Conférence de Montréal : le refus de s’adapter
mardi 9 juin 2009 par ALTERNATIVES
Comme à chaque année, le Forum économique international des Amériques organise la Conférence de Montréal qui rassemble certains des plus importants décideurs au monde. Grands banquiers, gens d’affaires, dirigeants d’institutions financières internationales, politiciens se rencontrent pour discuter du sort de l’humanité, comme ils l’ont fait quelques mois auparavant au Forum économique de Davos. Cette année, la Conférence revêt une importance particulière. Ces personnalités réunies à Montréal ont mis en place et soutenu le système financier et économique qui s’est effondré depuis la crise des subprimes, symptôme d’une faillite beaucoup plus large : les crises alimentaire, environnementale, énergétique et sociale qui se succèdent et s’emboîtent montrent bien que l’économie s’appuie aujourd’hui sur des fondements qui ne tiennent plus.
Le titre de la Conférence de cette année est prometteur : « s’adapter au nouvel ordre mondial ». Les conférenciers invités feront-ils leur mea culpa et proposeront-ils de relancer l’économie du monde sur de nouvelles bases ? Un examen attentif du programme montre que très peu d’idées nouvelles seront mises en jeu et que les solutions face à la crise, dont les organisateurs de l’événement reconnaissent les effets, risquent de se résumer à une relance des politiques qui l’ont créée.
Libre-échange et exploitation des ressources naturelles
Ainsi, le commerce international est considéré une fois de plus sous l’angle unique du libre-échange. Les participants entendront parler d’« occasions d’affaires », de compétitivité, de partenariats public-privé à l’échelle internationale, même si ces derniers se sont montrés inefficaces dans la quasi totalité des cas. Les accords de libre-échange sont des outils de déréglementation : est-ce vraiment ce qui convient en temps de crise, alors que cette déréglementation a justement provoqué les faillites et abus pour lesquels il faut aujourd’hui payer ? Rien ne laisse entendre que ces accords seront abordés avec une approche nouvelle qui prioriserait la coopération entre les pays, le respect des droits humains, l’équité, la protection de l’environnement.
La présence d’Alvaro Uribe Vélez, président de la Colombie et de Catherine Ashton, commissaire au commerce de l’Union européenne, montre bien la volonté de promouvoir deux accords de libre-échange, l’un entre le Canada et la Colombie et l’autre entre le Canada et l’Union européenne. Le premier, en processus de ratification, soulève une vive opposition. Il favorise surtout les intérêts de minières canadiennes, peu préoccupées du respect de l’environnement et des normes du travail. Il se conclut avec un pays où les droits humains sont gravement violés et où des syndicalistes et des défenseurs des droits humains se font régulièrement assassiner, sans que les coupables ne soient poursuivis.
Le développement durable et l’énergie sont aussi au programme. On peut toutefois souligner le manque de distance critique avec lequel ces sujets seront abordés. Au lieu de choisir des spécialistes de l’environnement, la Conférence de Montréal préfère donner la parole à des intervenants qui sont à la fois juge et partie. Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez, une firme qui table grandement sur l’exploitation de l’énergie nucléaire et du gaz naturel, donnera une conférence intitulée « Énergie et développement durable : où en sommes-nous ? » Jeffrey Immelt, PDG de General Electric, fabriquant de moteurs d’avion, d’équipements pétroliers et gaziers, d’appareils électro-ménagers, abordera la question de l’innovation et du développement durable. La compagnie Rio Tinto, l’un des plus grands groupes miniers au monde (aluminium, or, cuivre, charbon, diamant, fer) remettra quant à elle le prix Rio Tinto de la durabilité !
Et la démocratie ?
La Conférence de Montréal de juin 2009 ferme les yeux sur le nouvel ordre mondial et sur la crise que nous traversons. Aucune proposition forte ou nouvelle n’émerge du programme préliminaire : on ne trouve aucune réflexion sur l’activité irresponsable des banques, la limitation de la spéculation, la stabilisation de l’économie. Rien pour combattre la pauvreté, pour contrer les inégalités (ces deux mots sont d’ailleurs absents du programme). Rien pour lancer un développement véritablement basé sur les énergies renouvelables et sur une consommation beaucoup plus responsable de l’énergie, des ressources naturelles et de l’eau.
Dans le confort de l’Hôtel Hilton de la place Bonaventure, les Paul Desmarais, organisateur de l’événement, Dominique Strauss-Kahn, directeur de Fonds monétaire international, Robert B. Zoellick, président de la Banque mondiale, Madeleine Albright, ex-secrétaire d’État des États-Unis et consorts continueront de réfléchir en vase clos au maintien des intérêts des grandes corporations, sans tenir compte de l’effet de leurs décisions sur les populations. Cette conférence ne donne en effet que très peu de place au débat contradictoire, aux intervenants dont les idées divergeraient de celles des patrons des multinationales. Et le coût d’inscription à la Conférence a de quoi décourager toute participation de ceux qui ne gagne pas de gros salaires.
Pour leur part, les élus Jean Charest, Raymond Bachand, Lawrence Cannon serviront de présentateurs pour les grandes conférences, alors que les thèmes « développement durable, santé et énergie » et « le commerce international et les Amériques » seront abordés réciproquement en collaboration avec Rio Tinto et RBC marché des capitaux. Cette collusion entre le monde des affaires et les élus, qui exclut le reste de la société civile, est un recul pour la démocratie.
Qui devra s’adapter au nouvel ordre mondial ? Au bénéfice de qui ? À l’occasion de la Conférence de Montréal, nous joignons les nombreuses voix dans le monde qui répondent que ce ne sont pas aux populations, et en particulier les plus pauvres, à s’adapter et à payer pour les méfaits et l’irresponsabilité des élites d’affaires et des gouvernements qui persistent à défendre une vision du monde et de l’économie insoutenable sur les plans sociaux, environnementaux et humains.