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Repères

Les plus frileux ne sont pas ceux qu’on accuse


Une dépense électorale ?

L’impact visuel et la qualité de la production font pratiquement l’unanimité. Sur ce point, je n’ai vu aucune contestation. Curieusement l’hostilité envers la vidéo a pris naissance autour du fait que celle-ci n’avait pas de signatures. On réclame le nom des producteurs, du ou des scénaristes, réalisateurs, etc., que ce soit des personnes ou des entreprises. Intéressant, car les partisans des Conservateurs, pris au piège de la Loi électorale lors des dernières élections fédérales, aimeraient bien que la vidéo « Culture en péril » soit mise au compte d’une dépense électorale. Ce qui rejoint une des idées derrière certains aspects de la Loi électorale, qui vise à étouffer l’opinion publique. En effet comment un parti pourrait-il éventuellement ne pas dépasser la limite des dépenses électorales permises si chaque opinion exprimée publiquement par un groupe indépendant, par une association, voire par un individu, prenant la forme d’un message public, devait être comptabilisée au chapitre d’une dépense électorale.

Les subtilités pour contourner la Loi électorale ? ce chapitre ne manquent pas. Les tournées à travers le Canada du chef conservateur Stephen Harper, à quelques semaines du déclenchement des élections dont lui seul connait la date, ne devraient-elles pas être portées au compte d’une dépense électorale ? Comment départager le rôle du chef de l’État de celui d’un dirigeant de parti en pré-campagne électorale ? De la même manière on ne pourra jamais mettre au compte d’une dépense électorale un message dénonçant un gouvernement et le parti politique qui le dirige sans ouvertement appuyer l’un ou l’autre des partis, ni sans qu’il provienne d’un de ces partis. Aberrante l’idée que la vidéo controversée puisse être mise au compte d’une dépense électorale, car si c’était le cas, cela reviendrait tout simplement à la rendre illégale. Aussi bien décréter ouvertement que cette société n’est plus démocratique, même formellement.

Le fond derrière la forme

Selon Sylvain Carle sur Twitter, cité par Michel Dumais, à l’ère des réseaux sociaux, ne pas signer un vidéo du genre, c’est manquer l’occasion de participer à la conversation. Pour Michel Dumais, cet argument sert de fond a l’article principal dans lequel il traite de la vidéo. Il est appuyé dans les commentaires à son billet par certaines personnes dont Martine Pagé qui a mème relancé la discussion sur son propre blogue. Une polémique qui a tôt fait d’illustrer que derrière la critique autour d’une signature manquante, se révèlent graduellement d’autres motifs de désaccords avec la vidéo. Martine Pagé a le mieux illustré cette évolution de la discussion en reprenant à son compte l’opinion de Michel Fréchette dans le Devoir voulant que les artistes sont ni plus ni moins responsables de leurs propres déboires, qu’ils sont de mauvais stratèges et qu’ils n’arrivent pas à faire passer leur message. Entendre par là que les envolées oratoires de la soirée des Gémeaux n’étaient pas à leur place, que la vidéo de Rivard, Brière et Rousseau est un échec.

Vers un ‘génocide’ culturel

Que reproche-t-on vraiment aux intervenants du milieu culturel qui protestent ouvertement contre les coupures dans la culture et la place réservée à celle-ci par les politiques conservatrices ? Loin des arguments un peu simples sur les soi-disant privilèges des artistes, c’est Michel Fréchette qui exprime sans doute le mieux l’essence de cette critique : « les leaders du monde culturel se trompent en adoptant une stratégie d’affrontement aux allures de « jusqu’au boutisme » et en ne maintenant pas ouverts des canaux de communication avec l’appareil du gouvernemental fédéral… ». Il dit encore : « Le monde de la culture se met en échec lui-même en élargissant le débat comme si le budget fédéral consacré à la culture venait d’être aboli. » Deux affirmations de l’auteur pour le moins discutables. D’ailleurs les canaux de communications, c’est le gouvernement qui les coupe lorsqu’il adopte une politique culturelle sans consultation avec les principaux intéressés. Quand même, Michel Fréchette fait appel à la mobilisation populaire soulignant qu’il faille avoir l’intelligence et « la patience du chasseur ». Ce qu’il identifie à une bataille à long terme, des démarches pour mettre de son côté le gouvernement du Québec, maintenir les moyens de communication ouverts, etc.

OUI et NON pourrait-t-on dire.

Oui la bataille pour la culture est une lutte à long terme qui nécessite les alliances les plus larges possible, y compris comme le souhaite Martine Pagé, avec le monde culturel du Canada anglais, lui-même victime des coupures conservatrices.

Non les artistes ne sont pas des ‘jusqu’au-boutistes’ et ils doivent aussi prendre de front le gouvernement conservateur, surtout durant une campagne électorale dont l’impact risque d’être majeur sur l’identification culturelle, du Québec en particulier. Les jeux de coulisse, les ententes sous la table, les stratégies qui n’aboutissent qu’après le sacrifice d’une ou deux générations ne sont pas le moyen, malgré ce qu’en pense Michel Fréchette, de sensibiliser l’opinion publique et de soulever une véritable mobilisation populaire. Comment peut-on à la fois se prétendre du côté de la mobilisation populaire et reprocher aux artistes de se prononcer sur la place publique ?

Si le monde culturel n’a pas encore gagné la bataille, c’est avant tout le résultat d’un rapport de force défavorable engendré par le glissement à droite de notre société depuis les 25 dernières années. Un rapport de force qui s’est forgé à travers l’objectif de rentabiliser commercialement la culture et encourager les grandes boites de production qui, hélas, se sont davantage fait connaître par le biais des scandales et l’achat de productions américaines plutôt que la promotion d’une véritable culture populaire. C’est une réalité indéniable que la bataille des artistes ne doit pas se limiter à une campagne électorale, mais on ne peut qu’applaudir au fait que des artistes profitent de cette campagne pour sensibiliser l’opinion publique et semer le germe d’une véritable mobilisation populaire.

Ici, les plus frileux ne sont pas ceux que l’on accuse, mais ceux pour qui tous les prétextes sont bons pour dénigrer l’audace et le courage qu’ont eu des artistes de dénoncer sur la place publique, à visage découvert, dans un climat hostile et défavorable, une politique culturelle pouvant devenir, à ong terme, rien de moins qu’un « génocide » culturel.