Les utopies d’une certaine gauche face à la crise

La religion nous avait déjà habitués à des attitudes défaitistes par rapport au progrès. Elle tenait un discours essentiellement individualiste et spiritualiste. S’associant ici et là à des causes où l’exploitation et la misère atteignaient des formes extrêmes, l’essentiel du discours de l’Église affirmait que le véritable refuge de l’humanité se trouvait dans la prière et dans cette croyance que le paradis se trouvait ailleurs que sur Terre. Fondée principalement sur l’idée que les lois du marché avaient un caractère naturel, il s’agissait de rejeter toute culture sociale de riposte collective et organisée devant les inégalités, la discrimination et l’injustice d’un système économique bien structuré, conçu au profit d’une minorité dominante : le système capitaliste.

Aujourd’hui, l’éclatement de la crise financière et son évolution rapide en crise économique mondiale viennent ébranler cette notion d’immuabilité des lois du marché. À nouveau sont remis en cause les structures et le système économique qui engendrent de telles crises et de telles inégalités.

Qu’à cela ne tienne, de nouvelles théories de culpabilisation se substituent aux anciennes, confortant l’idéologie du capitalisme tout en prétendant la dénoncer. N’a-t-on pas entendu récemment un certain Nicolas Sarkozy dénoncer le capitalisme financier pour aussitôt faire appel à la refonte du capitalisme familial. Donnant l’impression que différents modes du système capitaliste existent en parallèle, le trompe-l’oeil de Sarkozy cache le fait que le capitalisme familial constitue en réalité une étape révolue du capitalisme et non pas un choix de modèle.

La crise financière permet de cibler facilement certains de ses éléments déclencheurs et même d’identifier leurs auteurs. À la limite toutefois, il s’agit d’une manière de personnaliser les coupables plutôt que d’identifier les causes structurelles ayant mené à la crise.

Cette vision de droite trouve écho, hélas, au sein de la gauche et alimente un discours moral qui se répand facilement dans des théories plus ou moins utopiques à l’effet que la surconsommation (dont la crise des subprimes en est l’élément le plus visible) est à l’origine de la crise actuelle. Ce discours sur la surconsommation est d’autant plus attrayant qu’il s’appuie sur l’évidence que celle-ci est aussi inévitable qu’elle est incompatible avec la notion d’un développement durable et écologique, dans une perspective capitaliste.

Au milieu des années ’80, la guerre idéologique contre les pays socialistes prenait à partie la structure de propriété collective de ceux-ci. On reprochait notamment à l’économie planifiée de ne pouvoir concurrencer les pays occidentaux sur le plan de la consommation. À développement scientifique égal, on stigmatisait l’économie socialiste pour son incapacité à convertir instantanément la moindre découverte dans le domaine de la consommation, en production de masse, à l’instar des pays occidentaux. Aujourd’hui, le libre marché démontre que cette victoire du capitalisme sur le socialisme n’était en réalité qu’une victoire à la Phyrrus.

Et la question reste entière. Doit-on s’attaquer d’abord à la surconsommation ou au capitalisme ? À l’anarchie du marché et à la non-intervention de l’État ou non ? Poser la question c’est comme demander s’il vaut mieux guérir que prévenir.

La simplicité volontaire

C’est dans cette mouvance d’utopie et d’ambiguïté que se situe d’après moi, la notion de simplicité volontaire.

D’après Serge Mongeau, un des premiers protagonistes de la simplicité volontaire au Québec, « La simplicité volontaire c’est de s’écarter du courant de la consommation dans lequel on se laisse entraîner à croire que c’est en consommant, en achetant, en acquérant des biens qu’on peut être beaucoup plus heureux et répondre à ses besoins. Or, la plupart de nos consommations ne répondent pas à nos vrais besoins, ceux qui nous permettraient vraiment de nous épanouir. »

Pascal Grenier et Louis Chauvin, respectivement Président du Groupe de simplicité volontaire au Québec et Président du Réseau québécois pour la simplicité volontaire, vont encore plus loin. Dans le journal Le Devoir du 8 janvier 2009, parlant de la crise financière, ces derniers affirment : « … les faits récents nous révèlent que c’est en grande partie la surconsommation, voire l’hyperconsommation, associé à l’endettement excessif, qui a créé cette situation mondiale » et encore « … l’occasion est favorable pour effectuer des changements sociaux et économiques profonds, plutôt que cosmétiques ».

Oui ! La surconsommation et l’endettement excessif sont des facteurs aggravants de la crise. Non ! La simplicité volontaire ne constitue pas et ne peut pas constituer un changement économique profond. Car autant il est question ici de facteurs aggravants, autant on peut dire aussi qu’ils constituent une expression de la crise et non pas la cause de celle-ci.

Tout au plus, cette approche, basée essentiellement sur l’idée que la consommation relève du libre-choix de l’individu, est un exemple parfait d’une approche morale face à la crise alors qu’une solution en profondeur requiert au contraire, des changements de type structurels et systémiques. Le système financier non contrôlé, la concentration dans les mains d’une minorité de sommes faramineuses, difficilement imaginables tellement elles sont considérables, l’étouffement des classes populaires sous l’endettement., qui est rarement un libre-choix, et davantage encore l’étouffement des pays en développement qui sont amenés par une réglementation mondiale orchestrée au sein du FMI et de l’OMC à financer leur propre dette alors qu’on leur impose l’importation de produits qu’ils pourraient eux-mêmes produire… résultent dans un manque à gagner et de ce fait interfèrent directement dans la libre circulation des biens et marchandises. D’où la nécessité éventuelle de mesures keynésiennes pour relancer l’économie, mais aussi de mesures contraignantes pour empêcher la libre manipulation du marché.

Pourrait-on croire que les tenants de la simplicité volontaire fassent des exceptions et nuancent leur approche ? Au contraire, ils étendent leur théorie jusqu’à l’idée de dénoncer le principe même du développement économique en lui substituant le concept de la décroissance conviviale.

La décroissance conviviale

Ainsi dans certains milieux, oppose-t-on désormais la notion de décroissance conviviale (en Europe on préfère l’expression décroissance soutenable) à toute notion de développement et de croissance économique, voire même à l’idée d’un développement durable. Fondé sur l’idée que toute notion de croissance est articulée derrière la croyance que les ressources de la terre sont inépuisables, le principe de la décroissance conviviale soutient dans les faits le statu quo dans les rapports économiques inégaux entre pays riches et pays pauvres.

En pratique, aucun programme voulant mettre un terme à la surconsommation (et ici, il est vraiment question de surconsommation planétaire et de menaces à l’écologie), ni aucun programme de partage équitable des richesses, ne sera réalisable s’il ne s’attaque pas directement aux structures économiques responsables de l’anarchie du marché et de ces mêmes inégalités. D’ailleurs, il est curieux qu’on oppose décroissance conviviale à développement durable alors que ce dernier concept est justement fondé sur l’idée que le développement présent ne doit pas sacrifier les besoins des générations futures. Contestée sur le plan scientifique, l’idée de la décroissance conviviale ne répond pas à nombre de questions concernant la croissance continue de la population mondiale ni au concept même de l’évolution sociale.

Au moment où la crise nous force à penser les choses autrement, une certaine vigilance s’impose pour éviter que la gauche transmette elle-même des idées utopiques qui confortent le statu quo et la position économiques, des classes et des pays dominants.


Deux sites incontournables pour bien comprendre la nature de la crise financière et économique actuelle:

http://www.economieautrement.uqam.ca/
http://mobilisation.ca/

Deux sites où la théorie de la décroissance conviviale est contestée :

http://iceblog.over-blog.com/article-25538381-6.html
http://www.espace-citoyen.be/site/index.php?EsId=1&Module=mod-produit&Indice=1-12-62/

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