Chapitre 16 – MON CHER CLERMONT

L’île de l’éternité de l’instant présent

Pierre Létourneau
Pierre Létourneau

Mon cher Clermont,

En avril 1920, Einstein dit à Moszkowski :
« L’idée selon laquelle le temps s’écoule plus vite
ou,plus lentement selon nos sensations subjectives
de joie ou de tristesse de satisfaction ou d’ennui
n’a rien à voir avec la notion de relativité du temps.,
même si on tient compte du fait
que les sensations subjectives découlant de ces faits
sont réelles. »

Je m’oppose rigoureusement à Einstein à ce sujet
J’ai tendance à croire que mes brosses d’être
Et mes attaques d’être ne sont pas de nature spirituelle
Ou religieuse, mais des phénomènes mesurables
Mathématiquement, de nature quantique,
reliés à la fissure de la structure du temps.

Mon hypothèse étant la suivante :
Il est possible que l’on découvre un jour que le cerveau
Fonctionne au niveau moléculaire selon les lois
de la physique quantique, pouvant faire courber le temps et l’espace
avec autant de facilité que l’univers dans son entier se courbe
sous l’effet de sa masse et de sa vitesse, même s’il est
en expansion.

Il est possible qu’un jour, par la seule puissance du cerveau
Nous soyons capables de devenir des voyageurs quantiques
Traversant l’univers à une vitesse approchant celle de la
Lumière. Le corps devenant le réceptacle de l’univers entier dans une
Attaque d’être et l’univers réceptacle du corps entier dans une brosse d’être,
L’homme passant ainsi de l’être immense à l’enfant de l’être.

Faire exploser le temps-horloge, voilà le fondement de ma recherche
Au niveau épistémologique et ontologique. L’épistémologie étant la science
Du rapport de la perception à la réalité et l’ontologie celle de la consistance
Fondamentale de la structure du réel. Le cerveau étant à l’échelle de l’infiniment
Petit ce que le cosmos est à l’infiniment grand, la relation amoureuse de l’un
Envers l’autre se vivant à l’intérieur de l’île de l’éternité de l’instant présent.

Ton ami Renaud
En souvenir du camp Ste-Rose

Clermont fut le premier à descendre dans la cave du P’tit Québec avec des nouvelles fraîches de Renaud. Il avait marché tout l’hiver l’Espagne et le Portugal avec lui, quêtant ça et là, chantant et jouant de la guitare pour survivre. Et Renaud avait tenu à ce qu’il conserve précieusement cette lettre signée, au cas où…Je me rappelle encore de la chanson que le pianiste aveugle chantonnait au moment où j’aperçus sa barbe et ce foulard en nœud cachant sa calvitie. C’état « Les Colombes » de Pierre Létourneau

On se voyait une fois la semaine
Cela passa si vite que bientôt
On multiplia les rendez-vous
Au ciné au coin des rues

Quand je te disais, je t’emmène
À chaque fois tout était nouveau
Dans la chambre on vivait loin de tout
Et les heures ne passaient plus

Pendant que les colombes, de la rue Des cèves
Se faisaient comme une ronde
Autour de nos rêves

J’étais assise sur le grand sofa, dans l’arrière-salle quand il me sembla reconnaître cette voix rauque qui massacrait le refrain. Je me levai et je vis Clermont. Il faisait partie de ces anciens du St-Vincent qui, avec l’arrivée du printemps, venait comme en pèlerinage à Paris juste pour revivre un peu de leur passé en pays étranger. Au premier étage, vers vingt heures, René Robitaille du « gros Bob d’à côté » remplaçait Jean-Guy Desrasmes des Îles de la Madeleine. mais le vrai rituel se passait après, dans la cave, entre trois heures et huit heures du matin, dans des moments de déchirure où même « la Manic » de Georges D’or chantée par le pianiste aveugle provoquait en chacun de nous, nuit après nuit, l’insoutenable douleur du mal du pays.

Si tu savais comme on s’ennuie, à la Manic
Tu m’écrirais bien plus souvent, à la Manicouagan
Parfois je pense à toi si fort
Je recrée ton âme et ton corps
Je te regarde et m ‘émerveille
Je me prolonge en toi

Comme le fleuve dans la mer
Et la fleur dans l’abeille.

Je fus très ébranlée de voir dans cette lettre de Renaud les mots de mon père devenus hypothèse scientifique tenant presque de la science-fiction. Tout me paraissait si éloigné de ce que je pouvais saisir. Clermont me raconta que pour Renaud, le fait d’être constamment en voyage redonnait à l’espace-temps son étrangeté comme si le monde naissait à nous pour la première fois, comme si le réel était une personne vivante, libérant par la contemplation l’esclavage provoqué par le passé et le futur, simples reliquats d’une mémoire sclérosée de l’ego, le monde restant une grande et éternelle énigme. Renaud avait dit à Clermont :

C’est en marchant le temps
Que tu te rends compte
Que tout ce que l’homme
a construit de ses mains
fut une manière de tenter de répondre
à l’angoisse que constitue ce temps.
Une maison servant à le fractionner pour survivre,
Une Église à le calmer pour ne pas qu’il nous engloutisse,
Un monastère à l’arrêter pour trouver la fissure menant à l’éternité,
Un travail pour en faire la culture comme on passe la charrue dans un champ de loisirs
Une chanson à le ralentir ou l’accélérer pour provoquer
L’enivrement d’en faire partie, comme sur un manège tournant
Au beau milieu d’un cirque.

Et le chanteur aveugle qui gémissait « l’hymne au printemps » de Felix Leclerc ». Clermont m’incita à bien écouter parce que les paroles parlaient du temps, comme la Manic danse l’ennui, comme les Colombes signalent les heures qui ne passent plus.

Comme un vieux râteau oublié Sous la neige je vais hiverner Photos d’enfants qui courent dans les champs Seront mes seules joies Pour passer le temps.

Renaud avait demandé à Clermont de servir de témoin à ses brosses d’être et attaques d’êtres, vécues dans des endroits particuliers où l’homme, par les œuvres de son architecture, avait tenté de domestiquer le temps.

C’est ainsi qu’ils dormirent à la belle étoile, à Escalona, sur les rives du Rio Alberche, au pied des ruines de l’un des nombreux châteaux qu’Alvaro de Luna, favori de Jean Deux et connétable de Castille fit élever dans la sierra de Gredos, près de Madrid. Le château représentant peut-être une tentative orgueilleuse d’ignorer le temps en le défiant.

Puis ils vécurent la même expérience sous un moulin à vent du plateau sec et nu de la Manche où le plus noble et le plus simple des hommes, Don Quichotte, l’homme le plus cosmique de la littérature mondiale, ventait du vent métaphysique de son absence sous le moulin blanc brandissant mystérieusement ses ailes dans le grand vide-plein. Le moulin à vent représentant peut-être la première tentative poétique de l’homme pour voyager dans l’espace-temps. Renaud avait demandé :

Clermont
sens-tu l’instant présent
qui prend possession des lieux ?
Écoute le vent qui chante de l’intérieur
Le temps qui se rafraîchit
L’instant présent, quand il apparaît
C’est le souffle du cosmos
Dont il n’est pas accordé à l’homme
De connaître la nature de l’être qui souffle
Comme on n’arrive pas à identifier
celui par qui la pipe fume.

J’osai poser une question bête à Clermont :
T’as senti quelque chose ?
T’as vécu au moins une brosse d’être
Ou une attaque d’être ?

Non, me répondit-il
Rien de cela ne me fut accessible
Mais c’est impressionnant de voir
Qu’un homme consacre sa vie
Pour tenter de comprendre
Le cosmos qui brûle en lui
Au cas où il ne suffirait
Que de l’allumer chez les autres
Comme on allume un fanal
Au cas où l’île de l’éternité de l’instant présent
Serait bien réelle, telle qu’indiquée sur la carte
Des premiers navigateurs.

Tu vois, me dit Clermont
Je connais par cœur les paroles de Renaud
Mais cela reste des paroles,
En autant que cela me concerne.

Il pense parfois à moi
Lui demandai-je ?

Une partie de lui-même est morte
Quand tu es partie, me répondit-il
Celle du désir pour une autre femme.
Il n’y a jamais eu d’autre femme
Dans sa vie après toi.

Clermont quitta la cave du p’tit Québec vers quatre heures du matin, reprenant l’avion très tôt le lendemain matin pour Montréal. Il tenait absolument à échanger avec mon père sur ce qu’il avait vécu en Espagne et au Portugal. Je lui donnai des photographies récentes de Nellie-Rose pendant que le pianiste aveugle chantait les dernières paroles de «Bozo » de Félix Leclerc.

Si vous passez par ce pays la nuit
Y a un fanal comme un signal de bal
Dansez, chantez bras enlacés
Afin de consoler
Pauvre Bozo
Pleurant sur son radeau

Quand Jos Leroux arriva au p’tit Québec, c’est aussi avec cette chanson de Félix Leclerc qu’il termina, chaque soir, son tour de chant sur la petite scène du premier étage. Puis il descendait nous rejoindre dans la cave. Nous parlions régulièrement du camp Ste-Rose, nous demandant ce que les enfants étaient devenus à travers les années.

Savais-tu qu’à l’intérieur de chaque panache
Remis aux jeunes du camp Ste-Rose
À la dernière soirée,
Il y avait une date de retrouvailles
Inscrite à l’intérieur ?

Il est temps que quelqu’un m’en parle, dis-je
On est en 1978
Il y a presque cinq ans de ça
C’est quoi la date ?

Le 15 août deux mille un à minuit
Au dortoir du camp Ste-Rose.

Wowwww répondis-je
Vingt-huit ans après le camp Ste-Rose
C’est quoi l’idée ?

Avec Renaud, ben difficile à dire
Dit Jos en riant.
Les enfants vont avoir entre trente et quarante ans
Ça va te faire une méchante garderie
Hurla-t-il en éclatant de rire.
Même si Renaud m’a parlé de l’événement
Comme la mise en place
D’une future communauté de recherche
Sur le temps.

Jos avait cet art de la bonne humeur qui le rendit très populaire dans la cave. Y avait toujours quelqu’un qui venait le chercher pour prendre le micro parce que le pianiste aveugle ne connaissait pas les paroles des chansons d’un nouveau venu, Paul Piché.

Heureux d’un printemps qui m’chauffe la couenne
Triste d’avoir manqué encore un hiver
J’peux pas faire autrement ça m’fait d’la peine
On vit rien qu’au printemps, l’printemps dure pas longtemps.

Les Français adoraient notre manière québécoise de turluter

Tram di li li lam, di li li lam
Tram di li li lam,di li di li lam.

Vers la fin de la soirée, il traînait sa grosse bedaine et ses petites pattes d’un groupe à l’autre, représentant pour le français moyen l’archétype parfait du québécois heureux : Un gag, un rire, une tape dans le dos, une levée de coude franche et que tout le groupe fasse de même.

En tout cas, finit par me dire Jos
Jamais plus Renaud va m’avoir
Pour faire partie de sa communauté de recherche
C’est trop marteau pour ma p’tite tête.

Une fois, y m’a emmené dormir trois jours
dans un hôpital psychiatrique
avec les hors-la-loi du temps comme y disait
Juste pour vérifier si on vivait la même chose.
La deuxième nuit je l’ai réveillé
J’ai dit : tu cherches quoi ?

Y dit : les lois du sommeil.

J’ai dit : Barnake Renaud
Chu même pas capable de dormir
Tellement ça crie icitte
J’ai ben plus le goût de sacrer
Mon camp chez nous
Que de chercher.

Et Renaud de dire
Intéressant, très intéressant
Nous vivons la même chose
Continuons l’expérience

Et lui s’est rendormi
Incroyable !

Une autre fois, on s’est retrouvé à St-Malo,
dans une fête en l’honneur de Jacques Cartier.
Y m’a emmenée me recueillir près de la tombe de Chateaubriand
Le problème c’est que la tombe était située
Dans l’avancement de la mer
Et qu’une fois la marée remontée
Y avait plus de chemin pour revenir
On a été obligé de dormir là
Sur de la roche tout croche.
Renaud a été émerveillé
Du rapport de Chateaubriand
Avec le temps et l’espace
Mais moi j’ai gelé toute la nuit
Pis j’ai eu mal dans le dos
D’habitude je dors sur le ventre
Pis on n’avait même pas de couverture

Lui, avant de s’endormir,
M’a demandé d’être attentif à mon sommeil
Juste pour vérifier en dedans de nous
Si on vivait la même chose,
selon sa vision
De la communauté de recherche.

J’ai fini par le réveiller :
Barnake, que j’y ai dit
Quand t’as froid pis qu’tu frissonnes
C’est dur de dormir.

Y m’a répondu
Intéressant
Nous vivons la même chose
Continuons l’expérience
Y s’est rendormi presque instantanément
Pour continuer sa brosse d’être comme y disait.

Moi j’ai été sur la brosse toute ma vie
Pis ça m’a jamais fait cet effet-là.

Tu vois le genre Marie
Quand on s’est quitté
J’ai dit : Renaud, je pense que t’es plus fou que les fous.

Y m’a répondu :
Je me demandais justement
S’il ne fallait pas être un peu fou
Pour vraiment déguster la vie.

Je lui ai répondu à mon tour :
Inquiète-toi pas pour toi
Tu dois avoir des indigestions de dégustation
De mon côté
Je trouve ça « intéressant » comme tu me dis souvent
Mais nous ne vivons pas la même chose
Fait que même si je t’adore
Continue l’expérience tout seul
Moi je sacre mon camp.

Y a jamais été capable d’arrêter de rire
Y m’a serré la main pour me remercier
De l’immense bonheur que je venais de lui donner

Plus fou que ça, tu meurs.

Comme Jos avait raconté cette anecdote devant quelques amis, on lui demanda nuit après nuit de remettre ça au micro. Et c’était de plus en plus drôle d’une fois à l’autre. Même ceux ou celles qui n’avaient jamais rencontré Renaud eurent l’impression d’avoir été son intime. Et Jos qui en mettait. Mais je savais d’expérience qu’il romançait à peine la vérité.

On était sur la roche à St-Malo
À côté de la tombe de Chateaubriand
Lui y dormait
Une brosse d’être
Pis un moment donné Y s’est mis à crier C’est beau, c’est beau, que c’est beau.

Aye non seulement tu voyais rien
Ça a beau être Châteaubriand
Mais ça brille pas fort
puis moi j’ai peur des morts.
J’étais même pas capable de dormir
Tellement je frissonnais d’humidité
Pis les vagues ça fait du bruit
Dans le noir, c’est pas drôle.

Au bout d’une heure, mon Renaud :
C’est beau, c’est beau

Une fois j’lui ai crié
Barnake Renaud
Ferme ta gueule si tu veux que je dorme

Y s’réveille
Je répète.
Y dit : intéressant
Nous vivons la même chose
Pis y s’est rendormi.

Au bout du mois, la veille du départ de Jos, l’histoire avait pris de l’envergure au point où maintenant elle durait un gros vingt minutes de rires sans interruption. Le lendemain, jour de son départ, nous nous sommes tous sentis orphelins.

Intéressant, que j’ai écrit à Jos sur une carte postale
Nous vivons tous la même chose
On s’ennuie de toi .Vive Le Barnake du Québec.
Merci d’avoir ensoleillé Paris

Était-ce le fait que Jos avait parlé de St-Malo soir après soir, au p’tit Québec, que Renaud avait vécu des brosses d’être dans l’ilot du Grand-Pré où reposait, la tombe de Chateaubriand , que « les mémoires d’outre-tombe du grand écrivain » étaient enseignées par John au département de littérature de l’Université de Vancouver, qui me donna l’obsession de m’y rendre ? Ou plutôt la chanson « à St-Malo ,beau port de mer » que mon père me chantait quand j’étais petite ? « Nous irons jouer dans l’île, dans l’île »

Qui sait vraiment sur quels critères fonctionne l’inconscient ? Jeanne Martin avait été au centre de mon univers à l’époque du St-Vincent, pourtant je m’étais sentie incapable d’aller la saluer lors de mon voyage à Montréal. Renaud m’avait transpercé le cœur de bord en bord, mais je préférais souffrir de son absence que d’être déçue d’une retrouvaille sans lendemain. Je savais également que je ne mettrais jamais plus les pieds ni à Vancouver ni au p’tit Québec. Alors tant qu’à errer, pourquoi pas St-Malo ? Après on verrait bien.

Toujours est-il que j’écrivis à John.

Cher John,

Nous avons été unis par notre amour de la littérature
Pourquoi ne prendrions-nous pas Chateaubriand
Comme témoin de notre rupture.
Sa tombe ayant été considérée
À travers les siècles
Comme un haut lieu de pèlerinage poétique.

Que penseriez-vous de venir m’y rejoindre
Durant vos vacances ?

Nellie-Rose va bien.
Celle-ci me donnant beaucoup de bonheur
Au quotidien, je serais heureuse de continuer
À la voir grandir, à partir de ce que nous jugerons
Le mieux pour le bien de l’enfant.
Je vous enverrai mon adresse rendue là-bas.

Pourquoi pas l’amitié entre nous !
Marie.

C’est ainsi que, le 1er juillet 1978, je quittai le Petit Québec avec un mélange de regret et de soulagement. Madame de Vincenne était devenue une amie. Et comme Nellie-Rose l’avait prise en affection, il me sembla valable d’offrir un air de fête à notre trio. Cette dame avait été professeur de français et possédait une culture qui donnait à son âge la sagesse de ces femmes complices d’une plus jeune qu’elle. Elle aimait dire des choses précises en phrases vagues

Il suffit parfois de quelques pas dans le sable
Pour que sa vie redevienne un bord de mer.

C’est en parlant cœur à cœur avec Madame de Vincenne , sur le train de Paris à St-Malo, que je réalisai que je m’étais peut-être menti à moi-même. J’avais quitté le camp St-Rose pour Vancouver dans l’espoir secret que Renaud me déclare son amour avant qu’il ne soit trop tard, abouti au p’tit Québec parce qu’il y était venu à mon insu et qu’il y repasserait sans doute, comme je me dirigeais vers la tombe de Chateaubriand parce qu’il avait fait de ce lieu une de ces escales.

Qui sait vraiment sur quels critères fonctionne l’inconscient ?

Les Français ne peuvent pas saisir ce que représente la maison où est né Jacques Cartier pour l’imaginaire d’un québécois. Notre désir de se bâtir un pays francophone dans une mer d’anglophones tire ses racines de ce fait historique. Mais lorsque tu arrives sur place et que tu découvres que les lieux ont été achetés par le gouvernement canadien qui profite de cette vitrine pour faire la promotion du fédéralisme, tu te sens assiégé par les chicanes politiques internes et ta blessure d’être québécois, peuple de vaincu, s’ouvre de nouveau dans des espaces où elle n’aurait jamais dû s’exhiber.

Par chance, cette guerre des drapeaux se passait à l’extérieur de la vieille partie de St-Malo. Les vieux remparts de pierre offraient un magnifique panorama de l’intérieur sur la ville et extérieurement sur la mer, te faisant oublier l’amertume crée par le mauvais goût et l’odeur nauséabonde d’un Canada faisant plus étalage de sa fragilité géopolitique qu’autre chose.

Chaque soir, les terrasses s’imprégnaient du parfum des mets apprêtés à partir des produits de la mer, mélangés aux chants bretons d’un groupe d’anciens marins costumés parcourant à pied rues et ruelles. Même John, à son arrivée, en fut charmé. Nous fîmes une visite des lieux avant de nous diriger, le lendemain ,vers la pierre tombale de l’auteur des mémoires d’outre-tombe.

Cet après-midi-là, Nellie-Rose dormit entre nous deux sur le rocher du grand Bé, à quelques dizaines de mètres du rivage enfoncé tel un bras dans la mer. C’était impressionnant de voir cette filée de touristes venus rendre hommage non pas à Chateaubriand, mais à cette part de poésie en eux que le quotidien ne leur permettait pas toujours d’exprimer.

Pourquoi le tombeau de Châteaubriand
Comme lieu de rencontre ?

Parce que nous allons mourir un jour
John, répondis-je.

Et…

Prépare le divorce
Comme si nous étions déjà morts tous les deux
Et je signerai les yeux fermés
Sans même consulter un avocat.

Merci de ta confiance
Me répondit-il simplement.

Une fois Nellie-Rose partie avec son John au Canada anglais et Madame de Vincennes retournée à Paris, je passai plusieurs nuits à dormir seule dans un sac de couchage, près de la tombe de Châteaubriand. La contemplation des étoiles fut pour moi une libération, surtout quand elle se rythme aux flux et reflux des vagues de la mer. Se peut-il que les églises, à travers la planète, infantilisent les hommes en leur faisant croire qu’il existe une séparation entre le ciel et la terre, le ciel servant dans cette légende urbaine à l’échelle de la planète, à transmettre aux hommes les messages des dieux ? Peut-être qu’un jour, il y aura des hommes sur la lune qui assisteront au lever de terre comme on assiste au lever de lune et qui s’imagineront que les dieux habitent la terre plutôt que le ciel !

Et peut-être aussi ,qu’un de ces habitants de la lune, aura pour livre de chevet « l’ile de l’éternité de l’instant présent », chapitre seize, où sur une planète de milliards d’êtres humains, un homme cherche le secret de la temporalité pendant qu’une femme attend, depuis leur dernière soirée sur la roche du camp Ste-Rose, qu’il la retrouve à travers ses quêtes successives de vérité, les fous terriens et les hommes lunaires dormant à défaut de comprendre ce qui leur arrive, perdus de part et d’autre dans ce cosmos hallucinant.

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