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Opinion Scène québécoise

Le grand absent des élections du 4 septembre

Les attentes démesurées des élections du 4 septembre 2012 se sont soldées par un résultat doux-amère dans lequel chaque victoire pour la gauche avait sa contrepartie pour la droite.

S’il est vrai que l’Élection de Pauline Marois comme Première ministre représente pour la première fois de notre histoire l’arrivée d’une femme à la tête de l’État, on ne peut ignorer qu’il s’agit, comme cela fut souvent dit, d’une dame de béton. Ayant toujours refusé d’appuyer la gratuité scolaire, Mme Marois met à profit l’incident sérieux, bien qu’isolé, d’un tireur de toute apparence malade qui voulait s’en prendre à elle et ne manque pas de lancer ses premières salves. « On ne peut tolérer la violence dans la société» a-t-elle martelé dans sa première déclaration après l’événement, empruntant à l’ex-premier ministre Jean Charest le ton et le slogan qui l’ont amené à déclencher les élections, alors qu’il faisait porter sur l’ensemble du mouvement populaire du printemps érable la responsabilité de casseurs isolés. Mme Marois a adouci le ton par la suite insistant sur le caractère isolé de l’événement, mais la politique du PQ vise toujours la hausse des frais de scolarité au niveau de l’indexation. Durant la campagne électorale, elle avait annoncé sa volonté de revoir les principes démocratiques qui régissent le vote étudiant dans les établissements scolaires.

Comme le disait Françoise David à propos des électeurs de Gouin, ceux de la circonscription de Sherbrooke ont eux aussi fait plaisir à tout le Québec. En défaisant Jean Charest dans sa propre circonscription, les électeurs de Sherbrooke sont ceux qui ont le mieux exprimé le rejet par les Québécois, des politiques et des pratiques néo-libérales du PLQ. Le rejet en particulier de son offensive contre la jeunesse québécoise, mais aussi contre la collusion avec le monde des affaires et la corruption dont furent marquées ses neuf dernières années de pouvoir à la tête de l’État. En même temps, le PLQ a fait mentir tous les sondages qui le reléguaient au troisième rang. La stratégie de l’Establishment économique de mettre en place une alternative politique de droite au PLQ, discrédité devant l’opinion publique, n’a pas complètement échouée puisque devant l’absence d’une réelle solution de remplacement de masse, une grande partie de la contestation populaire s’est rabattue sur le parti de la droite dure de François Legault, la CAQ, dont les politiques sont pratiquement identiques à celles du Parti libéral et qu’à eux deux ils représentent la majorité à l’Assemblée nationale. En tout temps, ils pourraient former une coalition politique dangereuse pour le Québec.

La victoire de Françoise David de Québec solidaire est sans doute la plus belle victoire de cette élection. Avec deux représentants à l’Assemblée nationale, Québec solidaire pourra y véhiculer des politiques de rechange au néolibéralisme et l’espoir de voir naître à plus long terme une alternative de masse, sur le plan politique, à la pensée unique de la droite. Une politique en faveur du mieux-être de la population. On a des raisons d’espérer que la prochaine fois sera la bonne pour les circonscriptions de Laurier-Dorion et Ste-Marie-St-Jacques où Andrès Fontecilla et Manon Massé ont fait très bonne figure ainsi que dans d’autres circonscriptions. Mais encore là, les appuis à Québec solidaire dans une élection où le vote utile lui était défavorable n’ont pas atteint les résultats escomptés. Québec solidaire devra réfléchir sérieusement sur les raisons pour lesquelles la population ne l’a pas vu, dans les circonstances, comme une alternative crédible aux partis de droite traditionnels, malgré un contexte social qui aurait dû lui être favorable, un mouvement populaire sans précédent, une conscience politique plus élevée que jamais et à laquelle QS s’était associé depuis le début.

Dans son discours de victoire dans Gouin, Françoise David a voulu exprimer ce que représentera Québec solidaire à l’Assemblée nationale pour les Québécois. Elle a parlé des gens ordinaires, des laissés pour compte, des travailleurs aux revenus précaires. Jamais elle n’a vraiment parlé de l’ensemble des travailleurs. Comme d’ailleurs, jamais ne le fait Québec solidaire. Ce qui fait souvent de ce regroupement un parti plus populiste de gauche qu’un parti populaire. Les théories de décroissance économique qui pèsent très lourdement chez Québec solidaire et une approche envers les démunis que plusieurs au sein de Québec solidaire nourrissent d’un fort penchant anti-syndical, une orientation économique presque exclusivement axée sur l’économie sociale, risquent de maintenir Québec solidaire dans la marge. QS n’est pas non plus sans contradiction sur certaines de ses politiques qui lui ont valu les réticences de nombreux électeurs. La politique de laïcité ouverte, notamment là où l’on invoque, non sans une certaine démagogie, que l’interdiction de symboles religieux pour les travailleurs de l’État, forcerait nombre d’immigrants au chômage. Comment QS peut-il expliquer alors sa politique de francisation qui veut étendre l’application de la Loi 101 obligeant les entreprises de 10 employés et plus à imposer le français comme langue de travail, quand justement les premiers visés seront ces mêmes immigrants. Si cette politique est justifiée, la première ne l’est pas. Le chômage est inhérent au système capitaliste, c’est ailleurs qu’il faut agir pour s’attaquer à ce fléau.

Cela dit, la distance qui sépare Québec solidaire du mouvement syndical ne repose pas uniquement sur ses épaules. Les liens politiques du mouvement syndical aux partis de l’Establishment, notamment depuis la création du Fonds de solidarité de la FTQ sous un gouvernement péquiste puis du Fondaction de la CSN, ont considérablement éloigné le mouvement syndical de sa mission première. Au lieu de lutter contre le capitalisme, les syndicats entretiennent l’illusion d’une concurrence loyale possible à l’intérieur du capitalisme en transformant les travailleurs en petits investisseurs, les éloignant du mouvement populaire. Comme dans ce triste exemple de Griffintown où la population a mené une lutte quasi utopique contre l’embourgeoisement du quartier et l’éviction des familles à faible revenu alors que des condos en construction affichent fièrement leur financement par le Fonds de solidarité de la FTQ .

Le mouvement des travailleurs, en particulier le mouvement syndical, pratiquement réduit au silence durant le printemps érable parce qu’incapable (ou sans volonté) de mobiliser ses membres est demeuré le grand absent des élections du 4 septembre. Or il est illusoire de croire qu’un changement profond dans le visage politique du Québec est possible sans la mobilisation de celles et ceux qui sont au cœur de l’économie.

Opinion Scène québécoise

Un vote gagnant

Des différences tactiques ou presque

Au onzième jour de la campagne électorale et une semaine avant le débat des chefs, les médias s’emballent autour d’une certaine effervescence crée par l’élan donné aux élections par les soi-disant bons coups de la Coalition Avenir Québec, notamment la présentation de deux candidatures de poids, Gaétan Barette et surtout Jacques Duchesneau. Les analystes font aussi l’éloge de la tactique employée par les Libéraux et les Caquistes qui annoncent à tous les jours des promesses bombons fondées sur du populisme de droite à la Duplessis. Cent dollars pour les livres scolaires, de l’argent pour changer les fenêtres de votre maison, un médecin pour tous d’ici un an etc… On reproche au Parti québécois un programme électoral plus abstrait : assainissement du financement des partis politiques, mesures de relance économique, rapatriement du programme d’assurance-emploi et révision de la mission de la Caisse de dépôt.

Déjà avant le déclenchement des élections la ressemblance étroite entre le Parti de Jean Charest et celui de François Legault s’était révélée par leur approche commune à l’égard du conflit étudiant et de la Loi 12 (anciennement projet de loi 78). Partisans tous les deux de la loi et l’ordre, le PLQ et la CAQ se sont toujours illustrés par leur anti-syndicalisme acharné et leur liaison étroite avec les grandes corporations et leurs têtes dirigeantes, en particulier Paul Desmarais et Charles Sirois. Ces derniers flirtant autant avec l’un et l’autre, démontrent qu’en tout temps la CAQ fut mise sur pied comme moyen de rechange à un parti libéral fortement discrédité dans l’opinion publique. Un moyen de rechange mais pas de changement comme le veut le slogan de la CAQ, puisqu’en réalité les changements proposés ne visent qu’à réaliser un coup de barre encore plus agressivement à droite, plus décidé à briser les acquis sociaux et démocratiques du Québec. Ainsi le veut la grande bourgeoisie et ses corporations qui tirent les ficelles des deux partis.

Les différences d’approche dans la campagne électorale entre la CAQ et le PLQ d’un côté et le PQ de l’autre ne sont toutefois pas, comme le laissent entendre les médias, que des différences tactiques et de communication. Les mesures préconisées par le PQ s’adressent essentiellement à la petite bourgeoisie québécoise que ce dernier représente depuis le tout début de sa création. C’est à elle que s’adressent principalement les ambitions d’un plus grand contrôle sur la Caisse de dépôt. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant que Michael Sabia, actuel dirigeant de la Caisse, un autre invité de Sagard et proche collaborateur du gouvernement fédéral alors qu’il était à la tête de Bell Canada, soit une des premières victimes d’un futur gouvernement péquiste.

Toujours est-il qu’un gouvernement péquiste, caquiste ou libéral, qu’il représente les intérêts de la grande bourgeoisie et des grandes corporations financières et industrielles ou qu’il serve de tremplin pour donner plus de place à la petite bourgeoisie québécoise au sein de l’establishment économique, ne sera toujours en bout de ligne, qu’un gouvernement au service des entreprises et des grandes corporations. Celles qui décideront des politiques du gouvernement.

La trêve en question

L’immense prise de conscience sociale et économique qu’a fait naître au Québec le mouvement étudiant et surtout sa forte résistance aux politiques du gouvernement Charest fut le principal obstacle à la réalisation tout azymut de l’agenda néolibéral au Québec. Bien qu’il n’ait s’agit que d’une action de résistance, ce mouvement a mis en lumière le fait que cet agenda visait à réduire par tous les moyens possibles, y compris par la récupération via les coupures et les frais de services, dont les frais à l’éducation, la valeur de la force de travail. En d’autres mots, après avoir gelé et même coupé les salaires, après l’adoption d’un programme de dilapidation des ressources naturelles, après lui avoir offert des exemptions d’impôts de toutes sortes, après avoir trempé dans les plus basses magouilles de la corruption, c’est jusque dans les fonds de tiroir des travailleurs et de la population en général, ce qu’on appelle les 99%, qu’on va chercher l’argent pour engraisser encore davantage les profits et la richesse de l’establishment économique.

La prise de conscience de cette réalité fait en sorte qu’il devient de plus en plus difficile de tromper la population. D’où le rejet du gouvernement Charest au sein de la population et la nécessité pour la grande bourgeoisie de se trouver un nouveau cheval de bataille. Il n’en demeure pas moins que son substitut, la CAQ, n’arrive pas à se distinguer de l’original.

C’est ici que le Parti québécois entre en scène. Par ses liens plus étroits avec la population (petites entreprises, professionnels, socio-démocrates et tous ces secteurs qui réclament un changement, mais sans trop de turbulence), le PQ appelle au vote dit stratégique misant sur le large consensus établi dans la population, à l’effet qu’il faut battre Jean Charest à tout pris. C’est encore ici qu’il faut comprendre que le Parti québécois ne ressent pas la nécessité de faire valoir haut et fort un programme politique alternatif. Au contraire, le PQ sera même perçu par l’establishment comme plus crédible pour faire accepter par la population ce que la droite avouée n’arrive plus à faire passer. Faites l’équation et vous comprendrez alors pourquoi Mme Marois, malgré le port du carré rouge avant le déclenchement des élections, affichait tant de réticence à se prononcer sur l’enjeu des frais de scolarité et pourquoi aujourd’hui elle réclame une trêve de la part des étudiants affirmant qu’elle veut s’attaquer aux principes démocratiques qui régissent les associations étudiantes.

François Legault, Bernard Landry, Lucien Bouchard, Jacques Parizeau étaient tous des leaders du Parti québécois. Et tous appuyaient et appuient toujours le néolibéralisme et le gène capitaliste qui le nourrit. Tout comme Pauline Marois. Les apparents déchirements de cette dernière face aux enjeux sociaux et économiques ne traduisent que la contradiction entre les intérêts économiques non-avoués qu’elle met de l’avant et ceux des victimes de ces politiques qu’elle prétend défendre. Le vote utilitaire qu’elle réclame n’est stratégique que pour le Parti québécois. Pour la population, c’est un mythe.

La réalité est que la seule véritable force de changement dans ces élections est Québec solidaire. N’en déplaise à certains leaders étudiants qui ont aussi le droit de se bercer d’illusions devant une situation politique complexe et pas toujours évidente, l’affrontement avec le pouvoir ne peut échapper à la politique. Un vote stratégique authentique c’est celui qui contribue à transformer cette formidable prise de conscience sociale que le mouvement étudiant a contribué à créer, en conscience politique. Québec solidaire est un parti populaire qui regroupe cette frange de la population (jeunes, femmes, travailleurs et intellectuels), la plus désillusionnée et la plus consciente de la nécessité de bloquer les politiques néolibérales. Dans les circonstances, un vote gagnant n’est pas un vote pour le parti qui remportera le scrutin le 4 septembre prochain avec des politiques que l’on combat aujourd’hui et qu’on devra à nouveau combattre demain. Un vote gagnant c’est un vote pour un parti qui défend les intérêts du peuple et pour qui la souveraineté passe par le rejet du néolibéralisme. C’est un vote qui fera avancer la lutte contre ce même néolibéralisme.