellement la notion de « propriété privée » avec « propriété personnelle ». Et lorsqu’au nom de la propriété privée l’État et même son service de sécurité policière deviennent un obstacle, on ne fera pas dans la dentelle pour les détourner à leurs « propres » fins. Au point d’en oublier les usages de bon aloi qui consistent avant tout à convaincre la population pour qu’elle accepte l’inacceptable.

C’est ici que l’affaire Murdoch prend toute sa véritable dimension. Lorsqu’on voit défiler la palette de personnalités impliquées d’une manière ou d’une autre, dans ce qui deviendra certainement l’un de plus grands scandales du siècle, du magnat de la presse au premier ministre en passant par le chef du Scotland Yard, on découvrira qu’au bout du compte, l’État, son système « démocratique », ses lois, étaient devenus trop gênants pour les besoins de cette si chère liberté d’entreprise. Celle-là même qui a mené à la guerre en Irak et à la crise de 2008 dont nous ne sommes toujours pas vraiment sortis.

Scandale après scandale, faillite après faillite, crise après crise… La roue tourne toujours, mais là ça commence à faire beaucoup de sable dans l’engrenage !

Opinion Scène canadienne

Le Canada ressuscite la politique de confrontation de la guerre froide

La journée même où le ministre de la Défense, Peter Mackay annonce que le Canada utilisera une base militaire au Koweit pour maintenir sa présence dans le Golfe Persique, le ministre des Affaires étrangères, John Baird, annonçait de son côté l’intention du Canada de boycotter la Conférence de l’ONU sur le désarmement.

En prétextant du fait que la Corée du Nord présidera la conférence, le gouvernement Harper dévoile son désintérêt pour toute la question du désarmement. Il rejette en quelque sorte l’argument des États-Unis à l’effet que la présidence d’une telle conférence ne peut influencer d’une quelconque façon les décisions qui y seront prises.

Il est connu que le gouvernement canadien négocie présentement une présence militaire permanente en Afrique. Cela malgré le fait qu’aucune demande en ce sens ne lui ait été adressée et que le budget militaire du Canada ait connu une véritable explosion ces dernières années, grevant ainsi considérablement l’aide humanitaire du Canada à l’étranger et les services de santé qui sont en crise depuis plusieurs années au pays.

En invoquant le cas de la présidence de la conférence, le Canada a recours aux vieilles méthodes de la guerre froide. Il rejette les principes et les mécanismes de fonctionnement des Nations Unies qui favorisent le dialogue plutôt que la confrontation et leur oppose une politique d’isolement et de menace de force.

Opinion Scène canadienne

Une élection historique ?

(Lire le post-scriptum à la fin de l’article)


À la lumière des derniers sondages nous sommes en droit de nous demander si nous ne nous dirigeons pas vers une élection historique le 2 mai prochain. Pour la première fois au Canada un parti social-démocrate, le NPD, pourrait devenir le premier parti de l’opposition devant le Parti libéral du Canada, mettant ainsi un terme à la domination de la scène politique fédérale par les deux principaux partis de l’establishment, Conservateurs et Libéraux.

Après le scandale des commandites, l’establishment libéral avait jeté son dévolu sur Michael Igniatieff afin d’atténuer l’opposition contre les politiques néo-libérales de ses prédécesseurs (poursuivies par Stephen Harper et le Parti conservateur) que représentait une possible coalition défendue par Stéphane Dion ainsi qu’une fraction du Parti libéral et le NPD.

Alors qu’à l’époque Michael Ignatieff avait joué un tour de passe-passe à Bob Rae le délogeant de la candidature à la chefferie libérale sous prétexte qu’il serait un meilleur chef de coalition que Stépane Dion, c’est plutôt le Michael Ignatieff éteignoir qui s’est retrouvé à la tête du Parti libéral. Normal pour l’establishement libéral qui ne se distingue pas vraiment des Conservateurs. Sauf que cette fois c’est Stephen Harper qui a joué un tour de passe-passe à Michael Ignatieff amenant ce dernier d’entrée de jeu en campagne électorale, à dénoncer toute velléité de coalition. Il voulait neutraliser Ignatieff dans l’éventualité d’un nouveau gouvernement conservateur minoritaire.

Or ce que les sondages illustrent, c’est que l’idée d’une coalition pour bloquer le virage à droite dans lequel les Conservateurs enlisent le Canada, n’est pas morte dans l’opinion publique canadienne. À la différence cette fois que l’électorat sait pertinemment qu’il ne peut pas compter sur Michael Ignatieff pour mener cette coalition à terme.

Cette tendance pourrait s’accroitre rapidement à l’approche du scrutin et affecter directement les intentions de vote pour les Conservateurs. Des électeurs incrédules face à la possibilité d’un véritable changement le 2 mai étaient sur le point de se laisser séduire par l’idée que seul un gouvernement conservateur majoritaire pourrait changer la situation au pays. Ceux-là pourraient maintenant se tourner vers le NPD.

Si le NPD arrivait second devant les Libéraux de Michael Ignatieff on pourrait s’attendre au remplacement de ce dernier à plus ou moins court terme à la tête du Parti libéral. Ce qui rendra possible la formation d’une coalition avec le NPD et le Parti libéral. Cette coalition serait plus sensible au Québec afin de s’assurer de l’appui des bloquistes.


Post scriptum de l’auteur :

Écrit quelques jours avant les élections, je n’avais pas anticipé dans cet article, pas plus d’ailleurs que les analystes et les média en général, la possibilité aussi concrète de l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire le 2 mai dernier. Le système électoral canadien ne permet pas d’indiquer adéquatement comment vont se traduire en termes de députation, les pourcentages de votes estimés pour les différents partis. De plus, il s’avère évident que la campagne anti-coalition de Stephen Harper, appuyé en quelque sorte par un Michael Ignatieff incapable d’impulser un quelconque leadership au Parti libéral, aura été décisive au Canada anglais.
Néanmoins, outre les différentes interprétations qu’on donnera des élections du 2 mai dernier, on ne pourra nier que le Québec s’est tenu la tête haute devant le vent conservateur qui vient de refroidir le pays.

Opinion Scène canadienne

L’ACIMMO entre en vigueur

Hélas, l’entrée en vigueur de l’ACIMMO le premier avril 2009 n’était pas un poisson d’avril. L’ACIMMO (Accord sur le commerce intérieur et la mobilité de la main d’oeuvre – TILMA en anglais, pour Trade Investment and Mobility Agreement) contient les plus récentes modifications à l’ACI (l’Accord sur le commerce intérieur) adopté initialement en 1995, dans le but d’adapter les politiques d’échanges inter-provinciales au Canada, à l’Accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Adapter au niveau des principes s’entend, car rien dans l’ALÉNA (Accord de libre-échange nord-américain) n’oblige les provinces canadiennes à modifier leurs relations commerciales entre elles.

Il s’agit en effet d’un accord qui vient appuyer le principe de la suprématie du commerce et du «libre-marché» sur les législations en vigueur dans les provinces canadiennes, une suprématie qui est loin d’être purement théorique puisqu’en cas de litige ce sont les tribunaux commerciaux qui seront appelés à trancher. À l’image du Chapitre 11 de l’ALÉNA que le Canada prétendait vouloir réviser, cela signifie que les différentes législations pourraient être appelées à modifier leurs lois et règlements en conséquence ou se préparer à payer de lourds dédommagements, pouvant atteindre, pour le moment, jusqu’à 5 millions de dollars.

Est-il nécessaire de rappeler qu’en vertu du Chapitre 11 de l’ALÉNA, à deux reprises le gouvernement canadien a dû modifier ses législations, sans parler des dédommagements financiers aux entreprises.

« En 1996, le gouvernement du Canada approuve une loi abolissant l’utilisation du MMT, un additif ajouté à l’essence qui pourrait contenir une neurotoxine causant des dommages au cerveau. L’Ethyl Corporation, distributeur américain de l’additif, réplique en utilisant la réglementation de l’ALÉNA et poursuit le Gouvernement pour 347 millions $, affirmant subir une expropriation et une perte de profits. Le procès se termina en 1998 lorsque le Gouvernement fit un jugement hors cour, donnant 20 millions $ à Ethyl Corporation, lui soumettant des excuses par le biais d’une lettre » (Sources : Eric Squire)

Le 20 octobre 2002, le Panel d’arbitres formé pour régler les litiges commerciaux dans le cadre de l’Accord sur le libre-échange avec les États-Unis rendait une autre décision défavorable au Canada. Celui-ci dut verser une somme de 6,05 millions de dollars à la Compagnie S.D. Myers qui contestait la loi de 1995 interdisant l’exportation canadienne de BPC aux États-Unis. Dans sa défense le gouvernement canadien disait vouloir se conformer à la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux, dont il était signataire.

Dans les deux cas précités, le gouvernement canadien dut par la suite modifier sa législation pour satisfaire les exigences des compagnies à l’origine des poursuites.

Une autre poursuite contre le gouvernement de Colombie-Britannique. Sun Belt Inc., une entreprise californienne réclamait 468 millions $ US parce que la Colombie-Britannique lui a retiré son permis d’exportation d’eau. La plainte fut retirée lorsque la compagnie fut incapable de fournir les garanties financières exigées pour la poursuite de la cause.

À l’instar du Chapitre 11 de l’ALÉNA, l’ACIMMO a déjà commencé ses ravages. Ratifiés depuis 2006, les accords sur le commerce intérieur entre la Colombie-Britannique et l’Alberta ont déjà eu leur impact sur les normes du travail. : « En décembre 2007, le gouvernement de la C.-B. et l’ordre provincial des enseignants ont du signer un accord de mobilité des enseignants dans le cadre de l’ACIMMO. L’entente « harmonise » les normes relatives aux enseignants de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, en faveur des exigences de l’Alberta. Le programme de la Colombie-Britannique est passé de quatre à trois ans et impose désormais moins de cours pour l’obtention de la certification d’enseignant », un nivellement par le bas.

Selon Steven Shrybman, un avocat spécialisé en droit commercial, un projet contre la malbouffe dans les écoles de Colombie-Britannique pourrait être contesté en vertu de l’ACIMMO du fait qu’il restreint l’investissement.

Selon une analyse du SCFP (Syndicat canadien de la fonction publique) « Un conseiller municipal de Turner Valley, en Alberta, a proposé l’interdiction du polystyrène à base de pétrole et non recyclable utilisé dans des produits comme les tasses jetables, les contenants de nourriture et le matériel d’expédition. Cette mesure de protection de l’environnement pourrait être jugée illégale en vertu de l’article 9 (4a) de l’ACIMMO, qui stipule que pendant la transition vers l’application complète de l’ACIMMO aux municipalités en avril 2009, aucun règlement ne peut être modifié de façon à le rendre plus contraignant pour l’investissement ».

Hier, le 2 avril, le Collège des médecins du Québec et le Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario, selon newswire.ca, « ont signé un accord historique qui favorise la mobilité de la main-d’oeuvre médicale entre les deux provinces. Cette entente donne la possibilité à un médecin titulaire au Québec d’un permis sans limitation et sans restriction d’obtenir automatiquement un permis d’exercice pour pratiquer la médecine en Ontario et à un médecin titulaire d’un permis sans limitation et sans restriction en Ontario d’avoir un permis d’exercice pour venir travailler en sol québécois. Les deux ordres professionnels sont parvenus rapidement à cet accord sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles des médecins afin de répondre à une commande en ce sens provenant des deux gouvernements provinciaux et à l’esprit des modifications du chapitre VII de l’Accord sur le commerce intérieur (ACI), en vigueur depuis hier, le 1er avril 2009 ». Cela fait craindre pour la FMSQ (Fédération des médecins spécialistes du Québec) un exode massif des médecins spécialisés (et formés à grands frais par le Québec) vers l’Ontario où les salaires sont plus élevés.

Dans la foulée des politiques de mondialisation et de dérèglementation à outrance, les gouvernements Harper et Charest qui soutiennent à fond de train l’ACIMMO et l’économie dit de «libre-marché» démontrent une fois de plus qu’ils ne retiennent aucune leçon de la crise financière et économique actuelle. Mieux, ils démontrent que leurs gouvernements ont toujours à coeur de faire passer les intérêts des grandes entreprises avant ceux des populations qui les ont élues.

À lire sur le sujet :
Sur TILMA
Sur la mobilité de la main d’oeuvre
Portrait de la situation

Opinion Scène canadienne

D’une coalition à l’autre

La question n’était plus de savoir si Ignatieff appuierait le budget et par le fait même, le gouvernement Harper, mais bien comment il s’y prendrait pour le faire sans trop perdre la face. Aidé par l’appui au budget des provinces de l’Ouest et de l’Ontario qui n’ont que faire des récriminations du Québec selon lequel ce budget lui fera perdre près d’un milliard de dollars d’ici deux ans, Ignatieff y trouve une belle occasion de refaire l’image des Libéraux à l’Ouest. D’abord en gardant le silence sur les demandes de Québec. Ensuite, en endossant le budget pour se montrer ‘responsable’ et tenter de prendre le crédit des investissements dans l’économie.

Cette porte de sortie, tous les médias bien ancrés sur les positions de la droite ne cessent de la lui suggérer depuis hier, en commençant par Radio-Canada et son journaliste Michel Auger. Celui-ci affirmait que le seul choix véritable d’Ignatieff se situait entre l’appui au budget, avec quelques amendements de cosmétiques, et la décision de replonger le pays dans une crise politique qui empêcherait la mise en oeuvre rapide de mesures venant soi-disant en aide aux victimes de la crise.

Rendons claire une question au départ. Ce budget n’a rien d’un budget de sortie de crise. Donnant à gauche et à droite sans plan réel de développement, le gouvernement Harper qui, il y a quelques semaines encore affirmait que le prochain budget ne serait pas déficitaire, nous annonce maintenant un déficit de près de 34 milliards de dollars. Par son appui, Ignatieff dévoile le jeu qu’il a gauchement tenté de cacher depuis sa nomination à la tête du Parti libéral : sa décision de maintenir les Conservateurs au pouvoir plutôt que de participer à une coalition Libéral-NPD. En votant pour un budget électoraliste, toujours aussi revanchard envers le Québec et qui poursuit des visées néolibérales dans le domaine de l’environnement, Ignatieff vient d’assurer les grandes entreprises industrielles et financières, qu’il sera, à la tête du Parti libéral, un fidèle serviteur de leurs intérêts et un instrument de rechange valable, lorsque celles-ci le jugeront utile.

N’oublions pas par ailleurs que dans son discours du trône d’il y a deux jours, le gouvernement conservateur souligna le fait qu’à l’égard de toutes les autres questions, non budgétaires, il fallait s’en remettre au discours du trône de novembre 2008. Ce même discours qui fut le déclencheur d’une crise politique momentanée et de l’idée même d’une coalition Libéral-NPD. Il ne s’agissait pas que d’économie. Il s’agissait aussi de la non-confiance envers les Conservateurs qui venaient de rendre public leur ‘agenda’ caché hostile à l’équité salariale et au droit de grève dans la fonction publique ; menaçant de mettre un terme au financement des partis politiques. Des mesures que le gouvernement Harper attend désormais l’occasion de mettre en application.

En se peinturant dans un coin, les Libéraux pourraient avoir une belle surprise. La coalition Libéral-NPD étant morte pour TRÈS longtemps, la seule alternative des Libéraux face aux Conservateurs sera désormais des élections générales.

La question pour le Parti libéral : Sera-t-il prêt, le moment venu ?
La question pour les Canadiens : Voter Libéral changera-t-il vraiment quelque chose ?