Personne ne mettra en cause la bonne foi souverainiste de Michel Tremblay ou de Robert Lepage. C’est pourquoi leurs déclarations respectives à savoir qu’ils ne peuvent plus s’identifier à un mouvement dont la principale justification est devenue économique ne manqueront pas d’en bouleverser plus d’un.
Malgré tout et malgré l’empathie qu’on peut éprouver pour un mouvement aussi naturel que culturel qu’est le mouvement populaire né de la lutte pour l’égalité nationale, on ne peut ignorer que celui-ci prend quand même ses sources dans l’économie. La langue, le territoire et la culture sont certes indissociables de la question nationale et certainement des enjeux majeurs pour le mouvement national, mais sans la lutte pour l’égalité et l’autonomie économique, ce mouvement ne serait rien d’autre qu’un mouvement nationaliste étroit, avec des réflexes isolationnistes par rapport aux voisins et chauvins par rapport aux minorités ethniques.
L’économie n’est pas devenue la principale justification du mouvement souverainiste. Elle l’a toujours été. Les aspirations nationales d’un peuple s’articulent depuis tous les temps autour de la lutte contre l’oppression ou pour l’égalité économique et politique. Depuis la Révolution française qui a donné naissance à la nation mettant de l’avant les intérêts économiques de la bourgeoisie face à l’empire féodal jusqu’aux mouvements de libération contre le néo-colonialisme dans les pays en développement, les enjeux économiques furent au coeur de toutes les révolutions nationales partout dans le monde. Au Québec ce n’est pas différent et la recherche de l’appui économique des États-Unis n’est pas nouvelle non plus. Michel Tremblay aurait-il oublié que dès le tout premier gouvernement péquiste, celui-ci s’est empressé d’organiser une tournée de ses dirigeants aux États-Unis afin de rassurer nos voisins du Sud sur le projet indépendantiste ? Il n’y a pas de lutte nationale sans lutte pour le contrôle en premier lieu du marché national, même si aujourd’hui, à l’époque de l’impérialisme et du néo-libéralisme, cette notion devient de plus en plus équivoque. Tout au moins si on se fie à l’aplatventrisme des dirigeants péquistes qui ont donné un appui quasi inconditionnel du Québec au libre-échange avec les États-Unis, tout en étant conscients du danger que représentent les clauses les plus envahissantes de l’Accord du libre-échange sur notre souveraineté économique.
Ce qui est désolant en fait ce n’est pas tant la place de l’économie dans le mouvement souverainiste que l’enracinement à droite de ce mouvement qui s’est développé au cours des ans et cela, malgré le « préjugé favorable » de René Lévesque envers les travailleurs en 1976-1977 et malgré certains soubresauts des dirigeants péquistes surtout lorsqu’ils approchent la fin de leur mandat.
S’il y a quelque chose de nouveau aujourd’hui, c’est sans doute l’option qui se manifeste avec la naissance de Québec Solidaire qui concilie pour la première fois le mouvement souverainiste québécois à une politique sociale et à une politique économique de gauche cohérentes. L’enjeu n’est pas et ne sera jamais de savoir si l’économie sera la principale justification du mouvement souverainiste ou non, mais avant tout de savoir si l’orientation économique du mouvement national correspond à un véritable projet social distinct, un projet qui deviendra déterminant quant aux choix politiques que ce mouvement aura à faire, y compris sur la question de la souveraineté. Une perspective nouvelle qui prend forme et qui devrait réjouir en fait, tous les Michel Tremblay et Robert Lepage du Québec.