Le récent procès de Guy Turcotte qui s’est terminé par un verdict de non-responsabilité criminelle est riche en enseignement, malgré la commotion que ce verdict a provoquée au sein de la population.
L’accusé ayant reconnu les faits qu’on lui reprochait, trois choix réels s’offraient au jury.
- Meurtre avec préméditation
- Homicide involontaire
- Non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux
La justice n’est pas toujours juste. Cela est indéniable. Le meurtre avec préméditation par exemple, est sans doute le plus difficile à défendre devant un jury. Mais lorsqu’il s’agit d’un policier on dirait que l’accusation est inévitable. Ainsi ce jeune homme de 15 ans qui a tué un policier en le trainant avec le véhicule qu’il conduisait au moment d’un simple contrôle routier sera fort probablement trouvé coupable de meurtre avec préméditation. La différence entre le meurtre avec préméditation et l’homicide involontaire tient principalement à la sentence. Prison à vie sans possibilité de libération avant 25 ou 30 ans d’emprisonnement. Pour un jeune homme de 15 ans, cela compte. Pourtant le meurtre avec préméditation est très difficile à prouver hors de tout doute raisonnable. Peut-on croire vraiment que le jeune ontarien de 15 ans, interpellé lors d’un contrôle routier, pouvait avoir prémédité son crime?
Quant à l’homicide involontaire, le terme d’emprisonnement sera moindre, mais le détenu, s’il est affecté d’une grave maladie mentale, ne recevra que des soins minimes comparativement à ceux qu’il pourrait recevoir dans un institut psychiatrique.
La non-responsabilité criminelle par ailleurs indique que le détenu était gravement malade au moment de commettre les faits qui lui sont reprochés. Au point où il n’était pas conscient des gestes qu’il posait ou des conséquences de ces gestes.
Le verdict du jury dans le procès de Guy Turcotte a provoqué un immense désarroi au sein de la population. En somme tout le système judiciaire fut pris à partie. Pourtant il s’agit d’un cas où le verdict fut d’une justice exemplaire, malgré un traitement médiatique souvent fort douteux. Le fait est que la population n’est pas éduquée adéquatement sur les procédures judiciaires et leurs conséquences lorsqu’il s’agit de non-responsabilité criminelle. Ce qui fait que bien souvent la vindicte populaire ou la pression d’un groupe organisé l’emporte sur la Justice, comme dans le cas de ce jeune homme de 15 ans qui aurait dû normalement être accusé d’homicide involontaire.
Le sensationnalisme l’emportant trop souvent dans la couverture médiatique on a laissé circuler amplement une croyance populaire voulant que le verdict contre Guy Turcotte correspondait à une simple libération. Plusieurs spécialistes ont d’ailleurs contribué à gonfler cette croyance. Même le psychiatre Gilles Chamberland abonde en ce sens laissant entendre sans connaître un diagnostic plus approfondi que Guy Turcotte ne souffrait d’aucune maladie mentale grave avant son crime. Ses connaissances et sa longue expérience devraient pourtant l’inciter à plus de prudence. Guy Turcotte, lui-même médecin, avait-il besoin de donner 40 coups de couteau avant de savoir que ses enfants étaient morts ? De l' »overkilling » comme on dit en psychiatrie ! Une manière de faire, propre aux psychotiques en proie à un délire profond. Le docteur Chamberland ne devrait-il pas savoir que certaines psychoses peuvent-être déclenchées soudainement, sans qu’on puisse nécessairement les voir venir, ni avoir manifesté d’antécédents, lorsque provoquées par une forte turbulence pour laquelle certaines personnes sont trop fragiles physiquement et mentalement ? La psychose ne rend pas le patient totalement inapte à certains comportements rationnels non plus. Ce qui explique l’apparence de calcul dans l’exécution d’un crime qui n’en répondra pas moins pour autant à une compulsion obsessionnelle hors contrôle. Le diagnostic final sera-t-il différent d’une psychose profonde ? Possible. Mais le résultat au bout du compte sera le même quand viendra le temps d’analyser les gestes posés par Guy Turcotte. Là, la sémantique devient secondaire.
Oui les psychiatres peuvent aussi se tromper. L’institut Philippe-Pinel a déjà remis en liberté des patients qui ont récidivé et commis un meurtre à peine 24 heures après leur sortie. L’auteur de ces lignes fut un témoin direct d’un diagnostic rendu où un jeune homme fut jugé apte à rentrer chez lui sans traitement particulier, avant de tuer sa femme dans les jours qui ont suivi. Il serait peu probable toutefois que la même chose se produise dans le cas de Guy Turcotte, tenant compte notamment de la pression médiatique qui entoure ce verdict de non-responsabilité criminelle.
Rappelons encore une fois qu’on ne peut pas simplement ignorer le sort de l’accusé ici. Même pour la sécurité de la société il vaut mieux un malade sous contrôle et traité adéquatement au plan médical, même si cela lui vaut une libération plus rapide, qu’un malade purgeant plus de temps en prison mais qui sera libéré tôt ou tard, sans avoir suivi les traitements appropriés. La société peut se prémunir le plus qu’elle le veut contre les crimes. Elle peut renforcer les lois, construire des prisons, augmenter la surveillance policière. Mais pourra-t-elle vraiment se prémunir contre ce genre de maladie mentale, aussi soudaine et imprévisible que féroce ?
Jamais rien ne pourra éradiquer de manière absolue le danger. Même une personne avec un suivi médical pourra succomber à nouveau à des impulsions incontrôlables. Le mieux qu’on puisse faire sera de contribuer à diminuer les risques. C’est ici qu’il faut parfois choisir entre la prison et l’institut psychiatrique. Cela aussi est un choix de société.
Le système judiciaire serait moins contesté s’il manifestait plus de constance dans ses jugements et la population plus réceptive si les médias l’éduquaient davantage plutôt que d’agiter un sensationnalisme guidé par la rentabilité de l’entreprise.
C’est une question de responsabilité sociale et d’éthique.