La confusion des genres
Derrière l’exercice de la « démocratie » que je me vois presque en tout temps obligé de mettre entre guillemets, il y a des hommes et des femmes. Ceux et celles qui à différents niveaux des institutions publiques prennent des décisions. Or les pièges ou les biais de la démocratie ne sont pas nécessairement, comme on nous le laisse trop facilement entendre, l’envers inévitable de la médaille. Lorsque les décisions vont à l’encontre des principes de la démocratie, celles et ceux qui prennent ces décisions, forts de leur mandat de représentation, sont bien souvent des hypocrites.
Or les hypocrites jouent continuellement dans la confusion des genres. Et s’il est un domaine où ils excellent particulièrement, c’est bien au niveau de la loi électorale. L’enveloppe politique de l’exercice du droit démocratique.
Au Québec, bien des progrès ont été réalisés depuis la Révolution tranquille. Une des réformes majeures dont peu de personnes contestent le bienfait concerne le financement des partis politiques. Pendant longtemps, le financement des partis politiques, hormis le paiement d’une carte de membre, avait un caractère profondément antidémocratique, car il pouvait provenir d’entreprises et de très grandes entreprises privées cherchant à substituer aux citoyens, leurs intérêts privés. Une manière d’ériger en citoyen l’entreprise privée. Lorsque la réforme de la loi électorale limita le droit de faire des dons à la caisse électorale des partis politiques aux particuliers, on imposa une limite à ces dons pour éviter qu’on puisse contourner le principe selon lequel l’État est le représentant des citoyens et non des entreprises.
Pourquoi les entreprises ne peuvent-elles pas financer les partis politiques. On dit souvent qu’une corporation est une entité morale au sens de la loi. En réalité cela veut dire simplement qu’une entreprise ne peut se situer au-delà de la loi ou encore qu’un individu (ou un groupe d’individus) ne peut utiliser son entreprise pour contourner la loi. Mais cela n’accorde aucun droit de vote, ni de représentation politique aux entreprises. Ce principe est-il respecté dans la réalité? Cela est une toute autre question. Il suffit de penser à l’organisation officielle du lobbyisme et à la manière dont les pétrolières ont acquis des droits sur les terres publiques. Si les éléments les plus démocratiques de la loi sont le fruit de l’évolution politique et sociale, ils sont avant tout le fruit des luttes menées par les organismes les plus représentatifs du mouvement ouvrier et populaire. Des luttes grandement inspirées au début du siècle dernier par des pays ayant réalisé des politiques sociales avancées, notamment dans les systèmes d’éducation et de la santé. Ces luttes avaient pour but notamment de créer un rapport de force en faveur de la démocratie. Par le fait même les acquis auxquels ce rapport de force conduit seront aussi instables que le rapport de force lui-même. On a pour preuve les reculs dans lesquels le gouvernement Harper est en train de mener le Canada sur les armes à feu, Kyoto, le mariage gai, etc.
« Démocratie » et Démocratie
Essentiellement, le système capitaliste a une double dénomination. 1- Le mot « capitalisme » ou son adjectif signifie que l’organisation de base de la société est fondée sur le capital et ses intérêts. 2- Le mot « système » signifie qu’il s’agit d’une organisation structurelle (on pourrait dire globale). Ce système a un caractère politique, social et culturel autant qu’économique. Dans tous les cas, le caractère « démocratique » des décisions politiques n’aura pour finalité que la réalisation de ces deux objectifs, soit la réalisation du système capitaliste. Et malgré toutes les prétentions des idéologues qui en font la défense, l’inverse n’est pas vrai. En d’autres mots, dans un système capitaliste la « démocratie » a pour fonction de représenter le capitalisme mais le capitalisme ne représente pas la démocratie (sans guillemets). Voilà pourquoi nous sommes confrontés à la nécessité de distinguer entre démocratie formelle et démocratie réelle. Une distinction qui nous ramène toujours à la question de savoir quels intérêts sont défendus par la démocratie. Ceux des citoyens ou ceux des grandes entreprises et du capital. Dès lors nous devons comprendre que la notion de démocratie ne saurait être évaluée que de manière concrète et non pas abstraite.
La Loi sur le financement des partis politiques est-elle vraiment un grand pas en avant? Après la noirceur duplessiste et les collusions éhontées entre le privé et le gouvernement on ne saurait le contester. Mais à l’époque, dans un souci d’apparence équitable visant à ne faire aucune exception, on avait trouvé le moyen de mettre sur un pied d’égalité l’organisation syndicale des travailleurs et l’entreprise privée. Ainsi une organisation de travailleurs qui voudrait former un parti politique des travailleurs et soutenir financièrement celui-ci par une organisation syndicale qu’il a mise sur pied pour défendre ses droits, ne peut pas le faire puisqu’un patron ne peut pas financer un parti politique à partir de son entreprise. Une manière de mettre sur un pied d’égalité une organisation démocratique et une entreprise qui n’a absolument rien de démocratique.
La grande illusion
Il faut dire ici que le mouvement syndical ne s’est pas toujours aidé. Lorsque sous la direction de Louis Laberge, la FTQ (Fédération des travailleurs du Québec) a décidé d’abandonner la lutte des classes pour combattre non pas contre, mais dans le système capitaliste, elle décidait de se comporter non plus comme représentant d’un mouvement démocratique, mais comme une entreprise à l’intérieur du système capitaliste. Une occasion que n’allait pas rater Jacques Parizeau, alors ministre des Finances, en appuyant la création du Fonds de solidarité de la FTQ dont le but était essentiellement de prendre l’argent des travailleurs pour l’investir directement dans les petites et moyennes entreprises. Un modèle qu’allait suivre la CSN (Confédération des syndicats nationaux) en mettant sur pied le Fondaction en 1995. Si l’on compare l’évolution générale de la condition des travailleurs dans la période 1960-1980 caractérisée par le Front commun des travailleurs, l’emprisonnement des chefs syndicaux, la grève générale et les gains réels du mouvement ouvrier à celle de 1980-2011 dominée par l’esprit d’entrepreneuriat, la division syndicale, la collusion avec les entreprises et les reculs sur les acquis passés, on pourrait appeler cette dernière période de « grande illusion ».
Jusqu’où ira l’hypocrisie?
Il faut dire que les reculs ne sont pas qu’économiques et sociaux. Ils sont beaucoup « idéologiques », politiques et culturels. La coupure avec les luttes du mouvement ouvrier n’est pas le propre de la génération Y . La gauche traditionnelle y est pour beaucoup. Oubliant que les principaux acquis des années ’60-’70 étaient le fruit de luttes souvent épiques, plusieurs ont eu tendance à les attribuer à des valeurs propres au système capitaliste. Se confortant dans l’anticommunisme sommaire et valorisant l’individualisme à succès, la gauche des années ’80 à aujourd’hui s’est cantonnée dans un rôle de faire-valoir du capitalisme. Ce qui a donné lieu à la trahison de presque tous les gouvernements sociodémocrates qui furent parmi les grands promoteurs du néo-libéralisme alors qu’ils avaient été portés au pouvoir dans le but de matérialiser sur le plan politique les acquis populaires. Ce fut le cas dans toutes les provinces canadiennes ou le NPD (Nouveau Parti Démocratique) fut élu, de la même manière que dans des pays comme l’Angleterre et la France.
Au point que les travailleurs n’ont plus d’éléments de référence. Même chez Québec solidaire on trouve un fort courant antisyndical, comme on en trouvait dans le mouvement « Occupons-Montréal ».
Faut-il se surprendre dès lors que la loi électorale en soit rendue jusqu’à interdire aux travailleurs de s’exprimer pendant une campagne électorale? Le 15 avril 2009, le DGEQ (Directeur général des élections du Québec) prononçait 10 verdicts de culpabilité contre la FTQ parce que cette dernière s’était prononcée publiquement dans certaines circonscriptions électorales en faveur d’un vote éclairé lors des élections générales du 14 avril 2003 et mettait les travailleurs en garde contre un vote adéquiste. Aujourd’hui la Cour suprême vient d’annoncer qu’elle refusait d’entendre l’appel de la FTQ en vertu de la libre expression en période électorale. Le mouvement ouvrier ne peut donc pas exprimer l’intérêt de ses membres en période électorale! Encore pourrait-il former un parti politique des travailleurs mais il ne pourrait pas le financer.
Un commentaire