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La grande illusion – Réflexion sur la social-démocratie

À sa naissance, la social-démocratie représentait un courant de pensée révolutionnaire. Née du mouvement politique que les crises économiques du système capitaliste naissant provoquèrent, le mouvement socialiste rassemblait une forte opposition à des conditions de travail inhumaines. Elle avait plusieurs représentants ouvriers au parlement. Treize à quatorze heures de dur labeur par jour, six jours par semaine, les travailleurs ne disposaient généralement que d’une maigre journée de repos pour se refaire un peu d’énergie afin d’affronter une autre semaine de travail.

Le capitalisme venait de substituer au servage féodal l’appropriation de la force de travail des ouvriers par les propriétaires d’entreprises. Les salaires avaient deux objectifs : – assurer la régénérescence de cette force de travail – permettre l’écoulement de la marchandise pour faire rouler l’économie.

Deux facteurs de crise apparurent très tôt à la naissance du capitalisme.

  1. La soif du profit maximum entraîna des conditions de travail de plus en plus inhumaines. La hausse de la productivité ne pouvait se réaliser que sur le dos du travailleur et l’accroissement du chômage. Celui-ci à son tour exercera une pression à la baisse sur les salaires et deviendra même un critère vital pour la survie du capitalisme. Sur le plan politique, cette situation entraîna la radicalisation du mouvement ouvrier.
  2. La demande se situant toujours en dessous de l’offre, le marché deviendra trop exigu. On assistera à des crises de surproduction parallèlement à l’aggravation des conditions de vie des travailleurs. Les frontières établies après la révolution bourgeoise ne suffiront plus à contenir l’expansion du capital et de son pouvoir politique. L’intervention de l’État pour protéger le marché local ne pourra stopper l’élan des grandes puissances économiques pour conquérir les marchés extra-territoriaux. Le germe de la guerre fait son apparition. Sur le plan politique, la bourgeoisie répondra à ce nouveau besoin d’expansion par un cri de ralliement national.

À la fin du 19e siècle, le mouvement ouvrier est à la croisée des chemins. Alors que plusieurs de ses représentants étaient élus au Parlement ou à l’Assemblée nationale (ce fut le cas en Angleterre, en France et en Allemagne) il fut confronté aux choix que lui proposaient d’un côté la grande bourgeoisie nationale et de l’autre, celui des dirigeants ouvriers plus radicaux.

En politique, aucun modèle alternatif n’avait encore existé. Les menaces de chaos répandues par les dirigeants politiques, l’incertitude économique, mais aussi la corruption naissante dans le mouvement ouvrier et la collusion entre plusieurs de ses dirigeants avec les représentants du pouvoir, allaient provoquer une profonde division au sein du mouvement.

Sur les deux questions fondamentales auxquelles elle était confrontée, une fraction importante des députés et des représentants sociaux-démocrates optèrent pour les choix de l’État bourgeois. Face aux conditions inhumaines de travail ils optèrent pour des reformes temporaires et de surface refusant de voir dans la nature du capitalisme la cause principale de la détorioration des conditions de vie des travailleurs. Face à la crise des marchés, ils votèrent donc avec la bourgeoisie pour les budgets de guerre et le rassemblement du peuple sous le drapeau national. L’industrie militaire devenant elle-même un facteur d’emploi et de sortie de crise. Tandis que de l’autre côté, la tendance plus radicale du mouvement ouvrier fit appel au rassemblement des travailleurs sous un seul drapeau, indépendamment de leur nationalité, celui de la classe ouvrière. Leur slogan était : Non à la guerre ; transformons la guerre capitaliste en guerre révolutionnaire pour renverser les gouvernements bourgeois et mettre sur pied un gouvernement des travailleurs.

Cette première grande division du mouvement ouvrier en courants réformiste et révolutionnaire se manifesta concrètement entre ceux de la social-démocratie qui appuyèrent la Première Guerre mondiale et ceux qui donnèrent leur appui à la Révolution d’Octobre.

Le même scénario se poursuivit entre la Première et la Seconde Guerre mondiale. Les appels pour la réunification du mouvement ouvrier contre la montée du fascisme n’eurent que très peu d’écho, les réformistes refusant généralement toute alliance avec les communistes. Plusieurs endossant même l’idée caressée par une frange de la grande bourgeoisie qui espérait que fascistes et communistes s’autodétruisent l’un et l’autre.

Deux cas relativement récents et partiellement réussis du front uni des travailleurs, réunissant courant réformiste et révolutionnaire, se soldèrent par des échecs fracassants. Celui de l’Unité populaire du Chili dans lequel le Parti communiste du Chili et le Parti socialiste chilien réussir à regrouper autour d’eux un vaste front national qui allait porter au pouvoir le gouvernement Allende en 1970. Et celui de la coalition du Parti socialiste et du Parti communiste français, qui allait élire dans la même période, le gouvernement de François Mitterrand.

Dans le cas du Chili, ce furent en grande partie les illusions envers l’acceptation par la bourgeoisie des changements engrangés par le nouveau gouvernement qui furent en cause. Des illusions qui se sont principalement manifestées en négligeant de réformer les structures de l’armée et de remplacer les dirigeants mis en place par l’ancien régime. Dans le cas de la France, ce furent illusion par dessus illusion. Les socialistes trahirent leurs engagements sociaux et les communistes se reposèrent sur leurs acquis traditionnels prenant leur distance du mouvement progressiste mondial. Au point que le PCF se distingue à peine aujourd’hui, sur les grands enjeux mondiaux, de la social-démocratie au point d’éroder sérieusement leurs appuis traditionnels

L’échec du réformisme n’est donc pas un cas isolé. Et pour cause, car en aucun cas, les sociaux-démocrates n’ont réformé quoi que ce soit. Tout au plus, ont-ils cherché à aménager le capitalisme pour le rendre plus acceptable par la population. Dans la plupart des pays, même en Suède où elle domina la scène politique durant plus de 70 ans, la social-démocratie est devenue un véritable cheval de Troie qui finit par soumettre l’État aux desiderata de l’Establishment économique. Sur les deux grands enjeux auxquels les forces démocratiques furent de tout temps confrontées : la guerre et le capitalisme, les partis sociaux-démocrates se sont rangés du côté de la guerre et en faveur du capitalisme. En Angleterre le Labor Party fut le principal allié des États-Unis dans la guerre en Irak et dans le virage néolibéral. En Grèce, pays qui a le plus haut budget militaire de toute l’Europe en rapport avec son produit intérieur brut (PIB), le Parti socialiste (PASOK) fut le principal instigateur de la dégradation du niveau de vie au profit des banques. Aujourd’hui allié des conservateurs et de l’extrême droite, le PASOK abandonne complètement le sort de la démocratie au diktat des grandes institutions financières européennes.

Lorsque la fraction révolutionnaire du mouvement ouvrier et démocratique ne réussit pas à rassembler un large appui politique, les populations ont généralement tendance à opter pour la droite comme alternative aux échecs réformistes, qui passent alors pour des échecs du socialisme. Le Canada n’échappe pas à ce phénomène. Les plus grands succès du Nouveau parti démocratique du Canada furent provinciaux: il prit le pouvoir en Saskatchewan, au Manitoba, en Colombie-Britannique et en Ontario, ainsi que dans le territoire du Yukon. Le cas le plus frappant fut certainement celui de l’Ontario, où le chef du gouvernement du NPD, Bob Rae a entraîné la province dans des politiques d’austérité qui ont provoqué la prise du pouvoir par les Conservateurs. Bob Rae est devenu depuis une des personnalités en vue pour la course à la chefferie du Parti libéral du Canada, dont il est présentement le chef par intérim.

Aux élections générales du 2 mai 2011, le Nouveau parti démocratique du Canada réalisa sa plus grande percée de l’histoire en devenant pour la première fois l’opposition officielle à Ottawa. Le NPD obtint 30 % des voix et fit élire 103 députés. Cette percée fut possible grâce, en grande partie, à la débandade du Bloc québécois qui n’a jamais pu se positionner comme une alternative crédible à Ottawa. n’ayant de représentation politique qu’au Québec. Mais il ne fallut pas longtemps après cette percée pour que le visage néo-capitaliste du NPD resurgisse. Peu après son élection, le député NPD de Rosemont-la-Petite-Patrie, Alexandre Boulerice, qui avait donné son appui à la campagne « Un bateau pour Gaza », fut obligé de se rétracter devant les pressions d’Israël et de la direction de son parti. Le NPD évite le plus possible de se prononcer sur les grands enjeux internationaux. Mais lorsqu’il le fait, c’est pour se ranger du côté des puissances interventionnistes, fidèle à la tradition réformiste de cette frange de la social-démocratie qui provoqua la division du mouvement ouvrier à la fin du 19e siècle.

Or, est-il nécessaire de rappeler que la politique des socio-démocrates vis-à-vis la guerre n’est qu’un des deux volets de la politique du sauvetage du capitalisme mondial ? Lorsque menacé de survie sous le poids de ses contradictions le capitalisme n’hésite pas à puiser dans ses réserves. Lorsqu’il est à cours d’alternative, il fera appel à l’extrême-droite fascisante tel que nous l’enseigne le cas de l’Allemagne nazie et plus récemment, celui de Pinochet au Chili. Sinon la social-démocratie lui permettra de nourrir longtemps l’illusion que la libre entreprise et l’économie de marché sont les plus grandes vertus de notre époque. Avec le phénomène du libre-échange et celui de la mondialisation où la fusion du grand capital atteint des sommets, les différences traditionnelles entre Conservateurs et Libéraux, Républicains et Démocrates s’estompent de plus en plus. Au Canada, comme en Europe, la social-démocratie ne fera qu’entretenir l’illusion de la démocratie à travers le jeu de l’alternance politique.