Le monde n’est plus le même et on aura beau s’évertuer à vouloir comprendre les changements qui s’y produisent pour expliquer ce revirement politique on ne trouvera pas de réponses satisfaisantes si on ne s’arrête pas aux facteurs économiques profonds qui bouleversent les mentalités.
La personnalité de Valérie Plante, l’arrogance et la suffisance de Denis Coderre sont pour plusieurs les causes principales du résultat des élections municipales de ce 5 novembre 2017 à Montréal. Vrai. Mais en partie seulement. Car cela ne suffit pas à provoquer un tel revirement de situation politique qui en d’autres temps n’aurait pas fait la différence. Et ce n’est pas un an de campagne électorale active qui aura rendu possible ce qui ne s’est jamais vu dans l’histoire de Montréal.
Ici il ne s’agit pas du simple fait que Valérie Plante soit une femme. Il s’agit du fait que les personnes âgées qui normalement auraient plutôt voté conservateur, cette fois ont opté pour le renouveau. Il s’agit du fait que ceux qui font partie de ce que l’on appelle la classe moyenne ont rejeté en bloc un jugement traditionnel en faveur d’une personnalité rassurante que l’on disait imbattable et que le journal La Presse et Le Devoir ont soutenu pour qu’il se maintienne au pouvoir. Il s’agit du fait que la jeune génération a rejeté sans appel la manière traditionnelle de faire de la politique.
C’est d’un nouveau paradigme dont il est question. Un bouleversement qui s’inscrit dans la ligne des résultats inattendus du Brexit en Europe, de la monté de ce que d’aucuns appellent démagogiquement le nouveau « populisme » à travers le monde. Un choix qui rappelle la montée fulgurante de Bernie Sanders aux États-Unis, voire le rejet de l’Establishment qui a sacrifié Hillary Clinton au profit d’un Trump pas plus rassurant mais qui a fait dire aux électeurs « qu’est-ce qu’on a à perdre après tout ».
Non. Je ne fais pas d’amalgames ici. Trump et le populisme de droite n’ont rien à voir avec une politicienne démocrate comme Valérie Plante, issue du communautaire et fortement impliquée socialement. La question ici n’est pas le désir du changement pour le changement. Car de tout temps, la droite et le capital ont toujours su s’accommoder du changement. L’extrême-droite est dans leur carnet en réserve. Le racisme aux États-Unis, le fascisme en Europe, l’islamisme radicale, voir le terrorisme, toutes ces tendances que plusieurs croyaient révolues mais qui ont refait surface après le démembrement des pays socialistes d’Europe de l’Est illustrent le fait que le capitalisme a des ressources et des réserves profondes dont les nationalismes identaires qui en sont aujourd’hui une marque de commerce et qui n’échappent pas non plus au Québec. D’ailleurs, jusqu’à un certain point, Denis Coderre devait représenter ce changement. L’efficacité, le code Coderre, le numérique… tout ce qui l’a amené au pouvoir après un gouvernement municipal corrompu était déjà une façon pour la droite de se coller au pouvoir avec un air de changement.
Ce qui est nouveau cette fois, c’est que la population n’a pas été dupe une deuxième fois. C’est que les populations à travers le monde sont de moins en moins dupes justement. Et ici la vraie question à se poser est de savoir précisément pourquoi les populations sont-elles de moins en moins dupes ?
L’écœurement général, le ras-le-bol certes. Mais encore faut-il se poser la question : pourquoi un tel écœurement et un tel ras-le-bol ? Dès lors qu’on se pose la question la réponse fait surface. Depuis la crise économique de 2008-2010 plus rien n’est pareil. La « globalisation », le néolibéralisme ont atteint avec cette crise une autre crise, politique celle-là, toute aussi sinon plus profonde. Les attaques contre ce qu’on appelait et qu’on appelle encore parfois démagogiquement l’ « État providence » se sont retournées contre leurs protagonistes et les peuples ont réalisé que si l’État avait quelque chose de providentielle c’était précisément envers le grand business, la haute finance, les puissances militaires. Les anciennes vérités s’en sont trouvées ébranlées. Tout a été déballé. La corruption, les magouilles de toutes sortes, les paradis fiscaux… au point où les politiciens doivent désormais faire pattes blanches. Une profonde prise de conscience s’est emparée de populations entières et l’immense collusion entre pouvoir politique, médias et « Establishment » fut mis au jour.
Cette prise de conscience ne suit pas la même courbe d’une région à l’autre. Elle ne repose pas non plus sur les mêmes traditions. Les peuples sont souvent enclins à donner une dernière chance à la stabilité politique. Couillard et Trudeau sont aussi sur le respirateur artificiel comme ce fut le cas pour Denis Coderre à Montréal. Mais ce respirateur a ses limites, comme on vient de la voir avec l’élection de Valérie Plante.
Ce qui est nouveau ici, c’est le fait que Valérie Plante est issue du mouvement social et communautaire. Un peu comme Québec solidaire au niveau provincial. Les acteurs sociaux ont l’avantage par rapport aux politiciens traditionnels d’entraîner (et d’être soulevés par) les masses et le mouvement populaire. C’est la force du nombre contre le vent de ceux qui ne s’en tiennent qu’aux superstructures. À ceux qu’on qualifie parfois de décideurs. Le nombre est du côté des victimes d’un système trompeur. La pensée unique ne passe plus comme La Presse et Le Devoir ont pu s’en rendre compte à Montréal.
Ce courant va-t-il durer ? Rien n’est moins sûr. Mais cela n’est pas impossible. D’autres acteurs doivent s’y joindre. Le mouvement ouvrier et syndical en particulier. Jusqu’à présent on a réussi à les museler en les faisant participer aux miettes de l’abondance par le biais de systèmes financiers comme le Fonds de solidarité de la FTQ ou le Fondaction de la CSN. Mais ne nous y trompons pas. Cette mal nommée « classe moyenne » qui n’existe pas réellement en tant que telle représente en réalité la grande masse des travailleurs. Elle aussi prend de plus en plus confiance dans ses capacités d’intervenir et de changer les choses. Après tout Valérie Plante n’est-elle pas elle-même propriétaire d’un quintuplexe ? Ce qui ne l’a pas empêché de rester profondément attachée à ses valeurs démocratiques et sociales.
C’est en cela que réside le plus grand succès de Valérie Plante et de Projet Montréal. La naissance de l’Espoir d’un véritable changement.