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Opinion Scène québécoise

Une « dialectique implacable »

Dans un article qui fait corps avec les propos d’une droite volubile, généralement plus agitatrice qu’analytique, Denise Bombardier, dans Le Devoir du 4 juin dernier, répand son fiel et exprime tout son dégoût envers Amir Khadir et les citoyens du Plateau Mont-Royal qui l’ont élu comme représentant de Québec Solidaire à l’Assemblée nationale. À travers un amalgame de propos qui tiennent plus de la formule et du slogan que d’une analyse rigoureuse, Mme Bombardier révèle en fait à quel point l’establishment politique et intellectuel qui a bien souvent tenu le haut du pavé sur la scène médiatique avec ses analyses en surface, peut être déstabilisé par l’apparition d’une nouvelle conscience politique et sociale qui voit le jour au Québec et que représente bien le député de Québec solidaire à l’Assemblée nationale.

Ce faisant, Denise Bombardier reconnait néanmoins de grandes qualités chez Amir Khadir, dont ce qu’elle appelle, une « dialectique implacable ». Dans quel sens Mme Bombardier utilise-t-elle le terme dialectique, je l’ignore. Mais c’est précisément d’absence de dialectique dont souffre le plus son article.

L’explosion provoquée par la crise de 2008-2009 brûle toujours alors que de nouvelles explosions nous attendent

Tout s’enchaîne et se déchaîne à une vitesse étourdissante. La crise économique de 2008-2009 a certainement contribué à éveiller les esprits sur la nature des rapports économiques qui ficellent la structure politique de notre époque. À l’ère des médias sociaux, cette crise a mis en évidence la collusion entre les gouvernements et les grandes puissances économiques et financières. Les conséquences de cette complicité ont rendu les populations plus vigilantes et plus sensibles. Devant les crises environnementales, les crises humanitaires, l’utilisation sauvage des ressources naturelles, les guerres pour le pétrole et la déshydratation de la nature qui s’accompagnent de la détérioration continue de leur niveau de vie, les populations s’expriment désormais en contestant ouvertement les institutions traditionnelles et leur manière d’agir. Aux lois du marché biaisées par une spéculation incontrôlable; à une crise de l’emploi à son comble, les solutions du libre-échange et des marchés communs qu’on nous ressasse depuis plus de quarante ans n’ont pas tenu leurs promesses, bien au contraire.

L’impact direct de l’Union européenne sur la production et les exportations agricoles du Portugal et de la Grèce en est un exemple frappant. Elle aura contribué à faire de ces deux pays des quêteux du FMI. Refusant de voir la réalité en face, les idéologues de droite font porter le blâme à nouveau sur les « dépenses exorbitantes » de ces États. Et l’aide apportée par le FMI va toujours dans le même sens. Moins de règlementation, plus de libre marché. Les mêmes rengaines usées sur l’ « État providence » qui visent encore à faire porter le fardeau de la crise sur les populations locales.

Or il appert que le marché a ses limites. Même la spoliation des marchés étrangers ne peut plus répondre aux besoins des grandes puissances. Devant les soulèvements populaires en Tunisie et en Égypte, Français et Américains, après de multiples tergiversations ont salué le vent de renouveau qui soufflait sur ces pays. Se croient-ils à l’abri dans leur propre pays alors que seules la fabrication et la surévaluation artificielle de la monnaie rendent leur faillite, pour le moment, théorique. En France comme aux États-Unis il est à prévoir des secousses économiques importantes à moyen terme. On ne peut prévoir l’étincelle qui secouera les masses. Elles se sont produites dans certains pays arabes. Elles sont aussi possibles en occident.

Les schémas politiques traditionnels s’effondrent

Au Canada, il est remarquable de constater à quel point les analystes furent pris de court devant les résultats électoraux du 2 mai dernier. Non pas tant par la majorité des députés conservateurs élus, malgré à peine plus de 40 % des voix, mais par l’effondrement des Libéraux à travers le pays et du Bloc québécois, au profit d’une députation historique du NPD au Québec.

La réalité ne se compose pas que de calculs stratégiques et de hasards. Encore moins de schémas calqués sur le passé. Au coeur de la politique, il y aura toujours les intérêts économiques des grandes classes sociales qui composent la société. Et c’est dans ce sens précisément que la crise de 2008-2009 ainsi que tous les bouleversements sociaux depuis, contribuent à modifier l’opinion publique.

La dernière élection fédérale est un bel exemple du vent qui tourne et de la mutation profonde qui s’empare de cette opinion. Une mutation qui résulte justement d’un questionnement fondamental : Dans quels intérêts s’opèrent les changements ? Quels intérêts desservent les solutions mises de l’avant ?

La question nationale

Qu’il s’agisse du processus de mondialisation ou qu’il s’agisse de la souveraineté du Québec, la question nationale n’échappe pas à cette profonde mutation. Dans les deux cas, les mêmes questions se posent : dans quels intérêts s’opèrent les changements ? Quels intérêts desservent les solutions mises de l’avant ?

Le néolibéralisme économique qui sous-tend le capitalisme sauvage et la restriction du rôle de l’État dans la société constitue l’essence idéologique et politique des intérêts nationaux défendus par les corporations et les grandes entreprises. Cette vision du monde se résume à l’idée que tout ce qui est bon pour l’entreprise privée est bon pour la nation. Plus l’entreprise sera puissante (ici, les mots entreprises et économie sont pratiquement deux synonymes), plus la nation sera forte. Dans cette perspective, la nation et l’entreprise privée ne font qu’un.

Or le terme nation n’est pas un terme abstrait, pas plus d’ailleurs que l’expression souveraineté nationale. Ce n’est pas innocemment d’ailleurs que l’ex-premier ministre et ex-chef du Parti québécois, Lucien Bouchard, ait tenté à la commission parlementaire sur la limitation des activités pétrolières et gazières, d’élever les grandes entreprises qu’il représentait, au rang de citoyens. A-t-il été « infidèle » envers le peuple québécois comme l’affirmait généreusement Amir Khadir ? Dans les faits, Lucien Bouchard n’aura toujours été fidèle qu’envers la grande entreprise. Ce qu’illustre particulièrement bien l’analyse de Jacques Gélinas sur la liquidation de la SOQUIP durant les années de pouvoir de Lucien Bouchard. D’aucuns parmi les partisans indéfectibles du Parti québécois ont souvent dénoncé Lucien Bouchard. Mais cette dénonciation visait essentiellement son idée de mettre l’option référendaire de côté pour laisser place à la nécessité de créer les « conditions gagnantes » avant la tenue d’un nouveau référendum sur la souveraineté. Il s’agit essentiellement du courant de pensée qui n’acceptait pas, avant Lucien Bouchard, l’approche « étapiste » de Claude Morin ou encore le « beau risque » de René Lévesque. Une opposition représentée principalement, dans la direction du Parti québécois par Jacques Parizeau. Ce qui n’a pas empêché ce dernier d’être un grand défenseur du déficit zéro et du libre-échange tout comme Bernard Landry après Lucien Bouchard.

Prétendre placer la question nationale au dessus des intérêts économiques c’est une manière de cacher les intérêts économiques sous le couvercle de la question nationale.

Pour les progressistes, la question nationale ne peut qu’être soumise aux intérêts des travailleurs et de la population en général. Ce n’est que dans cette perspective qu’on pourra alors se poser la question : « qui est le plus en mesure de défendre la souveraineté » ou encore : « de quelle souveraineté » parle-t-on. Celle pour les grandes entreprises et les puissances financières ou celle du peuple québécois.

Le projet de loi 204 à l’Assemblée nationale

Même si le président de la Banque centrale européenne affirmait ces jours-ci à Montréal que le Canada avait su éviter les graves manifestations de la crise économique et financière, il faudrait être naïf, voire complètement aveugle, pour ignorer que cette crise a eu des répercussions non négligeables au pays. Les milliards de dollars versés à l’industrie automobile et aux banques auront contribué à hérisser l’épiderme de la population face aux revenus faramineux des dirigeants d’entreprise et aux comportements sans scrupules des spéculateurs financiers.

Plus rien n’échappe à l’opinion publique et au citoyen, qu’on dit être devenu cynique face à la politique et à la chose publique en général, mais qui n’est pas dupe que la démocratie, elle non plus, n’est pas un terme abstrait. Outre les magouilles et l’arbitraire, les exemptions fiscales et un système de taxation inéquitable, les « démocraties » se protègent dans un système électoral non représentatif ainsi que dans un système judiciaire qui favorise en grande partie le droit individuel des entreprises au droit collectif. Sans compter la corruption tolérée qui déborde largement le cadre du pot-de-vin payé à un élu. Comme c’est le cas du petit entrepreneur qui doit remettre 20 % de ses revenus à un marchandeur pour obtenir un contrat substantiel d’une grande entreprise. Comme c’est le cas des entreprises qui se concertent lorsqu’une soumission publique est lancée. Lorsqu’un syndicat et une entreprise s’entendent pour que cette dernière décroche le gros contrat et favorise ainsi ce syndicat.

C’est ce genre de corruption précisément qui fait tant de bruit au Québec depuis près de deux ans et qui a provoqué une demande générale au gouvernement Charest pour qu’il tienne une enquête publique sur l’industrie de la construction et les agissements des municipalités, petites et grandes.

Deux ans que cela aura pris pour créer un des plus larges consensus jamais obtenu au Québec, incluant même la Fédération des travailleurs du Québec. Un consensus qui a complètement isolé le gouvernement Charest et qui révèle encore une fois l’indignation de la population et une grande détermination à mettre un terme à ce climat politique malsain en réclamant transparence et justice.

Et voilà que le Parti québécois, qui avait fait son cheval de bataille avec cet enjeu, vient nous « surprendre » en appuyant un projet de loi privé d’un membre de son caucus, Agnès Maltais, dans le but de mettre à l’abri de toute poursuite judiciaire, une entente entre le Maire de la ville de Québec, Régis Labeaume et Québécor Media (l’une des plus importantes entreprises québécoises avec un chiffre d’affaires de 10 milliards de dollars), dans la gestion d’une éventuelle et encore très hypothétique équipe de hockey de la Ligne nationale. Nonobstant les détails de cette entente et du projet de loi, le principe soutenu ici par le PQ s’attaque directement au droit constitutionnel du citoyen. Et, sans la persévérance et l’habilité du seul député de Québec solidaire à l’Assemblée nationale, Amir Khadir, ce projet de loi qui sera remanié et représenté devant l’Assemblée nationale l’automne prochain, serait possiblement adopté, dans sa version originale.

Amir Khadir a démontré qu’il y avait une autre façon de défendre les intérêts nationaux des Québécois que celle du PQ. Lorsque les intérêts économiques défendus par le Parti québécois sont mis à nue, on réalise qu’il n’y a pratiquement plus différence entre le PQ et le PLQ.

Du jamais vu au Québec

Les choses commencent à avoir de l’importance, lorsqu’on réalise que pour la première fois sans doute dans l’histoire du Québec, l’opinion publique, celle qui manifeste son raz le bol de la corruption et de l’appropriation de l’État par les entreprises, a un véritable porte-parole à l’Assemblée nationale. Déjà en 2010 les sondages plaçaient Amir Khadir comme le politicien le plus populaire au Québec, ce qui faisait dire à Patrick Lagacé qu’il était devenu le poil à gratter de l’Assemblée nationale.

Pour la première fois, un représentant de la gauche, non seulement est pris au sérieux, mais fait la une des grands médias. Depuis un mois, l’immense couverture de presse réservée à Amir Khadir, laisse sur la touche Pauline Marois et Jean Charest. Certains journalistes lui vouent toute leur admiration, nommons-les : Lise Payette du Devoir, Patrick Lagacé et Pierre Foglia de La Presse.

Qui aurait cru que Québec solidaire aurait autant de poids à l’Assemblée nationale du Québec. Même la tentative de contourner le droit de véto du député de Québec solidaire en incluant le projet de loi 204 dans la loi Omnibus a échoué. Signe de la justesse de la lutte menée par Khadir, quatre députés parmi les plus en vue du Parti québécois, ont démissionné avec fracas et s’apprêtaient à voter avec lui contre le projet de loi 204 puisque la direction de leur parti leur imposait la ligne de parti en cas de vote.

Malgré tout et sans rien enlever au charisme, à la personnalité et à l’intelligence politique du seul représentant de Québec solidaire à l’Assemblée nationale, force est de reconnaître que ce ne sont pas les seules raisons de ce succès politique. Québec solidaire fait écho à l’opinion publique et aux sentiments de la population à l’intérieur de l’enceinte parlementaire. Les Québécois commencent à reconnaître que la véritable souveraineté nationale n’est pas celle des entreprises et des grandes corporations. Ils savent de plus en plus reconnaître ceux qui défendent leurs véritables intérêts économiques. D’où les résultats d’un sondage CROP-La Presse paru ce matin qui révèle une perte de 5 points pour le Parti Québécois, une stagnation pour les Libéraux et l’ADQ mais une hausse de 12 à 17% pour Québec solidaire.

Comment évoluera ce sentiment, reste à voir. Mais il y a une dialectique implacable qui lie ce sentiment aujourd’hui, autant à l’élection des députés néo-démocrates lors des dernières élections fédérales qu’à la popularité dont jouit Amir Khadir. Une dialectique qui, de toute évidence, dépasse la compréhension de Mme Bombardier.