Le Hamas et la reconnaissance du « droit d’Israël à exister »

L’escalade du conflit au Moyen-Orient a pris une ampleur nouvelle depuis que le Hamas s’est fait élire en janvier 2006. Pour l’Union européenne, la Norvège et le Canada qui ont mis fin à leurs paiements aux Autorités Palestiniennes, le fait que le Hamas se soit fait élire démocratiquement n’est pas une considération ici. Reprochant au Hamas de ne pas reconnaître Israël, ils ont décidé de suivre ce dernier en coupant les vivres aux Autorités palestiniennes.

Virginia Tilley, professeure associée en Sciences Politiques et Relations Internationales soulève le voile sur la signification de cette notion du « droit d’Israël à exister »
Publié le 15 mai 2006 (en anglais) par Virginia Tilley
Traduction libre de M. Duclos pour C. Demers
Révision : Danielle Soulières

À la grande consternation de la plupart des pays du monde, la Communauté Européenne, suivie par la Norvège et le Canada, ont cessé les paiements au gouvernement des « Autorités Palestiniennes » ( Palestinians Autorities ou le gouvernement des palestiniens auxquels nous nous référons en utilisant l’abréviation AP dans ce texte) dirigées par le Hamas. La raison officielle de cette décision est que le Hamas ne reconnaît pas à Israël le « droit à exister » et ne « renonce » pas à la violence. Une décision néanmoins qui n’a pas de sens commun et qui ne résiste pas à une analyse plus approfondie de la question.

D’abord soyons clairs : couper les subsides aux AP ne peut avoir aucun effet bénéfique. Que gagne-t-on en leur enlevant les moyens financiers de gouverner une population abattue et désespérée? De plus, cette décision élimine la possibilité pour le Hamas d’agir en tant que médiateur et de contenir certaines factions dissidentes. Cette politique peut non seulement démoraliser, mais détruire l’engagement palestinien sur la voie de la démocratie, ruinant la stabilité politique et de ce fait anéantissant toute perspective de négociation pour la paix. Alors, pourquoi imposer des sanctions qui peuvent seulement conduire à une dangereuse désintégration de la situation politique actuelle ?

La dichotomie diplomatique pour appuyer cette raison officielle semble être la suivante. Les « Autorités Palestiniennes » AP, forment une institution créée en 1995 pour réaliser la décision implicite des Accords d’Oslo : soit, « Deux États » recevants de l’argent pour travailler à la réalisation des étapes requises (les Américains l’appellent la Feuille de route (Road Map) pour la création définitive de ces deux États. Or le Hamas ne reconnaît pas à Israël le « droit à exister » et n’a pas renoncé à la violence tout en ayant été élu démocratiquement par le peuple palestinien.

Jusqu’à ce que le Hamas accepte ces termes, qui est le mandat des AP, la communauté internationale peut prétendre que le Hamas fait perdre toute légitimité aux Autorités Palestinennes.

Malheureusement pour les partisans de cette rationalisation, cette explication s’est magistralement cassé les reins, car le premier ministre d’Israël lui-même doit accepter les termes des accords d’Oslo. Or, M. Olmert a déclaré lui-même la Feuille de route, lettre morte !

Sa politique de facto qui consiste à continuer de peupler la grande majorité du territoire de l’Ouest « West Bank » avec des colons juifs, est acceptée par tous les intervenants occidentaux bien qu’elle démontre la décision d’Israël d’annexer de grandes portions de ce territoire. La construction du mur qui se poursuit et les pénétrations de colons en territoire palestinien sont suffisantes pour démontrer que le plan réel d’Israël est déjà à moitié réalisé. Personne ne nie que ces développements signifient un démembrement définitif du territoire du présumé futur État Palestinien. Personne ne nie que les termes de l’Accord d’Oslo se sont en fait évanouis dans la brume du matin.

Il est donc évident pour celui qui regarde la situation, qu’il soit de la Communauté européenne, de la Norvège ou du Canada, qu’Israël a renoncé aux accords d’Oslo. Alors, pourquoi prétendre qu’Israël n’a pas nié ouvertement ces accords diplomatiques qui établissaient les termes de la reconnaissance du peuple palestinien et pourquoi faire porter au seul Hamas la faute de cette situation.

La première réponse est évidente: il s’agit d’une capitulation devant la pression des USA. La communauté internationale tout entière a été cajolée ou menacée afin d’adhérer, du moins en parole, aux accords d’Oslo, et est restée passive pendant qu’Israël et les USA rendaient impossible la réalisation de ces accords. Le non-sens diplomatique exige toujours certains palliatifs politiques et moraux. La version officielle est la suivante:

Si le Hamas reconnaissait à Israël le « droit à exister » et abandonnait le combat armé, alors existeraient à nouveau les conditions qui permettraient la poursuite des accords d’Oslo et susciteraient la volonté d’Israël de se retirer des territoires de l’Ouest en permettant enfin que la paix soit établie. Voyons de plus près cet argument.

Premièrement, c’est tout simplement incroyable ! Tous conviennent que le retrait des grandes colonies juives installées sur le territoire palestinien de l’Ouest, spécialement celles proches des principales villes comme Ma’ale Adumin, Ariel et Gush Exion n’est pas dans la mire d’Israël. Le gouvernement d’Israël lui-même a déclaré ces colonies permanentes. Aucun intervenant international ni aucune composition d’intervenants multiples n’a le pouvoir ou la volonté politique d’obliger Israël à changer sa politique. Israël ne retirera pas ses colons des territoires palestiniens sauf en cas d’urgence nationale. Le Hamas devenu soudainement gentil ne constituera pas une telle urgence.

Deuxièmement, l’argument adopte des réclamations israéliennes spécieuses au sujet de la logique arabe (théorie que seuls les vieux partisans d’Israël croient encore). La propagande israélienne soutient que la « haine » arabe pour Israël est irrationnelle, qu’elle provient seulement de la judéo-phobie, d’un fanatisme religieux et d’un retard culturel et qu’en conséquence seuls des moyens durs peuvent forcer les Arabes à capituler et à admettre la réalité d’Israël, alors même que la colonisation des territoires palestiniens de l’Ouest se poursuit. De ce point de vue, la main mise d’Israël sur les territoires de l’Ouest n’est pas une « Occupation » qui vise à l’annexion de ce territoire, mais seulement une bénigne administration qu’Israël est forcé de faire à cause du refus des Arabes et des Palestiniens de reconnaître à Israël le « droit à l’existence ».

Couper les vivres aux Autorités Palestiniennes érige cette fantaisie en absolue vérité en soutenant que le Hamas a rejeté les authentiques « promesses de paix » israéliennes à cause de son dogme islamique et non parce que le Hamas a des preuves évidentes et constantes qu’Israël n’a aucunement l’intention de laisser aux palestiniens un état viable. Cette opinion tordue, à l’origine de la décision de couper les fonds nécessaires à l’existence des AP, a pour objectif de faire en sorte que le Hamas reconsidère cette « irrationalité », abandonne ses positions « extrémistes », reconnaisse le « droit à exister » d’Israël et mette fin à toutes les actions hostiles contre eux. Le Hamas et les AP seront alors récompensés par un retour vers la Feuille de route née des accords d’Oslo.

Hormis son non-sens apparent (consciemment, les USA et Israël cherchent à éliminer les possibilités de réalisation de la Feuille de route le plus rapidement possible), des problèmes bien plus graves et plus profonds affectent le processus de paix. Quand on regarde avec attention ce qui est exigé du Hamas, on voit bien qu’elles n’ont aucun sens non plus.

En effet, qu’est-ce que le « droit à exister » veut dire exactement? Aucune loi internationale qui s’applique aux états qui s’y soumettent ne parle de « droit à exister ». Ce concept est né en diplomatie internationale pour les besoins exclusifs d’Israël. Il ne s’agit pas ici d’une simple reconnaissance du point de vue diplomatique, qui en fait est une reconnaissance de son existence. Ça ne veut pas dire non plus qu’on reconnaît à Israël le « droit à l’autodétermination », sinon on aurait utilisé ce terme n’est-ce pas ?

Disons pour les besoins de la démonstration qu’on demande au Hamas de reconnaître Israël par les voies diplomatiques habituelles. Dans ce cas, la position de la Communauté européenne serait intenable, car la reconnaissance diplomatique d’un État suppose un minimum d’information sur l’État qu’on veut reconnaître : le « droit à exister » où ? Les frontières d’Israël ne sont pas établies. Même les plans pour la détermination des frontières ne sont pas connus : avec une impressionnante effronterie, M. Olmert a annoncé que nous ne le saurons pas avant 2010 !

Il est tout à fait légitime pour le Hamas de demander qu’Israël confirme ses frontières avant que le Hamas le reconnaisse. La communauté internationale devrait également connaître ces frontières avant d’insister pour que le Hamas reconnaisse le « droit » d’Israël. Autrement, reconnaître à Israël le « droit à exister » sans connaître ses frontières serait reconnaître implicitement qu’Israël a le « droit à exister » dans les frontières qu’il se choisira dans les prochaines années.

Comme les Palestiniens ont plus à perdre de ce qui reste de leur territoire national avec ces arguments étourdissants, le Hamas refuse de l’approuver. Est-ce là une position islamique intransigeante justifiant qu’on leur coupe les vivres? À titre d’expérience de la pensée critique, il serait intéressant que les Canadiens, ou les Norvégiens, ou les Anglais, ou les gouvernements français se demandent ce qu’ils feraient si on leur demandait de reconnaître le « droit à exister » à un état voisin qui dispose d’une force militaire importante et colonise selon ses propres définitions ethniques selon la teneur de sa population, qui installe un mur pour définir qui est dedans et qui est dehors et tout cela sur le territoire national canadien, norvégien, anglais ou français, tout en promettant de donner aux habitants lésés leurs propres « cantons »?

En l’absence de frontières bien définies, reconnaître le « droit à exister » d’Israël doit bien vouloir dire autre chose. Et bien sûr, il y a autre chose. Il est clair que dans les mots le « droit à exister d’Israël » c’est le droit à exister comme état juif. En d’autres termes, le « droit » qu’on exige que le Hamas reconnaisse, c’est le droit d’Israël de mettre en place en toute légitimité sur le territoire palestinien, une population juive dirigée premièrement par des Juifs pour des Juifs. Dans un tel État, le Hamas serait ensuite appelé à soutenir toutes les lois et les politiques garantissant à la population juive la majorité sur le territoire, rejetant même le retour des réfugiés palestiniens exigé par le droit international. Or, bâtir un mur en territoire palestinien consiste essentiellement à protéger l’État juif des menaces démographiques de la masse des citoyens non-juifs c’est-à-dire les palestiniens. L’expulsion des palestiniens de leurs maisons et de leurs terres en 1948 se trouverait légitimée ainsi que les plans d’avenir d’Israël qui veut confiner le peuple palestinien dans des cantons.

Les leaders d’Israël ont déclaré ces mesures nécessaires pour préserver Israël comme État juif et démocratique tel qu’on peut le lire dans les termes de sa constitution (ces termes ont été repris et confirmés tant par MM. Sharon et Olmert et par presque tous les partis politiques que compte ce pays). Et pourtant ce n’est pas tant ce fait, reconnu et absolument évident de nettoyage ethnique, mais le droit d’Israël de poursuivre cette politique qu’on demande au Hamas de reconnaître?

Si on admet ces faits, on comprend plus facilement pourquoi depuis plusieurs décennies, tant le PLO que les états arabes et une importante partie de tous les musulmans du monde sont si réticents à reconnaître à Israël ce fameux droit à exister. Dans un geste pragmatique, les Palestiniens ont abandonné leur position traditionnelle en 1989-90, acceptant la solution des deux États. L’Union Européenne ne peut-elle pas alors insister pour que le Hamas reconnaisse à Israël le droit à exister puisque le PLO, les AP et tous les autres gouvernements du monde l’ont reconnu?

Le problème c’est que le quiproquo qui est à l’origine de cette reconnaissance, formalisée dans le processus des accords d’Oslo, est maintenant clairement détruit par la décision unilatérale d’Israël de se tailler une place et d’annexer des territoires palestiniens de l’Ouest (territoire qui devait être le nouvel État palestinien) et de placer les habitants palestiniens de ces territoires dans des cantons. Dans ces conditions, croyez-vous que le Hamas devrait reconnaître à Israël le « droit à exister » si cela doit éliminer toute souveraineté palestinienne?

Mais le problème le plus embarrassant toutefois c’est que les États de la communauté européenne n’ont pas eux-mêmes explicitement reconnu à Israël le « droit à exister ». Ni le Canada, ni la Norvège, pas plus que les Nations Unies. Ils ne l’ont pas fait parce qu’ils ne le peuvent pas !

Cela surprendra peut-être certaines personnes, mais les Nations Unies n’ont pas utilisé le terme « État Juif » depuis 1947. La résolution 181 parle d’État Juif et d’État Arabe avec des frontières manipulées de telle sorte qu’il y ait des majorités juives et arabes selon les besoins. Mais cette tentative a vite été rendue désuète quand les forces sionistes ont établi Israël dans une bien plus grande portion de territoire qui comptait une majorité substantielle de résidents arabes qui furent expulsés manu militari. Selon la Convention de Genève, ces réfugiés ont le droit de retourner dans leurs maisons, leurs villages et leurs villes. Mais ce retour éliminerait la majorité juive de ce qui est devenu Israël et Israël s’y oppose.

C’est pourquoi les Nations Unies ne peuvent pas reconnaître Israël comme État juif (car cet État ne peut légitimement soutenir posséder une majorité juive) sans contredire les droits des réfugiés palestiniens, droits reconnus par le droit international. Quand les Nations Unies font référence à Israël aujourd’hui, ils ne parlent pas d’Israël comme d’un État Juif, dans les vieux termes que la majorité ethnique de 1947 l’entendait, parce qu’Israël ne peut pas obtenir de « droit » à une démographie ethnique qui empêcherait le retour des réfugiés palestiniens.

De plus, les temps ont tout simplement changé. En 1947, le nationalisme ethnique semblait toujours avoir un certain sens, bien qu’il était déjà critiqué à cause des abus redoutables commis par l’Allemagne et le Japon. Aujourd’hui, reconnaître le droit de n’importe quel État de se composer légalement sur la base d’une majorité ethnique serait contraire aux conventions des Nations Unies et ne tiendrait pas compte des chartes des Droits humains et de non-discrimination. En conséquence, les Nations Unies et les États européens ne pourraient pas reconnaître à Israël le droit de se composer sur une ethnie ou une religion. Quelle politique pourrait-on soutenir alors au Rwanda, au Soudan au Cachemire en Afghanistan au Kosovo, et bien d’autres endroits sur la terre.

Alors, les États-Unis ont coincé le Canada et la Norvège dans une trappe diplomatique en leur faisant prendre une position intenable. Si ces pays veulent absolument que le Hamas reconnaisse Israël comme un État juif (avec le droit de protéger la majorité juive) alors, ils devront également admettre clairement qu’ils endossent en fait l’idée qu’il y ait des gouvernements basés sur une majorité ethnique. Si ces États ne peuvent pas eux même reconnaître à Israël ce droit à l’ethnocratie parce que cela contredirait la loi internationale aussi bien que leur propre diplomatie dans bien d’autres parties du monde, leur propre charte des droits de la personne y compris, alors sur quoi se basent-ils pour demander au Hamas de reconnaître ce droit qu’ils ne reconnaissent et ne peuvent pas reconnaître eux même.

Pire encore pour eux, ils adhèrent aux normes internationales en insistant pour que l’État de Palestine adopte une démocratie stable qui fixe l’égalité des droits pour tous ses citoyens sans égard à la religion ou à la race. Mais s’ils obligent les Palestiniens à ces normes pourquoi alors n’en demandent-ils pas autant à Israël?

C’est que s’ils demandaient cela d’Israël alors tout l’argumentaire à la base de la théorie des deux États s’évanouirait. La Feuille de route est basée sur cette prémisse qui suppose que la seule solution pacifique est la création d’un État pour les Juifs et d’un État pour tous les autres habitants de cette région. Si le « droit à exister » d’Israël ne veut pas dire le droit de soutenir une majorité juive (avec toutes les lois et protection ethniques, l’annexion de territoire et le pouvoir social) alors la logique ethnique qui veut deux États disparaît. Pourquoi créer deux États séculiers démocratiques, l’un à coté de l’autre, sur une si petite terre? Personne ne peut articuler une réponse, car la démocratie ethnique est leur seul raisonnement.

Alors, que demandent réellement au Hamas les États européens, le Canada et la Norvège ? Ils veulent que le Hamas reconnaisse l’État d’Israël dans sa spécificité ethnique, avec le « droit à exister » où il le voudra, de définir ses frontières quand et comment bon il lui semblera. Ce qui voudrait dire non seulement le suicide du peuple palestinien, mais la violation de tous les principes de leurs propres valeurs et lois internes de non-discrimination. Quoi, on voudrait que le Hamas ignore cet aspect du problème et reconnaisse Israël comme un État normal ? Même si normal voulait dire ici non ethnique, ce qui obligerait Israël de permettre le retour des réfugiés palestiniens, cela impliquerait alors que les États Européens, le Canada et la Norvège refusent de soutenir la position israélienne d’une vaste majorité juive?

Cette histoire invraisemblable devrait tenir les parlementaires, les diplomates, tous les ministres des Affaires étrangères de tous les pays du monde sur les dents pour essayer de comprendre leur propre position plutôt que de couper les vivres aux Autorités Palestiniennes et de faire capituler le Hamas. Car ce n’est pas seulement le gel des fonds qui rend cette Feuille de route impossible, c’est la logique -même de la Feuille de route sur le principe de « deux États » qui n’a plus aucun sens.

Que les auteurs qui ont proposé cette solution restent éveillés toutes les nuits et contemplent leur propre confusion et les sanglantes conséquences qui immanquablement en découleront.

Viginia Tilley est professeure associée en Sciences Politiques et Relations Internationales, des Collèges Universitaires de Hobart et William Smith Elle et l’auteure de « One-State Solution »….La solution UN ÉTAT ….un passage vers la paix dans le problème Israélo-Palestinien… Elle est présentement au Centre des Études Poliques de Johannesburg en Afrique du Sud et on peut la rejoindre (autant que possible lui écrire en anglais) à tilley@hws.edu

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